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qui auront tout ce que vous connaissez déjà du véritable Sextus, mais non pas tout ce qui est déjà en lui, sans qu'on s'en aperçoive, ni, par conséquent, tout ce qui lui arrivera encore. Vous trouverez dans un monde un Sextus fort heureux et élevé, dans un autre un Sextus content d'un état médiocre, des Sextus de toute espèce et d'une infinité de façons.

Là-dessus la déesse mena Théodore dans un des appartements quand il y fut, ce n'était plus un appartement, c'était un monde,

Solemque suum, sua sidera norat.

Par l'ordre de Pallas, on vit paraître Dodone avec le temple de Jupiter, et Sextus qui en sortait: on l'entendait dire qu'il obéirait au dieu. Le voilà qui va à une ville placée entre deux mers, semblable à Corinthe. Il y achète un petit jardin; en le cultivant, il trouve un trésor; il devient un homme riche, aimé, considéré; il meurt dans une grande vieillesse, chéri de toute la ville. Théodore vit toute sa vie comme d'un coup d'œil, et comme dans une représentation de théâtre. Il y avait un grand volume d'écritures dans cet appartement; Théodore ne put s'empêcher de demander ce que cela voulait dire. C'est l'histoire de ce monde où nous sommes maintenant en visite, lui dit la déesse; c'est le livre de ses destinées. Vous avez vu un nombre sur le front de Sextus, cherchez dans ce livre l'endroit qu'il marque. Théodore le chercha et y trouva l'histoire de Sextus plus ample que celle qu'il avait vue en abrégé. Mettez le doigt sur la ligne qu'il vous plaira, lui dit Pallas, et vous verrez représenté

effectivement dans tout son détail ce que la ligne marque en gros. Il obéit, et il vit paraître toutes les particularités d'une partie de la vie de çe Sextus. On passa dans un autre appartement, et voilà un autre monde, un autre Sextus, qui, sortant du temple, et résolu d'obéir à Jupiter, va en Thrace. Il y épouse la fille du roi, qui n'avait point d'autres enfants, et lui succède. Il est adoré de ses sujets. On allait en d'autres chambres, et l'on y voyait toujours de nouvelles scènes.

Les appartements allaient en pyramide; ils devenaient toujours plus beaux, à mesure qu'on montait vers la pointe, et ils représentaient de plus beaux mondes. On vint enfin dans le suprême qui terminait la pyramide et qui était le plus beau de tous car la pyramide avait un commencement, mais on n'en voyait point la fin; elle avait une pointe, mais point de base; elle allait croissant à l'infini. C'est (comme la déesse l'expliqua) parce qu'entre une infinité de mondes possibles, il y a le meilleur de tous, autrement Dieu ne se serait point déterminé à en créer aucun; mais il n'y en a aucun qui n'en ait encore de moins parfaits audessous de lui : c'est pourquoi, la pyramide descend à l'infini. Théodore, entrant dans cet appartement suprême, se trouva ravi en extase; il lui fallut le secours de la déesse une goutte d'une liqueur divine mise sur la langue le remit. Il ne se sentait pas de joie. Nous sommes dans le vrai monde actuel, dit la déesse, et vous y êtes à la source du bonheur. Voilà ce que Jupiter vous y prépare, si vous continuez de le servir fidèlement. Voici Sextus tel qu'il est et tel qu'il sera

actuellement. Il sort du temple tout en colère, il méprise le conseil des dieux. Vous le voyez allant à Rome, mettant tout en désordre, violant la femme de son ami. Le voilà chassé avec son père, battu, malheureux. Si Jupiter avait pris ici un Sextus heureux à Corinthe ou roi en Thrace, ce ne serait plus ce monde. Et cependant, il ne pouvait manquer de choisir ce monde, qui surpasse en perfection tous les autres, qui fait la pointe de la pyramide : autrement, Jupiter aurait renoncé à sa sagesse, il m'aurait bannie, mọi qui suis sa fille. Vous voyez que mon père n'a point fait Sextus méchant; il l'était de toute éternité, il l'était toujours librement : il n'a fait que lui accorder l'existence, que sa sagesse ne pouvait refuser au monde où il est compris : il l'a fait passer de la région des possibles à celle des êtres actuels. Le crime de Sextus sert à de grandes choses; il en naîtra un grand empire qui donnera de grands exemples. Mais cela n'est rien au prix total de ce monde dont vous admirerez la beauté, lorsqu'après un heureux passage de cet état mortel à un autre meilleur, les dieux vous auront rendu capable de la connaître.

Dans ce moment Théodore s'éveille, il rend grâce à la déesse, il rend justice à Jupiter, et, pénétré de ce qu'il a vu et entendu, il continue la fonction de grand sacrificateur, avec tout le zèle d'un vrai serviteur de son dieu, avec toute la joie dont un mortel est capable. Il me semble que cette continuation de la fiction peut éclaircir la difficulté à laquelle Valla n'a point voulu toucher. Si Apollon a bien représenté la science divine de vision (qui regarde les existences), j'espère

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que Pallas n'aura pas mal fait le personnage de ce qu'on appelle la science de simple intelligence (qui regarde tous les possibles), où il faut enfin chercher la source des choses.

PRINCIPES

DE LA NATURE ET DE LA GRACE

FONDÉS EN RAISON1.

1. La substance est un être capable d'action. Elle est simple ou composée. La substance simple est celle qui n'a point de parties; la composée est un assemblage des substances simples ou des monades. (Monas est un mot grec qui signifie l'unité ou qui est un.)

Les composés, ou les corps, sont des multitudes; et les substances simples, les vies, les âmes, les esprits, sont des unités. Et il faut bien qu'il y ait des substances simples partout, parce que, sans les simples, il n'y aurait point de composés; et, par conséquent, toute la nature est pleine de vie.

2. Les monades n'ayant point de parties, ne sauraient être formées ni défaites. Elles ne peuvent commencer ni finir naturellement, et durent, par conséquent, autant que l'univers, qui sera changé, mais qui

'Nous donnons cet opuscule de Leibnitz pour commentaire aux passages de la Théodicée qui citent ou invoquent les systèmes de la monadologie et de l'harmonie préétablie. L'ensemble des principes métaphysiques de l'auteur y est exposé avec beaucoup de clarté, et, sous cette forme concise, on en sent mieux le lien et la force. La rareté des éditions de Leibnitz donnera du prix à la reproduction de ce traité, où l'on voit en abrégé toute la doctrine de ce grand philosophe.

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