Page images
PDF
EPUB

Laiffant là ces docteurs que les Muses inftruisent
En des airs tous nouveaux : & s'ils font, comme ils
difent,

De fes fautes un livre auffi gros que le fien,
Telles je les croiray quand ils auront du bien;
Et que leur belle Mufe, à mordre fi cuifante,
Leur donra, comme à luy, dix mille efcus de rente }
De l'honneur, de l'eftime, & quand par l'univers
Sur le lut de David on chantera leurs vers,
Qu'ils auront joint l'utile avecq' le delectable,
Et qu'ils fçauront rimer une auffi bonne table.

ON faict en Italie un conte affez plaifant,
Qui vient à mon propos, qu'une fois un paysant,
Homme fort entendu & fuffifant de tefte,
Comme on peut aifement juger par fá requeste,
S'en vint trouver le Pape, & le voulut prier
Que les preftres du temps se puffent marier;
Afin, ce difoit-il, que nous puiffions, nous autres,
Leurs femmes careffer, ainfi qu'ils font les noftres.

AINSI fuis-je d'avis, comme ce bon lourdaut,
S'ils ont l'efprit fi bon, & l'intellect fi haut,
Le jugemenc fi clair, qu'ils faffent un ouvrage
Riche d'inventions, de fens & de langage,
Que nous puiffions draper comme ils font nos ef

ctits,

Et voir, comme l'on dit, s'ils font fi bien appris.

Qu'ils montrent de leur eau, qu'ils entrenten carriere? Leur âge deffaudra plufteft que la matiere.

Nous fommes en un fiecle où le Prince eft fi grand,
Que tout le monde entier à peine le comprend.
Qu'ils facent,par leurs vers,rougir chacun de honte.
Et comme de valeur noftre Prince furmonte

Hercule, Anée, Achil'; qu'ils oftent les lauriers
Aux vieux,comme le Roy l'a fait aux vieux guerriers:
Qu'ils compofent une œuvre ; on verra fi leur livre,
Après mille & mille ans, fera digne de vivre,
Surmontant par vertu l'envie & le destin,
Comme celuy d'Homere, & du chantre Latin.
MAIS, Rapin mon amy, c'eft la vieille querelle,
L'homme le plus parfai& a manque de cervelle;
Et de ce grand deffaut vient l'imbecilité,
Qui rend l'homme hautain, infolent, effronté;
Et, felon le fubje&t qu'à l'œil il se propose,
Suivant fon appetit il juge toute chose.

AUSSI, felon nos yeux, le Soleil eft luisant.
Moy mefine, en ce difcours qui fais le suffisant,
Je me cognoy frappé, fans le pouvoir comprendre,
Et de mon ver-coquin je ne me puis deffendre.

SANS juger, nous jugeons, eftant noftre raison
Là haut dedans la tefte, où, felon la faifon

Qui regne en noftre humeur, les brouillards nous embrouillent,

Et de lievres cornus le cerveau nous barbouillent.

PHILOSOPHES refveurs, difcourez hautement:
Sans bouger de la terre allez au firmament;
Faites que tout le ciel branle à voftre cadence;
Et pefez vos difcours mefme dans fa balance ;
Gognoiffez les humeurs qu'il verfe deffus nous,
Ce qui fe fait deffus, ce qui fe fait deffous;
Portez une lenterne aux cachots de nature;
Scachez qui donne aux fleurs ceste aimable peinture
Quelle main fur la terre en broye la couleur,
Leurs fecrettes vertus, leurs degrez de chaleur;
Voyez germer à l'œil les femences du monde ;
Allez mettre couver les poiffons dedans l'onde;
Defchiffrez les fecrets de Nature & des Cieux,
Voftre raison vous trompe, auffi bien que vos yeux.

OR, ignorant de tout, de tout je me veux rire,
Faire de mon humeur moy mefme une Satyre,
N'eftimer rien de vray qu'au gouft il ne foit tel,
Vivre, & comme Chreftien adorer l'Iminortel,
Où gift le feul repos, qui chasse l'ignorance:
Ce qu'on void hors de luy n'eft que fotte apparence,
Piperie, artifice : encore, ô cruauté

Des hommes & du temps ! noftre meschanceté
S'en fert aux paffions; & deffous une aumuffe,
L'ambition, l'amour, l'avarice fe muffe.
L'on fe couvre d'un froc pour tromper les jaloux;
Les temples aujourd'hui fervent aux rendez-vous ;
Derriere les pilliers ont oit mainte fornette ;
Et, comme dans un bal, tout le monde y caquette. *

On doit rendre, fuivant & le temps & le lieu,
Ce qu'on doit à Cefar, & ce qu'on doit à Dieu.
Et quant aux appettis de la fottife humaine,
Comme un homme fans gouft,je les ayme fans peine
Auffi bien rien n'eft bon que par affection;
Nous jugeons, nous voyons, felon la paffion.

LE foldat aujourd'huy ne refve que 13 guerre;
En paix le laboureur veut cultiver sa terre ; .
L'avare n'a plaifir qu'en fes doubles ducas:
L'amant juge fa dame un chef d'œuvre icy bas
Encore qu'elle n'ait fur foy rien qui foit d'elle
Que le rouge & le blanc par art la faffe belle,
Qu'elle ante en fon palais fes dents tous les matins
Qu'elle doive fa taille au bois de fes patins,

[ocr errors]

Que fon poil dès le foir frizé dans la boutique
Comme un cafque au matin fur fa tefte s'applique
Qu'elle ait comme un piquier le corcelet au dos,
Qu'à grand' peine fa peau puiffe couvrir fes os
Et tout ce qui de jour la fait voir fi doucette
La nuit comme en depoft foit deffous la toillette :
Son efprit ulceré juge, en fa paffion,
Que fon teint fait la nique à la perfection.

LE foldat tout ainfi pour la guerre foufpire;
Jour & nuict il y penfe, & tousjours la defire;
Il ne refve la nuit que carnage & que fang:
La pique dans le poing, & l'eftoc fur le flang

Il penfe mettre à chef quelque belle entreprise ; Que, forçant un chafteau, tout eft de bonne prife Il fe plaift aux trefors qu'il cuide ravager,

Et que l'honneur luy rie au milieu du danger.

L'AVARE, d'autre part, n'ayme que la richesse,
C'eft fon Roy, fa faveur, fa cour, & fa maistreffe:
Nul object ne luy plaift, finon l'or & l'argent ;
Et tant plus il en a, plus il eft indigent.

LE payfant d'autre foin fe fent l'ame embrasée.
Ainfi l'humanité fottemenc abufée

Court à fes appetits, qui l'aveuglent fi bien,
Qu'encor qu'elle ait des yeux fi ne voit elle rien.
Nul chois hors de fon gouft ne reigle son envie ;
Mais s'aheurte où fans plus quelque apas la convie.
Selon fon appetit le monde se repaist,

Qui fait qu'on trouve bon feulement ce qui plaift.

O debile raifon! où eft ores ta bride?

Où ce flambeau, qui fert aux personnes de guide?
Contre la paffion trop foible eft ton fecours;
Et fouvent, courtisane, après elle tu cours;
Et favourant l'appas qui ton ame enforcelle,
Tu ne vis qu'à son gouft, & ne vois que par elle.
Delà vient qu'un chacun, mefmes en fon deffaut,
Pense avoir de l'efprit autant qu'il luy en faut.
Auffi rien n'eft party si bien par la Nature
Que le fens: car chacun en a fa fourniture.

« PreviousContinue »