Page images
PDF
EPUB

posé accompli répond à l'univers tout entier, et le composé fautif, qui est une partie de l'accompli, répond à quelque partie de l'univers où nous trouvons des défauts que l'Auteur des choses a soufferts, parce qu'autrement, s'il avait voulu réformer cette partie fautive, et en faire un composé passable, le tout n'aurait pas été si beau; car les parties du composé fautif, rangées mieux pour en faire un composé passable, n'auraient pu être employées comme il faut à former le composé total et parfait. Thomas d'Aquin a entrevu ces choses, lorsqu'il a dit : « Ad prudentem

[ocr errors]

gubernatorem pertinet, negligere aliquem defectum « bonitatis in parte, ut faciat augmentum bonitatis in <«< toto. » (Thom. contra Gent. lib. II, cap. LXXI.) Thomas Gatakérus, dans ses notes sur le livre de Marc-Aurèle (lib. V, cap. VIII, chez M. Bayle), cite aussi des passages des auteurs qui disent que le mal des parties est souvent le bien du tout.

IV

L'infinité des possibles, quelque grande qu'elle soit, ne l'est pas plus que celle de la sagesse de Dieu, qui connaît tous les possibles. On peut même dire que, si cette sagesse ne surpasse point les possibles extensivement, puisque les objets de l'entendement ne sauraient aller au delà du possible, qui en un sens est seul intelligible, elle les surpasse intensivement, à cause des combinaisons infiniment infinies qu'elle en fait, et d'autant de réflexions qu'elle fait là-dessus. La sagesse de Dieu, non contente d'embrasser tous les possibles,

les pénètre, les compare, les pèse les uns contre les autres, pour en estimer les degrés de perfection ou d'imperfection, le fort et le faible, le bien et le mal : elle va même au delà des combinaisons finies, elle en fait une infinité d'infinies, c'est-à-dire une infinité de suites possibles de l'univers, dont chacune contient une infinité de créatures; et, par ce moyen, la sagesse divine distribue tous les possibles, qu'elle avait déjà envisagés à part, en autant de systèmes universels, qu'elle compare encore entre eux; et le résultat de toutes ces comparaisons et réflexions, est le choix du meilleur d'entre tous ces systèmes possibles que la sagesse fait pour satisfaire pleinement à la bonté; ce qui est justement le plan de l'univers actuel. Et toutes ces opérations de l'entendement divin, quoiqu'elles aient entre elles un ordre et une priorité de nature, se font toujours ensemble, sans qu'il y ait entre elles aucune priorité de temps.

En considérant attentivement ces choses, j'espère qu'on aura une autre idée de la grandeur des perfections divines, et surtout de la sagesse et de la bonté de Dieu, que ne sauraient avoir ceux qui font agir Dieu comme au hasard, sans sujet et sans raison. Et je ne vois pas comment ils pourraient éviter un sentiment si étrange, à moins qu'ils ne reconnussent qu'il y a des raisons du choix de Dieu, et que ces raisons sont tirées de sa bonté d'où il suit nécessairement que ce qui a été choisi a eu l'avantage de la bonté sur ce qui n'a point été choisi, et, par conséquent, qu'il est le meilleur de tous les possibles. Le meilleur ne saurait être surpassé en bonté, et l'on ne limite point la puis

:

sance de Dieu, en disant qu'il ne saurait faire l'impossible. «Est-il possible, disait M. Bayle, qu'il n'y ait point de meilleur plan que celui que Dieu a exécuté? » On répond que cela est très-possible et même nécessaire, savoir qu'il n'y en ait point: autrement Dieu l'aurait préféré.

Nous avons assez établi, ce semble, qu'entre tous les plans possibles de l'univers, il y en a un meilleur que tous les autres, et que Dieu n'a point manqué de le choisir.

TROISIÈME PARTIE.

I

Nous voilà débarrassés enfin de la cause morale du mal moral; le mal physique, c'est-à-dire les souffrances, les misères, nous embarrasseront moins, étant des suites du mal moral. « Pœna est malum passionis, quod infligitur ob malum actionis,» suivant Grotius. L'on pâtit, parce qu'on a agi; l'on souffre du mal, parce qu'on fait mal :

[ocr errors]

Nos sumus.

Nostrorum causa malorum

Il est vrai qu'on souffre souvent pour les mauvaises actions d'autrui; mais, lorsqu'on n'a point de part au crime, l'on doit tenir pour certain que ces souffrances nous préparent un plus grand bonheur. La question du mal physique, c'est-à-dire de l'origine des souffrances, a des difficultés communes avec celle de l'origine du mal métaphysique, dont les monstres et

[ocr errors]

les autres irrégularités apparentes de l'univers fournissent des exemples. Mais il faut juger qu'encore les souffrances et les monstres sont dans l'ordre; et il est bon de considérer, non-seulement qu'il valait mieux admettre ces défauts et ces monstres, que de violer les lois générales, comme raisonne quelquefois le révérend Père Malebranche; mais aussi que ces monstres mêmes sont dans les règles, et se trouvent conformes à des volontés générales, quoique nous ne soyons point capables de démêler cette conformité. C'est comme il y a quelquefois des apparences d'irrégularités dans les mathématiques, qui se terminent enfin dans un grand ordre, quand on a achevé de les approfondir: c'est pourquoi j'ai déjà remarqué ci-dessus que, dans mes principes, tous les événements individuels, sans exception, sont des suites des volontés générales.

On ne doit point s'étonner que je tâche d'éclaircir ces choses par des comparaisons prises des mathématiques pures, où tout va dans l'ordre, et où il y a moyen de les démêler par une méditation exacte, qui nous fait jouir, pour ainsi dire, de la vue des idées de Dieu. On peut proposer une suite ou série de nombres tout à fait irrégulière en apparence, où les nombres croissent et diminuent variablement sans qu'il y paraisse aucun ordre; et cependant, celui qui saura la clef du chiffre, et qui entendra l'origine et la construction de cette suite de nombres, pourra donner une règle, laquelle étant bien entendue fera voir que la série est tout à fait régulière, et qu'elle a même de belles propriétés. On le peut rendre encore plus sensible dans les lignes : une ligne peut avoir

des tours et des retours, des hauts et des bas, des points de rebroussement et des points d'inflexion, des interruptions, et d'autres variétés, de telle sorte qu'on n'y voie ni rime ni raison, surtout en ne considérant qu'une partie de la ligne; et cependant, il se peut qu'on en puisse donner l'équation et la construction, dans laquelle un géomètre trouverait la raison et la convenance de toutes ces prétendues irrégularités; et voilà comment il faut encore juger de celles des monstres, et d'autres prétendus défauts dans l'univers.

་་

C'est dans ce sens qu'on peut employer ce beau mot de saint Bernard (Ep. CCLXXVI, ad Eugen. III) : « Ordinatissimum est, minus interdum ordinate fieri aliquid; » il est dans le grand ordre qu'il y ait quelque petit désordre; et l'on peut même dire que ce petit désordre n'est qu'apparent dans le tout, et il n'est pas même apparent par rapport à la félicité de ceux qui se mettent dans la voie de l'ordre.

En parlant des monstres, j'entends encore quantité d'autres défauts apparents. Nous ne connaissons presque que la superficie de notre globe, nous ne pénétrons guère dans son intérieur au delà de quelques centaines de toises : ce que nous trouvons dans cette écorce du globe paraît l'effet de quelques grands bouleversements. Il semble que ce globe a été un jour en feu, et que les rochers qui sont la base de cette écorce de la terre, sont des scories restées d'une grande fusion; on trouve dans leurs entrailles des productions de métaux et de minéraux, qui ressemblent fort à celles qui viennent de nos fourneaux; et la mer tout entière peut être une espèce d'oleum per deliquium,

« PreviousContinue »