es yeux, sa contenance ; ains, fans diffimuler, Qui plus avoit d'amour, mieux en sçavoit parler. La beauté, la douceur, le merite, & l'adresse, Eftoyent les feuls efforts pour vaincre une maiftreffe Simple & fans artifice, & qui ne fçavoit pas Ufer felon les tans de rigueurs ou d'appas, Façonner un fou-ris, compofer fes œillades
Pour rendre en fe jouant les jeunes cœurs malades. Mais, qui plus eft auffi, l'or n'avoit aucun pris: Carquans, perles, rubis, n'euffent meu les efprits De la moindre bergere; ains l'amitié prisée Sur toute autre richeffe eftoit authorifée.
Mais comme peu à peu le vice s'avança,
que cefte faifon en une autre passa,
Et que l'or jauniffant fe mit en évidence, Et que la fermeté fit place à l'inconftance, Qu'on fe fçeut déguiser, & qu'on fçeut finement Au poids de la richeffe eftimer un amant, Qu'on peut de cent façons couvrir sa fantasie, Et du beau nom d'honneur masquer l'hypocrisie ; Amour, tout eftonné de voir fi toft changé Un peuple, qui n'aguere eftoit fi bien rangé, Detestant leur malice, ainsi se prit à dire :
Il faut, il faut ( dit-il ) qu'ailleurs je me retire: Ce peuple eft miferable, & ne connoift combien Il a par ma faveur receu d'aise & de bien.
L'EFFET fut auffi pront que la voix prononcée : Car d'un aile à plain vol par le vague élancée Il fe perd dans la nue, où fouftenu de l'air, Pour dire ces propos il ceffa de voler:
Tu t'en repentiras, race ingrate & chétive; Et regrettant trop tard le bien dont tu te prive Reconnoiftras en bref combien font differans Les vrais contentemens des plaifirs apparans, Et combien mon ardeur dans le ciel allumée Brûloit plus doucement que ta vaine fumée. Car comme tous enfemble avez fait le peché, Sur tous de ma fureur le trait fera lâché.
Vous, hommes, les premiers qui n'avez voulu fuivre Le doux train des plaisirs où je vous faifois vivre, Qui vous eftes laffez de la fimplicité,
Qui penfez par le change acquerir liberté ; Pour les fimples bontez qu'avez tant mefprifées, Vous aurez deformais des maistresses rufées, Au cœur diffimulé, fans foy, fans amitié, A qui le mieux aymant fera moins de pitié, Et dont tout l'artifice & la plus belle gloire Sera de vous furprendre & vous en faire accroire. Leurs regards, leurs fous-ris, leurs geftes,leurs propos Seront tous façonnez contre voftre repos;
Ores yous retenant fi l'espoir vous emporte,
Ores vous donnant cœur fi la crainte eft trop forte;
Puis de nouveaux foucis vos efprits martelant, Et tousjours aux glaçons la flamme entremeslant, L'abfynthe avec le miel, la joye à la tristesse. Et parmy les attraits une grave rudeffe ; Afin que voftre esprit, par la diversité Confus & chancellant, foit tousjours agité. Combien lors forcenez aurez vous de martyre? Combien de foux propos alors fçaurez-vous dire? Combien de juremens de plus ne les revoir, Qui n'auront toutesfois un moment de pouvoir ? Car il ne faudra rien qu'une larme contrainte, Un regard pitoyable, une parole fainte,
Pour plus fort vous reprendre, & croire fermement Ce que vous aurez veu n'eftre qu'enchantement. Lors, pour plus me venger,je changeray mes fleches, Mon carquois & mon arc, & feray mille bréches Diverfes en vos cœurs, & non comme autresfois Quand vous reconnoiffiez mon empire & mes loix,
CESTUY celle aimera qui ne fera point belle; Et l'autre celle-la qui fera la rebelle Sous le voile d'honneur, & ne doutera pas D'en tenir toute nuic un autre entre fes bras, Tandis que le chetif dans fon ame piquée Adorera Lamie en Lucrece masquée ;
L'autre à bon droit craintif, l'inconftance doutant, Bien qu'il foit jouissant, ne sera pas contant;
L'autre fera prodigue, afin qu'on le guerdonne; Et ne connoistra pas que celuy qui plus donne En doit avoir le moins, afin qu'en esperant Pour parvenir au but, on ait le demeurant. Bref, je vous feray voir fi l'homme est miserable, Qui vit deffous le joug de la femme muable, Afin que vous fouffriez ce qu'avez merité, Pour avoir un grand Dieu folement depité.
ET vous, Dames, & vous qui n'avez tenu conte De la force d'un Dieu qui tous les Dieux furmonte, C'eft à vous que j'en veux, pour vous faire fentir Si de fe prendre à moi l'on fe doit repentir : C'est à vous que j'en veux, qui avez preferée A la faincte amitié la richeffe dorée, Le vice à la vertu, l'ignorance au fçavoir, Et l'orde convoitife au fidelle devoir, Et n'avez eftimée eftre chofe vilaine Du revenu du lict accroiftre fon domaine. Vous ne jouyrez plus du doux contentement Qui provient de l'Amour qu'on fent également. Vous aimerez les grands, à caufe des richesses: Et les grands, comme vous, fçauront mille finesses Pour vous amadouer; car en tous leurs difcours De conftance & de foy vous parleront tousjours, Pour parvenir au but où l'amoureux aspire; Puis, leur defir finy, ne s'en feront que rire,
Changeront de penfée & vous delaifferont, Et par mefmes appas autres pourchafferont, Pour monftrer leur adreffe, & pour avoir la gloire De triompher fur vous d'une pauvre victoire.
TOUT ainfi que l'on yoit le chaffeur qui poursuit Ardant, impatient, le lievre qui s'enfuit, Ores fur la montagne, or' à travers la plaine, Et pour bien peu de chofe il prend beaucoup de paine Car la chaffe lui plaift, & le plaifir qu'il prend Mille & mille fois plus que ce qu'il en attend: Ainfi feront les grands en l'amoureuse chaffe, Qui n'efpargneront rien pour gaigner vostre grace, Soufpirs, pleurs, ny fermens; puis, dès qu'ils vous tiendront,
A quelque autre beauté leurs filés ils tendront.
Yous alors, qui verrez leur foy diffimulée Et leur amitié fainte au vent s'en eftre allée,
Bien que mon feu divin votre cœur n'ait efpoint, Et que de vraye amour au dedans n'ayez point, Vous aurez de defpit l'ame toute embrasée, Voyant voftre beauté fi foudain mefprifée; Et brûlerez de rage, alors qu'on vous dira Que de ce nouveau bien quelque autre jouyra : Car je veux, pour monftrer les forces de mon ire, Que vous vous efforciez l'un à l'autre de nuire
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