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INTRODUCTION.

LEIBNITZ (Godefroy-Guillaume), naquit le 21 juin 1646, à Leipsick, et mourut à Hanovre le 14 novembre 1716.

La Théodicée est l'un de ses derniers écrits, et en même temps l'ouvrage le plus considérable qui soit sorti de sa plume.

Cette vaste composition est à la fois philosophique et théologique. Leibnitz y montre l'accord de la raison et de la foi, en réfutant les objections dirigées contre la Providence divine, telle que les dogmes du christianisme nous la font connaître, et en prouvant que la vraie religion et la vraie philosophie s'accordent pour nous donner la même solution des problèmes les plus élevés et les plus difficiles qu'agite l'esprit humain.

Toute la partie de la doctrine chrétienne, qui concerne le gouvernement moral de Dieu, avait été dans le xvIIe siècle l'objet de très-vives controverses. Comment concilier la liberté de l'homme avec la providence de l'Etre-Suprême, l'existence du mal avec sa bonté, la prédestination et la grâce avec sa justice? Tout le monde en comprenait la difficulté; les ré

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telligence divine, et composaient un nombre infini de mondes, parmi lesquels la sagesse suprême a choisi le meilleur; la création, c'est l'existence accordée à ce monde idéal, le plus parfait de tous. Dans cette région des possibles, Dieu avait vu tous les événements du monde tels qu'ils se passent maintenant dans la réalité, il avait vu la liberté de l'homme, les suites fàcheuses de cette liberté, les souffrances, les misères; et cependant, le monde qui renfermait tous ces maux n'en a pas moins été créé, parce que, dans l'ensemble, il présentait le plus d'ordre, de bien et de perfection possible. La création ne change rien à la nature des événements et à l'essence des êtres à qui Dieu décerne l'existence; l'homme a été créé libre, parce qu'il était libre dans le monde idéal qui a été préféré. La liberté n'est point détruite par la Providence, parce que les actions de l'homme sont telles dans ce monde qu'elles étaient dans le monde idéal, où Dieu voyait l'homme agir librement. La nature de nos actes pas plus qu'aucune autre n'a été changéc par la création. Ils sont certains à l'avance; mais la certitude des événements à venir est loin d'être la nécessité absolue, qui seule détruirait la liberté. Dieu n'enchaîne donc pas notre liberté; il est tout aussi faux de dire qu'il veuille le mal. Ce qu'il veut et ce qu'il produit, c'est le bien, et le plus grand bien; mais précisément parce qu'il veut le bien, il est moralement obligé de permettre le mal que son intelligence infinie

a reconnu être la condition du bien dans le monde le plus parfait. Il est donc très-juste de dire que c'est parce qu'il ne veut pas le mal qu'il y consent. Dans la création ainsi entendue, la liberté demeure avec les mérites et les fautes, le mal ne nuit pas à la perfection de l'ensemble, ne contredit ni la sagesse ni la bonté de Dieu; et les dogmes de la vraie religion ne se trouvent en désaccord ni avec les principes de la raison, ni avec l'expérience qui exerce tant d'empire sur notre esprit.

Tel est cet optimisme de Leibnitz, si souvent mal compris, et ridiculement attaqué : optimisme sage et vrai, qui ne veut point que le mal soit le bien, la souffrance la joie, et le vice la vertu; mais qui proclame que Dieu, par des voies inconnues et adorables, sait rattacher le mal à l'ordre universel, en faire sortir des biens que l'homme ne peut pas toujours comprendre, et que la perfection de l'univers ne doit point se chercher dans quelques détails et dans un coin du monde, mais dans l'ensemble infini des parties et des événements dont il est composé.

La Théodicée est précédée d'un discours sur la conformité de la foi et de la raison. Leibnitz y démontre d'une manière générale que les vérités révélées par la raison éternelle ne peuvent être en opposition avec celles que connaît certainement la raison humaine, dont la première est en même temps le principe et l'objet. Notre raison est imparfaite, non pas parce

qu'elle voit autre chose que la vérité, mais parce qu'elle ne voit pas toute la vérité. La foi peut être au-dessus de notre raison, c'est-à-dire lui révéler ce qu'elle n'atteint pas, mais non pas contraire à la raison; car alors la vérité, dont le premier et le plus excellent caractère est d'être parfaitement liée et conséquente, serait contraire à elle-même.

Nous ne pouvions songer à donner ici la Théodicée entière; la pure théologie y tient une trop grande place; nous n'avons reproduit de l'ouvrage que la partie exclusivement philosophique, et de cette partie seulement celle où Leibnitz expose ses propres idées et développe son beau système. La discussion des objec-" tions de Bayle ne pouvait être scindée, ni proposée tout entière, sans quelque inconvénient, aux jeunes esprits pour qui ce choix a été fait.

ESSAIS

SUR

LA BONTÉ DE DIEU, LA LIBERTÉ DE L'HOMME ET L'ORIGINE DU MAL.

PREMIERE PARTIE.

I

Après avoir réglé les droits de la foi et de la raison d'une manière qui fait servir la raison à la foi, bien loin de lui être contraire, nous verrons comment elles exercent ces droits, pour maintenir et pour accorder ensemble ce que la lumière naturelle et la lumière révélée nous apprennent de Dieu et de l'homme par rapport au mal. L'on peut distinguer les difficultés en deux classes. Les unes naissent de la liberté de l'homme, laquelle paraît incompatible avec la nature divine; et cependant, la liberté est jugée nécessaire pour que l'homme puisse être jugé coupable et punissable. Les autres regardent la conduite de Dieu; elles semblent lui faire prendre trop de part à l'existence du mal, quand même l'homme serait libre et y prendrait aussi sa part. Et cette conduite paraît contraire à la bonté,

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