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non pas dans sa vertu propre, mais dans son commerce avec la réalité, nous devons déclarer que l'art des découvertes peut se développer avec les découvertes elles-mêmes.

LIVRE SECOND.

1. Faire naître dans un corps donné une ou plusieurs propriétés nouvelles et l'en revêtir, c'est l'office et le but de l'industrie humaine. Découvrir d'une propriété donnée la forme ou la différence vraie, ou la nature naturante, ou la source d'émanation (ce sont là les termes qui indiquent le mieux ce que nous voulons désigner), c'est l'office et le but de la science humaine. A ce double but essentiel est subordonné un double but secondaire; au premier, la transformation des corps les uns dans les autres, dans les limites du possible; au second, la découverte pour toute génération et tout mouvement, du progrès latent, effectué par un agent manifeste et une matière manifeste, jusqu'à l'achèvement de la nouvelle forme; et aussi la découverte de la constitution cachée des corps en eux-mêmes, et abstraction faite de leurs mouvements.

2. L'extrême imperfection de la science, telle qu'elle existe aujourd'hui, est manifestée même par les idées vulgaires répandues sur son objet. On dit avec raison que connaître véritablement, c'est connaître par les causes. On établit encore assez bien qu'il y a quatre espèces de causes : la matière, la forme, la cause efficiente et la finale. Mais tant s'en faut que la cause

finale serve aux sciences, qu'elle les corrompt plutôt, à moins que l'on n'étudie les actions de l'homme. La découverte de la forme est tenue pour impossible. Quant aux causes efficiente et matérielle, telles qu'on les recherche et qu'on les reçoit, le plus reculées possible et sans le progrès latent vers la forme, rien de plus superficiel et qui ait moins de rapport avec une science véritable et féconde. Nous n'oublions pas que plus haut nous avons noté et corrigé l'erreur de l'esprit humain, par laquelle il attribue aux formes tout ce qu'il y a de plus important dans l'essence. Quoique dans la nature il n'existe véritablement rien que des corps individuels, accomplissant de purs actes individuels d'après une loi; dans la science, cependant, c'est cette loi même, c'est la recherche, la découverte et l'explication de cette loi, qui est le fondement tant de la connaissance que de la pratique. C'est cette loi et ses paragraphes que nous comprenons sous le nom de formes, conservant ainsi une expression généralement répandue et familière à l'esprit.

3. Connaître la cause d'une certaine propriété, comme de la blancheur ou de la chaleur, dans de certains sujets seulement, c'est avoir une science imparfaite. Ne pouvoir produire un effet que sur certaines matières seulement, parmi celles qui en sont susceptibles, c'est avoir une puissance également imparfaite. Connaître les causes efficiente et matérielle seulement, lesquelles causes sont mobiles et fuyantes, et comme les véhicules de la forme que les corps doivent revêtir, c'est pouvoir parvenir à de nouvelles inventions dans une matière semblable jusqu'à un certain point et pré

parée, mais non pas reculer les bornes de la science et de l'industrie, qui ont des fondements plus profonds. Mais connaître les formes, c'est avoir saisi l'unité de nature au milieu des matières les plus dissemblables, et, par conséquent, pouvoir découvrir et produire des phénomènes et des opérations inconnues jusqu'ici, et telles que ni les vicissitudes de la nature, ni la pratique de l'expérience, ni le hasard lui-même ne leur eussent jamais donné le jour, et que l'esprit humain n'y eût jamais songé. Ainsi donc, de la découverte des formes résulte une théorie vraie et une pratique large.

4. Quoique la double voie qui conduit l'homme à la puissance et à la science soit intimement unie et n'en forme en quelque façon qu'une seule, cependant, à cause de cette coutume aussi pernicieuse qu'invétérée de se tenir dans les abstractions, il est plus sûr de donner pour fondement aux sciences les faits constants de leur partie active, et d'assujettir la théorie à la pratique, qui en doit être la régulatrice. C'est pourquoi il faut voir quel précepte, quelle direction on peut surtout désirer pour produire et faire naître sur un corps donné quelque propriété nouvelle, et l'expliquer en termes simples et le plus clairement possible.

Par exemple, si l'on veut donner à l'argent la couleur de l'or, ou un poids plus considérable (en se conformant aux lois de la matière), ou la transparence à quelque pierre non diaphane, ou la ténacité au verre, ou la végétation à quelque corps non végétal; il faut voir, disons-nous, quel précepte et quelle direction on désirerait surtout recevoir. Et d'abord, l'on souhaitera, sans nul doute, recevoir une indication qui ne rende

pas les efforts vains et l'expérience décevante. En second lieu, on souhaitera un précepte qui n'astreigne pas à certains moyens fixes et à certains modes d'opérations particuliers. Car il se pourrait faire que l'on dût renoncer à l'entreprise, n'ayant ni la faculté ni la commodité de recueillir et d'employer de tels moyens. Que s'il existe d'autres moyens et d'autres modes (en dehors de ceux prescrits) de faire naître une telle propriété, peut-être seront-ils de ceux qui se trouvent au pouvoir de l'opérateur; et cependant, renfermé dans les étroites limites du précepte, il ne pourra les mettre en œuvre, ni arriver à terme. En troisième lieu, on souhaitera de se voir indiquer quelque opération ou fait moins difficile à produire que la modification cherchée et plus rapprochée de la pratique. Ainsi donc, on peut déclarer qu'un précepte vrai et parfait pour la pratique doit être certain, large et commode, c'est-àdire nous mener par degrés à l'opération dernière.

Ce qui revient absolument à la découverte de la forme véritable; car la forme d'une certaine propriété est telle que, supposé que cette forme existe, la propriété donnée la suit infailliblement. Elle est partout où est cette propriété, elle en est toujours le signe certain, ou bien elle est toujours certainement manifestée par elle. Cette forme en même temps est telle, que la supprimer c'est détruire infailliblement la propriété donnée. Partout où cette propriété n'est pas, la forme manque ; son absence est une négation certaine de la propriété, à laquelle elle est invariablement et uniquement attachée. Enfin la forme vraie est telle, qu'elle tire la propriété donnée d'un certain fonds d'essence, com

mun à plusieurs natures, et qui est, comme on le dit, plus familier à la nature que cette forme même. C'est pourquoi, l'on doit déclarer que l'axiome ou le précepte vrai et parfait pour la théorie, est qu'il faut trouver une nature conversible avec la nature proposée, et qui soit elle-même la limitation d'une nature plus répandue, et constituant un véritable genre. Ces deux préceptes, pour la pratique et la théorie, sont une seule et même chose; car ce qui est le plus utile dans la pratique, est en même temps le plus vrai dans la science.

5. Le précepte ou l'axiome pour la transformation des corps est d'une double espèce. 11 faut d'abord considérer le corps comme la réunion et l'agrégat de diverses natures simples; ainsi l'or réunit ces propriétés, d'être jaune, d'être pesant, d'avoir tel poids, d'être malléable, ductile dans telles proportions, de ne pas se volatiliser, de ne rien perdre de sa quantité dans le feu, de se liquéfier d'une telle manière, de se diviser et de se rompre de telles façons, et ainsi de toutes les autres propriétés qui se réunissent dans l'or. Un tel précepte apprend donc à produire la substance cherchée, par les formes des natures simples. Car celui qui connaît les formes et les modes de la production du jaune, de la pesanteur, de la ductilité, de la fixité, de la fluidité, de la frangibilité, et des autres propriétés, dans leurs diverses proportions et conditions, travaillera à les réunir toutes dans un certain corps, qui se trouvera ainsi transformé en or. Ce mode d'opération revient au mode principal que nous avons exposé. Car c'est par le même procédé

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