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insensible, lorsque les sens sont déjà remplis et occupés, au point de ne plus admettre d'impression nouvelle, ne concerne guère que l'odorat et les odeurs, et ne sert pas beaucoup à notre but. Voilà ce que nous avions à dire sur les divers moyens de rendre sensible ce qui est insensible.

Quelquefois, cependant, les objets insensibles pour l'homme frappent les sens de quelque autre animal, sens plus fins et pénétrants, sous un certain rapport, que ceux de l'homme. C'est ainsi que le chien perçoit certaines odeurs; le chat, les oiseaux de nuit, et d'autres animaux qui voient dans les ténèbres, perçoivent une lumière latente dans l'air, lors même qu'il n'est pas éclairé du dehors. Car c'est une juste remarque de Télésio, qu'il y a dans l'air une certaine lumière originale, quoique très-faible et échappant presque entièrement à la vue des hommes et de la plupart des animaux ; parce que ceux à qui elle est sensible voient de nuit, ce qui n'est pas croyable qu'ils puissent faire sans lumière ou par une lumière intérieure.

Il faut bien remarquer que nous traitons ici de l'insuffisance des sens, et des remèdes à cette insuffisance. Car les erreurs des sens proprement dites, doivent être renvoyées aux recherches particulières sur les sens et leurs objets, à l'exception de cette grande erreur des sens, par laquelle ils voient les principaux traits de la nature sous un jour relatif à l'homme, et non au point de vue de la vérité absolue, erreur qui ne peut être corrigée que par la raison et l'ensemble de la philosophie.

41. Parmi les faits privilégiés, nous placerons en

dix-huitième lieu les faits de la route, que nous appelons aussi faits itinéraires et articulés. Ce sont ceux qui montrent les mouvements graduellement continués de la nature. C'est un genre de faits plutôt inobservé qu'inaperçu; car les hommes sont à cet égard d'une négligence étonnante : ils observent la nature en courant et à intervalles, lorsque les corps sont achevés et complets, et non dans le travail de leur élaboration. Cependant celui qui veut connaître les secrets et le talent de quelque ouvrier habile, ne désire pas seulement voir d'abord les matériaux rudes et grossiers, et ensuite l'ouvrage achevé, mais encore et surtout être présent, lorsque l'ouvrier opère et élabore ses matériaux.

C'est ainsi qu'il faut étudier toute l'histoire de la végétation, du développement des germes animés, des œufs, etc. Bacon ajoute qu'il faut veiller près de la nature, qui se dévoile mieux la nuit que le jour. On doit aussi faire de semblables observations sur le mouvement des corps inanimés : — EXEMPLE: Les effets de la chaleur sur les liquides. Mais ce sujet sera traité plus complétement, lorsqu'on s'occupera de la recherche du progrès latent.

42. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en dix-neuvième lieu les faits de supplément ou de substitution, que nous appelons aussi faits de refuge. Ce sont ceux qui nous instruisent, lorsque les sens ne peuvent plus aucunement nous servir, et auxquels par conséquent nous avons recours, lorsque les expériences directes nous manquent. Cette substitution peut se faire de deux manières, ou par gradation, ou par analogie.

EXEMPLES: On ne trouve point de corps qui arrête complétement l'action de l'aimant, mais il en est qui l'affaiblissent plus que les

autres; on n'en trouve point qui ne s'échauffe, mais les uns s'échauffent plus, et les autres moins vite. Ce sont des substitutions par degrés ou gradation.

. La substitution par analogie est utile, mais moins. sûre; c'est pourquoi, il faut l'employer avec prudence. Elle consiste à rendre sensible ce qui est caché, non pas au moyen des opérations visibles du corps insensible, mais par l'examen de quelque corps sensible approchant.

On peut étudier le mélange des esprits ou corps invisibles dans celui de leurs aliments visibles, comme l'huile et l'eau.

Quant à ce que nous avons dit de ces faits de supplément, qu'il faut leur demander des lumières et recourir à eux, lorsque les expériences directes nous manquent, nous devons ajouter que ces faits sont encore d'un grand usage, lors même que nous possédons des expériences directes et qu'ils fortifient singulièrement l'autorité de celles-ci. Mais nous en parlerons avec plus de détails, lorsque nous en viendrons à traiter des secours de l'induction.

43. Parmi les faits privilégiés, nous mettrons en vingtième lieu les faits qui tranchent, que nous appelons aussi faits stimulants, mais pour une autre raison. Nous les appelons stimulants, parce qu'ils stimulent l'intelligence; tranchants, parce qu'ils tranchent en quelque façon la nature; c'est pourquoi, nous les nommons aussi quelquefois faits de Démocrite. Ce sont ceux qui nous avertissent des propriétés et des phénomènes les plus extraordinaires de la nature, pour éveiller l'esprit, exciter son attention et l'engager à observer et à étudier.

EXEMPLES: La divisibilité des métaux, des substances colorantes et odoriférantes; la vitesse de la lumière et des sons; et, plus que tout le reste, la merveille qu'il y a à ce que toutes ces actions, ces émanations et ces fluides traversent l'air en tous sens, sans se nuire ni se contrarier les uns les autres.

Nous rapprochons ordinairement avec avantage des faits qui tranchent les faits que nous appelons limites de la dissection; ainsi, dans les exemples que nous avons cités, une action d'un certain genre ne trouble ni ne contrarie une action d'un autre genre, tandis que dans un même genre, une action surmonte et détruit l'autre; la lumière du soleil fait évanouir l'éclat du ver luisant; le bruit du canon, celui de la voix; une forte odeur, une plus douce; une chaleur intense, une moins élevée; une lame de fer, interposée entre l'aimant et le fer, amortit l'effet de l'aimant. Mais il sera toujours plus à propos de parler de ces faits, lorsque nous traiterons des secours de l'induction.

44. Voilà ce que nous avions à dire des faits qui aident les sens; ils sont surtout utiles pour la partie théorique : car c'est dans les données des sens que la saine théorie a ses racines. Mais la fin dernière de tout l'ouvrage est dans la pratique ; on débute par l'une pour aboutir à l'autre. C'est pourquoi viennent maintenant les faits les plus utiles pour la pratique. Il y en a sept espèces, qui se divisent en deux ordres; nous les appelons tous d'un nom commun faits pratiques.

Les opérations pratiques peuvent avoir un double inconvénient, c'est pourquoi les faits pratiques doivent offrir un double avantage. Une opération peut être ou décevante ou onéreuse. Une opération est surtout dé

cevante, principalement quand on a étudié avec soin les diverses natures, parce que les forces et les actions des corps sont mal déterminées et mesurées. Les forces ét les actions des corps sont circonscrites et mesurées, ou par l'espace, ou par le temps, ou par des rapports de quantité, ou par la supériorité d'une puissance sur les autres; et, si ces quatre conditions ne sont exactement et diligemment calculées, les sciences pourront offrir de belles spéculations, mais, à coup sûr, elles seront stériles. Nous appelons d'un seul nom les quatre espèces de faits relatifs à ces conditions, faits mathématiques ou faits de mesure.

La pratique devient onéreuse, soit à cause de certains travaux inutiles, soit à cause de la multiplicité des instruments ou de la quantité de matière requise pour l'opération. C'est pourquoi, l'on doit faire beaucoup de cas des faits qui dirigent l'opération vers les fins les plus utiles aux hommes, et de ceux qui enseignent à faire économie d'instruments et de matière première. Nous nommons d'un nom commun ces trois espèces de faits, faits propices et bienveillants. Nous parlerons de chacune de ces sept espèces de faits en particulier, et avec eux nous mettrons fin à cette partie de notre ouvrage sur les prérogatives et les priviléges des faits.

45. Parmi les faits privilégiés, nous placerons en vingt et unième lieu, les faits de la verge ou du rayon, que nous appelons aussi faits de transport on de non ultra. Les puissances et les mouvements des choses. opèrent et s'exécutent dans des espaces, non pas indéfinis et fortuits, mais fixes et déterminés; et il est fort important, pour la pratique, d'observer et de noter ces

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