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Je chauvý de l'oreille, & demourant penfif
L'efchine j'alongeois comme un afne retif,
Minutant me fauver de cefte tyrannie.
Il le juge à refpe&t. O ! fans ceremonie,
Je vous fuply, dit-il, vivons en compagnons.
Ayant, ainfi qu'un pot, la main fur les roignons,
Il me pouffe en avant, me préfente la porte,
Et fans refpect des faincts, hors l'église il me porte
Auffi froid qu'un jaloux qui voit fon corrival.
Sortis, il me demande : Eftes-vous à cheval?
Avez vous point icy quelqu'un de vostre troupe ?
Je suis tout feul, à pied. Luy, de m'offrir la croupo
Moy, pour m'en depeftrer, luy dire tout exprès:
Je vous baife les mains, je m'en vais icy près
Chez mon oncle difner. O Dieu! le galant homme!
J'en fuis. Et moy pour lors, comme un bœuf qu'on,
affomme,

Je laiffe choir la tefte ; & bien peu s'en falut,
Remettant par defpit en la mort mon falut,
Que je n'allaffe alors, la tefte la premiere,
Me jetter du pont neuf à bas en la riviere.
INSENSIBLE il me traîne en la court du Palais,
Qu trouvant par hazard quelqu'un de fes valets,
Il l'appelle & luy dit; Hola hau, Ladreville,
Qu'on ne m'atende point, je vay difner en ville.
DIEU fçait fi ce propos me traverfa l'esprit !
Encor n'eft-ce pas tout : il tire un long efcrit,

Que voyant je fremy. Lors, fans cageollerie,
Monfieur, je ne m'entends à la chicannerie,
Ce luy dis-je, feignant l'avoir veu de travers.
Auffi n'en est-ce pas, ce font des mefchans vers,
(Je cogneu qu'il eftoit véritable à fon dire)
Que pour tuer le temps je m'efforce d'efcrire ;
Et pour un courtifan, quand vient l'occasion,
Je monftre que j'en fçay pour ma provision.

IL lit: & fe tournant brufquement par la place,
Les banquiers eftonnez admiroient fa grimace,
Et monftroient en riant qu'ils ne luy euffent pas
Presté fur fon minois quatre doubles ducats,
(Que j'euffe bien donnez pour fortir de fa pate ).
Je l'escoute; & durant que l'oreille il me flate,
(Le bon Dieu fçait comment ) à chasque fin de vers,
Tout exprès je difois quelque mot de travers.
Il pourfuit, nonobftant, d'une fureur plus grande,
Et ne ceffa jamais qu'il n'eut faist sa legende.

ME voiant froidement fes œuvres advouer,
11 les ferre, & fe met luy mefme à fe louer;
Doncq' pour un cavalier n'eft-ce pas quelque chofe?
Mais, Monfieur,n'avez-vous jamais veu de ma profet
Moy de dire que fi, tant je craignois qu'il euft
Quelque procez verbal, qu'entendre il me fallust.
Encore, dites-inoy en voftre confcience,
Pour un qui n'a du tout acquis nulle fçience,

Cecy n'eft-il pas rare ? Il est vray,
fur ma foy,
Luy dis-je, fouriant. Lors fe tournant vers moy,
M'accolle à tour de bras; & tout petillant d'aife,
Doux comme une espousée, à la joue il me baise:
Puis me flattant l'épaule, il me fit librement
L'honneur que d'approuver mon petit jugement.
Après cefte carresse, il rentre de plus belle.
Tantoft il parle à l'un, tantoft l'autre il appelle,'
Tousjours nouveaux discours; & tant fut-il humain,
Que tousjours de faveur il me tint par la main.
J'ay peur que fans cela, j'ay l'ame si fragile,
Que le laissant d'aguet, j'eufse peu faire gile :
Mais il me fut bien force, eftant bien attaché,
Que ma difcretion expiaft mon peché.

QUEL heur ce m'euft efté, fi, fortant de l'efglife,
Il m'euft conduit chez luy, & m'ostant la chemise,
Ce beau valet, à qui ce beau maistre parla,
M'euft donné l'anguillade, & puis m'euft laissé là !
Honorable defaite ! heureufe efchappatoire !
Encore de rechef me la fallut-il boire.

IL vint à reparler deffus le bruit qui court,
De la Royne, du Roy, des Princes, de la Court;
Que Paris eft bien grand; que le pont-neuf s'acheve;
Si plus en paix qu'en guerre un empire s'efleve.
Il vint à definir que c'estoit qu'amitié,
Et tant d'autres vertus, que c'en cftoit pitié.

Mais il ne definit, tant il eftoit novice,
Que l'indifcretion est un si fascheux vice,

Qu'il vaut bien mieux mourir de rage ou de regret,
Que de vivre à la gefne avec un indifcret.

TANDIS que ces difcours me donnoient la torture
Je fonde tous moyens, pour voir fi d'aventure
Quelque bon accident euft peu m'en retirer
Er m'empefcher en fin de me defefperer.

VOYANT un Prefident, je luy parle d'affaire ;
S'il avoit des procez, qu'il étoit neceffaire
D'eftre tousjours après ces Meffieurs bonneter;
Qu'il ne laiffaft, pour moy, de les folliciter;
Quant à luy, qu'il eftoit homme d'intelligence,
Qui fçavoit comme on perd fon bien par negligence;
Qù marche l'intereft, qu'il faut ouvrir les yeux.
Ha! non, Monfieur, dit-il, j'aimerois beaucoup
mieux

Perdre tout ce que j'ay, que voftre compagnie
Et fe mift auffi toft fur la ceremonie.

Moy, qui n'ayme à debattre en ces fadèfes là,
Un temps, fans luy parler, ma langue vacila :
En fin je me remets fur les cageolleries,
Luy dis (comme le Roy eftoit aux Tuilleries)
Ce qu'au Louvre on difoit qu'il feroit ce jourd'huy;
Qu'il devroit fe tenir tousjours auprès de luy.

Dieu fçait combien alors il me dit de fottifes,
Parlant de fes hauts faits, & de fes vaillantifes;
Qu'il avoit tant fervy, tant fai& la faction,
Et n'avoit cependant aucune pension ;

Mais qu'il fe confoloit, en ce qu'au moins l'histoire, Comme on faict fon travail, ne defroboit fa gloire; Et s'y met fi avant, que je creu que mes jours Devoient plustoft finir, que non pas fon discours.

MAIS comme Dieu voulut, après tant de demeures,
L'orloge du Palais vint à frapper unze heures;
Et luy, qui pour la souppe avoit l'esprit fubtil:
A quelle heure, Monfieur, vostre oncle difne-t'il?
Lors bien peu s'en falut, fans plus long temps at-
tendre,

Que de rage au gibet je ne m'allaffe pendre ;
Encor l'euffé-je fair, eftant defefperé:

Mais je croy que le ciel, contre moy conjuré,
Voulut que s'accomplist ceste avanture mienne,
Que me dift, jeune enfant, une Bohemienne :
Ni la pefte, la faim, la verolle, la tous,

La fievre, les venins, les larrons, ny les lous,
Ne tueront ceftuy-cy; mais l'importun langage
D'un fafcheux: qu'il s'en garde, eftant grand, s'il est
fage.

COMME il continuoit cefte vieille chanson,
Voicy venir quelqu'un d'affez pauvre façon.

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