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CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, LIBRAIRES,

IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE,

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SUR

LA VIE ET LES ÉCRITS DE P. L. COURIER '.

La vie d'un grand écrivain est le meilleur commentaire de ses écrits; c'est l'explication et pour ainsi dire l'histoire de son talent. Cela est vrai, surtout de celui qui n'a point suivi les lettres comme une carrière, et dont l'imagination, dans l'âge de l'activité et des vives impressions, ne s'est point appauvrie entre les quatre murs d'un cabinet ou dans l'étroite sphère d'une coterie littéraire. S'il est aujourd'hui peu d'écrivains dont on soit curieux de savoir la vie, après les avoir lus, c'est qu'il en est peu qui frappent par un caractère à eux, et chez qui se révèle l'homme éprouvé et développé, à travers un grand nombre de situations diverses. Les mêmes études faites sous les mêmes maîtres, sous l'influence des mêmes circonstances et des mêmes doctrines, le même poli cherché dans un monde qui se compose de quelques salons, voilà les sources de l'originalité pour beaucoup d'écrivains qui, se tenant par la main depuis le collége jusqu'à l'Académie, vivant entre eux, voyant peu, agissant moins encore, s'imitent, s'admirent, s'entre-louent avec bien plus de bonne foi qu'on ne leur en suppose. De là vient que tant de livres, dans les genres les plus différents, ont une physionomie tellement semblable, qu'on les prendrait pour sortis de la même plume. Vous y trouvez de l'esprit, du savoir, de la profondeur parfois. Le cachet d'une individualité un peu tranchée n'y est jamais. C'est toujours cer

1 Cette notice a été écrite en 1829 pour la première édition des œuvres complètes de Paul-Louis Courier; nous la conservons dans cette nouvelle édition sans aucun changement. Mais depuis cinq ans, de si étranges choses se sont passées; tant de prédictions de Paul-Louis Courier se sont accomplies; ses jugements les plus hardis sur les hommes et sur les choses ont reçu une vérification si triste! Il a été, d'un autre côté, si cruel

lement démenti dans les seuls éloges qu'il ait eu en sa vie le tort de donner à un personnage de sang royal, qu'une revue des écrits de Paul-Louis Courier eût inspiré aujourd'hui M. Armand Carrel tout autrement qu'en 1829. Depuis lors le nom de Paul-Louis Courier a beaucoup grandi; celui de son biographe de 1829 a acquis une importance politique et littéraire qui ajoute au prix de ses premiers écrits. L'Essai sur la vie et les écrits de Paul-Louis Courier a d'ailleurs été assez remarqué en 1829 pour qu'on puisse le considérer comme inséparable de toute édition qui pourrait être ultérieurement donnée des OEuvres de Paul-Louis Courier.

P. L. COURIER.

(Note des éditeurs.)

taine façon roide, précieuse, uniforme, assez exacte, mais sans chaleur, sans vie, décolorée ou faussement pittoresque; cette manière, enfin, qu'un public, trop facilement pris aux airs graves, a tout à fait acceptée comme un grand progrès littéraire. L'exemple est contagieux, et l'applaudissement donné au mauvais goût pervertit le bon : aussi n'at-on plus aspiré à des succès d'un certain ordre, qu'on ne se soit efforcé d'écrire comme les hommes soidisant forts; il a fallu revêtir cette robe de famille pour se faire comptér comme capacité, pour n'être point accusé de folle résistance à la révolution opérée par le dix-neuvième siècle dans les formes dé la pensée.

Si l'affranchissement complet du joug des con ventions d'une époque peut être regardé comme le principal caractère du talent, Paul-Louis Courier a été l'écrivain le plus distingué de ce temps; car il n'est pas une page sortie de sa plume qui puisse être attribuée à un autre que lui. Idées, préjugés, vues, sentiments, tour, expression, dans ce qu'il a produit, tout lui est propre. Vivant avec un passé que seul il eut le secret de reproduire, et devenu lui-même la tentation et le désespoir des imitateurs, il a toujours été, pour ainsi parler, seul de son bord, allant à sa fantaisie, tenant peu de compte des réputations, même des gloires contemporaines, et marchant droit au peuple des lecteurs, parce qu'il était plus assuré d'être senti par le grand nombre illettré qu'approuvé par les académiciens et les docteurs de bonne compagnie. Trop savant pour n'avoir pas vu que nul ne l'égalait en connaissance des ressources générales du langage et du génie particulier de notre littérature, convaincu que ses vagabondes études lui avaient appris ce que les livres n'avaient pu enseigner à aucun autré, il n'écouta ni critiques ni conseils. Au milieu de gens qui semblaient travailler à se ressembler les uns aux autres, et qui faisaient commerce des douceurs réciproques de la confraternité littéraire, il se présenta seul, sans prôneurs, sans amis, sans compères, parla comme il avait appris, du ton qu'il jugea lu

convenir le mieux, et fut écouté. Il arriva jusqu'à la célébrité sans avoir consenti à se réformer sur aucun des exemples qui l'entouraient, sans avoir subi aucune des influences sous lesquelles des talents non moins heureusement formés que le sien avaient perdu le mouvement, la liberté, l'inspiration. Mais aussi quelle vie plus errante et plus recueillie; plus semée d'occupations, d'aventures, de fortunes diverses; plus absorbée par l'étude des livres et plus singulièrement partagée en épreuves, en expériences, en mécomptes du côté des événements et des hommes? En considérant cette vie, on convient qu'en effet Courier devait rester de son temps un écrivain tout à fait à part.

ber aux sciences. Il entrait toujours plus à fond dans cette littérature unique, devinant déjà tout le profit qu'il en devait tirer plus tard en écrivant sa langue maternelle. Cependant la révolution éclatait. Les événements se pressaient, et menaçaient d'arracher pour longtemps les hommes aux habitudes studieuses et retirées. Le temps était venu où il fallait que chacun eût une part d'activité dans le mouvement général de la nation. On se sentait marcher à la conquête de la liberté. La guerre se préparait. On pouvait présager qu'elle durerait tant qu'il y aurait des bras en France et des émigrés au delà du Rhin. Les circonstances voulurent donc que le jeune Courier sacrifiât ses goûts aux vues que son père avait de tout temps formées sur lui. Il entra à l'école d'artillerie de Châlons: il y était au moment de l'invasion prussienne de 1792. La ville était alors tout en trouble, et le jeune Courier, employé comme ses camarades à la garde des portes, fut soldat pendant quelques jours. L'invasion ayant cédé aux hardis mouvements de Dumouriez dans l'Argone, Paul-Louis eut le loisir d'achever ses études militaires; enfin, en 1793, il sortit de l'école de Châlons officier d'artillerie, et fut dirigé sur la frontière.

Paul-Louis Courier est né à Paris en 1773. Son père, riche bourgeois, homme de beaucoup d'esprit et de littérature, avait failli être assassiné par les gens d'un grand seigneur, qui l'accusait d'avoir séduit sa femme, et qui en revanche lui devait, sans vouloir les lui rendre, des sommes considérables. L'aventure avait eu infiniment d'éclat, et le séducteur de la duchesse d'O... avait dû quitter Paris et aller habiter une province. Cette circonstance fut heureuse pour le jeune Courier. Son père, retiré dans les beaux cantons de Touraine, dont les noms Ici commence la vie militaire de Courier, l'une ont été popularisés par le Simple Discours et la des plus singulières assurément qu'aient vues les Pétition des Villageois qu'on empêche de danser, longues guerres et les grandes armées de la révoluse consacra tout à fait à son éducation. Ce fut donc tion. Ceci n'est point une exagération. Ouvrez nos en ces lieux mêmes, et dans les premiers entretiens énormes biographies contemporaines. Presque à paternels, que notre incomparable pamphlétaire chaque page est l'histoire de quelqu'un de ces cipuisa l'aversion qu'il a montrée toute sa vie pour toyens, soldats improvisés en 1792, qui, faisant une certaine classe de nobles, et ce goût si pur de peu à peu de la guerre leur métier, s'avancèrent l'antiquité que respirent tous ses écrits. Il s'en fal- dans les grades et moururent, çà et là, sur les lait beaucoup, toutefois, que l'élève fût deviné par champs de bataille, obtenant une mention plus ou le maître. Paul-Louis était destiné par son père à moins brillante. Quelle famille n'a pas eu ainsi son la carrière du génie. A quinze ans, il était entre les héros, dont elle garde encore le plumet républicain mains des mathématiciens Callet et Labey. Il mon- ou la croix impériale, et qu'elle a eu le soin d'imtrait sous ces excellents professeurs une grande mortaliser par une courte notice dans le Moniteur facilité à tout comprendre, mais peu de cette cu- ou dans les tables nécrologiques de M. Panckoucke? riosité, de cette activité d'esprit, qui seules font Toutes ces vies d'officiers morts entre le grade de faire de grands progrès dans les sciences exactes. capitaine et celui de commandant de brigade ou Son père eût voulu que ses exercices littéraires ne de division se ressemblent. Quand on a dit leur fussent pour lui qu'une distraction, un soulagement enthousiasme de vingt ans, le feu sacré de leur à des travaux moins riants et plus utiles. Mais Paul- âge mûr, leurs campagnes par toute l'Europe, les Louis était toujours plus vivement ramené vers victoires auxquelles ils ont contribué, perdus dans les études qui avaient occupé sa première jeunesse. les rangs, les drapeaux qu'ils ont pris à l'ennemi, La séduction opérée sur lui par quelques écrivains enfin leurs blessures, leurs membres emportés, leur anciens, déjà ses modèles favoris, augmentait avec fin glorieuse, il ne reste rien à ajouter qui montre les années et par les efforts qu'on faisait pour le en eux plus que l'homme fait pour massacrer et pour rendre savant plutôt qu'érudit : il eût donné, di- être massacré. C'est vraiment un bien autre héros sait-il, toutes les vérités d'Euclide pour une page que Courier. Soldat obligé à l'être, et sachant le méd'Isocrate. Šes livres grecs ne le quittaient point; tier pour l'avoir appris, comme Bonaparte, dans une il leur consacrait tout le temps qu'il pouvait déro-école, il prend la guerre en mépris dès qu'il la voit de

près, et toutefois il reste ou l'éducation et les événements l'ont placé. Le bruit d'un camp, les allées et venues, décorées du nom de marches savantes, lui paraissent convenir autant que le tapage d'une ville à la rêverie, à l'observation, à l'étude sans suite et sans travail de quelques livres, faciles à transporter, faciles à remplacer. Le danger est de plus; mais il ne le fuit ni ne le cherche. Il y va pour savoir ce que c'est et pour avoir le droit de se moquer des braves qui ne sont que braves. On s'avance autour de lui; on fait parler de soi; on se couvre de gloire; on s'enrichit de pillage; pour lui, les rapports des généraux, le tableau d'avancement, l'ordre du jour de l'armée, ne sont que mensonges et cabales d'état-major: il se charge souvent des plus mauvaises commissions, sans trouver moyen de s'y distinguer, comme si c'était science qu'il ignore; et quant à son lot de vainqueur, il le trouve à voir et revoir les monuments des arts et de la civilisation du peuple vaincu. Encore est-ce à l'insu de tout le monde qu'il est érudit, qu'il se connaît en inscriptions, en manuscrits, en langues anciennes; il est aussi peu propre à faire un héros de bulletin qu'un savant à la suite des armées, pensionné pour estimer les dépouilles ennemies, et retrouver ce qui n'est pas perdu. Quinze années de sa vie sont employées ainsi, et au bout de ce temps les premières pages qu'il livre au public révèlent un écrivain tel que la France n'en avait pas eu depuis Pascal et la Fontaine. Assurément ce n'était pas trop de dire que cette carrière militaire a été unique en son genre pendant les longues guerres de notre révolution.

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occasions, il passait le meilleur de son temps à bouquiner dans les abbayes et les vieux châteaux des deux rives du Rhin. Les lettres qu'il écrivait alors à sa mère sont, comme toutes celles de l'époque, retenues mystérieuses, faisant à peine allusion aux affaires; un sentiment triste et peu confiant dans l'avenir y domine. Mais à la manière dont le jeune officier d'artillerie parle de ses études et de ses livres, on voit déjà sa carrière et ses systèmes d'écrivain tout à fait tracés: « J'aime, dit-il, à relire les livres << que j'ai déjà lus nombre de fois, et par là j'acquiers << une érudition moins étendue, mais plus solide. « Je n'aurai jamais une grande connaissance de l'histoire, qui exige bien plus de lectures; mais « j'y gagnerai autre chose, qui vaut mieux, selon << moi. » C'est ainsi que Courier a étudié toute sa vie ; tel a été aussi presque invariablement son peu de goût pour l'histoire. Il ne l'a jamais lue pour le fond des événements, mais pour les ornements dont les grands écrivains de l'antiquité l'ont parée. Bonaparte, tout jeune, avait deviné la politique et la guerre dans Plutarque. Courier, lieutenant d'artillerie, faisait ses délices du même historien; mais il le prenait comme artiste, comme ingénieux conteur. La vie d'Annibal ne le ravissait que comme Peaud'Ane conté eût charmé la Fontaine. Il a toujours persisté dans cette préférence qui semble d'un esprit peu étendu, et cependant, en s'abandonnant à elle, il a su de l'histoire tout ce qu'il lui en fallait pour être un écrivain politique de premier ordre. Il a beaucoup cité, beaucoup pris en témoignage l'histoire de tous les temps, et toujours avec un sens qui n'appartenait qu'à lui, avec une raison, une force, une sûreté d'applications toujours accablantes pour les puissances qu'il voulait abattre.

Sans doute, avec de l'instruction et du caractère, il fallait bien peu ambitionner l'avancement pour n'en pas obtenir un très-rapide, lorsque Courier arriva, en 1793, à l'armée du Rhin. C'était le fort En 1795, on voit Courier, toujours officier subalde la révolution, et il suffisait d'être jeune et de terne dans l'artillerie, quitter subitement l'armée montrer de l'enthousiasme pour être porté aux plus devant Mayence, et rentrer en France sans autorihauts grades. Hoche, général d'armée, âgé de vingt-sation du gouvernement. La misère, les privations, trois ans, et commandant sur le Rhin, avait un chef d'état-major de dix-huit ans, et était entouré de colonels et de chefs de brigade qui n'en avaient pas vingt. Il en était de même sur toute la frontière. Courier, qui servit jusqu'en 1795 aux deux armées du Rhin et de Rhin-et-Moselle, n'eut point le feu républicain que les commissaires de la Convention récompensaient avec tant de libéralité. Il n'éprouva probablement pas non plus pour les proconsuls le dévouement et l'admiration qu'ils inspiraient à de jeunes militaires plus ardents et moins instruits que lui. Se laissant employer, et s'offrant peu aux

Voir les Mémoires récemment publiés par le maréchal Gouvion Saint-Cyr.

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les travaux sans compensation de gloire et de succès à ce blocus de Mayence, sont peut-être la plus rude épreuve qu'aient eue à subir nos armées républicaines : le maréchal Gouvion Saint-Cyr en fait dans ses Mémoires une peinture lamentable. A propos de cette campagne, Courier a depuis écrit : « J'y pensai geler, et jamais je ne fus si près d'une crisa tallisation complète. » Mais il paraît qu'il eut pour abandonner son poste un motif plus excusable que la crainte d'être surpris par le froid dans la tranchée et cristallisé. Son père venait de mourir, et la nécessité toute filiale de voler auprès de sa mère malade et désespérée, lui avait fait oublier le devoir qui l'attachait à ses canons. A la suite de cette es

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