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(15 centimes dans les départements et dans les gares de chemins de fer.)

LA

SEMAINE DES ENFANTS

MAGASIN D'IMAGES ET DE LECTURES AMUSANTES ET INSTRUCTIVES.

PUBLICATION DE CH. LAHURE ET Cie, IMPRIMEURS A PARIS.

On s'abonne à Paris : au Bureau du Journal, rue de Fleurus, 9; à la Librairie de MM. L. Hachette et Cie, boulevard Saint-Germain, 77, et chez tous les Libraires. Les abonnements se prennent du 1er de chaque mois. Paris, six mois, 6 fr.; un an, 11 fr. Départements, six mois, 8 fr. ur an, 15 fr. Les manuscrits déposés ne sont pas rendus.

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CONTES, HISTORIETTES, DRAMES: Le charmeur de serpents (suite). RECITS HISTORIQUES: Régulus; Plaisanterie d'un grand homme; Le mousquetaire. - VARIÉTÉS : Le baromètre brisé; Le chat; La maison carrée, à Nîmes.

CONTES, HISTORIETTES, DRAMES.

LE CHARMEUR DE SERPENTS.
V. La rencontre.

J'avais à peine avancé de trois pas, que je m'arrêtai tout à coup. Je venais de voir un homme en face de moi, sur la lisière de la forêt. Cet homme était un nègre, qui, en m'apercevant, s'était arrêté court, surpris probablement de rencontrer un autre homme dans ce lieu désert.

Je saluai son apparition d'un cri de joie.

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Un guide! un libérateur! pensais-je.

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Quel fut mon étonnement, mon chagrin, mon indignation, quand cet homme me tourna le dos subitement et, s'enfonçant dans les broussailles, disparut à mes yeux!

J'étais étonné de cette étrange conduite. Je venais d'apercevoir la figure de cet homme au moment où il s'était détourné; j'avais remarqué qu'il paraissait effrayé. Mais qu'y avait-il en moi qui pût l'épouvanter?

Je lui criai de s'arrêter, de revenir sur ses pas. J'appelai d'un ton suppliant, puis avec l'accent du commandement, puis en menaçant. Ce fut en vain. Il ne s'arrêtait pas. J'entendis craquer les branches dans le fourré; à chaque instant le bruit semblait s'éloigner.

Je n'avais que cette chance d'avoir un guide, il ne fallait pas la perdre; rassemblant mes forces pour courir, je m'élançai sur ses traces.

Mon hésitation lui avait permis de prendre une avance considérable, et il s'était enfoncé dans les broussailles hors de vue.

Mais je l'entendais briser les branches comme un sanglier, et, en me guidant sur ce bruit, je continuai de courir.

Je m'embarrassai plus d'une fois dans les branches, et je dus faire plus d'un zigzag avant de pouvoir distinguer l'objet de ma poursuite.

Je finis cependant par réussir. J'aperçus à bonne distance, dans l'obscurité de la forêt, le nègre qui courait encore avec toute la vitesse dont il était susceptible. Heureusement son vêtement, était de couleur claire, sans cela je n'aurais pu le distinguer dans l'ombre épaisse projetée par le feuillage. Je ne fis même que l'apercevoir et à une assez grande distance.

Mais il était arrivé et moi aussi sous les grands arbres, et je pouvais courir librement. Moins de cinq minutes après, j'étais presque sur les talons du noir, et je lui criai de faire halte.

«Arrêtez! c. iai-je. Pour l'amour de Dieu, arrêtez ! » Le fugitif ne tint pas compte de mon appel. Il ne tourna même pas la tête, et continua à courir en faisant jaillir la vase autour de lui.

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« Arrêtez! répétai-je aussi fort que ma respiration haletante me le permettait. Arrêtez, je vous en conjure... Pourquoi vous sauvez-vous de moi? Je ne veux pas vous faire de mal. »

Ces paroles ne produisirent pas plus d'effet. Pas de réponse. Je m'imaginai, au contraire, qu'il redoublait de vitesse, ou bien peut-être avait-il traversé la partie fangeuse où je venais d'entrer, et courait-il sur un terrain solide.

Il me sembla que la distance qui nous séparait augmentait de nouveau, et je commençai à craindre qu'il ne pût encore m'échapper. Je sentais que ma vie dépendait de là. Si je n'avais pas ce noir pour me guider hors de la forêt, je périrais misérablement. Il fallait qu'il fût mon guide. De gré ou de force, je l'y obligerais.

« Arrêtez! criai-je encore. Arrêtez! ou je fais feu! » J'avais levé mon fusil. Les deux coups étaient chargés. J'avais parlé très-sérieusement. J'aurais vraiment tiré, non pas pour le tuer, mais pour l'arrêter. Je l'aurais blessé, mais je ne pouvais faire autrement; je n'avais pas le choix, c'était le seul moyen qui me restât de sauver ma vie.

Je répétai l'ordre menaçant :

<< Arrêtez! ou je tire. »

Cette fois, le ton de mes paroles devait l'intimider. Il ne laissait aucun doute sur mes intentions. Le noir en parut frappé, car il s'arrêta tout à coup et se tourna de mon côté, de manière à me faire face.

« Faites feu, et soyez damné! s'écria-t-il. Mais visezmoi bien, blanc, et ne me manquez pas, car par le Dieu tout-puissant! si vous me manquez, votre vie est à moi. Voyez ce couteau! Maintenant, faites feu. » Il me regardait droit en face pendant qu'il parlait; sa large poitrine était découverte, il l'offrait courageusement aux coups, et j'aperçus dans sa main la lame brillante d'un couteau qu'il levait.

Quelques pas m'amenèrent près de lui, et dans l'homme qui était devant moi je reconnus Gabriel.

VI. Le nègre marron.

La haute stature du noir, son attitude déterminée,

l'éclat sinistre de ses yeux injectés de

par

sang, animés une résolution désespérée, ses dents blanches et aiguës, faisaient de lui quelque chose de terrible à contempler.

Je compris bien que puisqu'il se trouvait là, c'est qu'il s'était enfui de chez son maître, et qu'il était devenu nègre marron; on appelle ainsi les esclaves fugitifs; les marrons sont pour tous les blancs sans exception des ennemis implacables. Dans d'autres circonstances, j'aurais pu craindre une rencontre avec un adversaire d'une apparence aussi atroce, car je le prenais pour un ennemi.

Mais s'il l'était, pourquoi me fuyait-il? Craignaitil de m'attaquer ouvertement? Évidemment, il avait peur de mon fusil à deux coups!

Mais pendant que je dormais, n'aurait-il pas pu s'approcher de moi. « Ah! »

Cette exclamation s'échappa de mes lèvres au moment où une pensée singulière me venait à l'esprit. Ne m'avait-on pas dit que Gabriel était un charmeur de serpents? il pouvait toucher aux serpents les plus venimeux, il pouvait les guider et les diriger à sa volonté ! N'était-ce pas lui qui avait amené le crotale à l'endroit où j'étais couché, et qui m'avait fait mordre par ce reptile? Quelque étrange que cela puisse paraître, cette supposition me vint alors à l'idée et me parut probable. Je me rappelais que j'avais été frappé d'une particularité à propos de ce serpent: son regard diabolique, la ruse qu'il avait montrée dans sa manière de fuir; et ce fait non moins remarquable, qu'il m'avait piqué sans avoir été provoqué, ce que le serpent à sonnettes ne fait presque jamais, toutes ces choses me vinrent presque en même temps à l'esprit, et me convainquirent que je devais cette blessure fatale à Gabriel, le charmeur de serpents, et non pas au hasard.

Je ne fus pas à me faire cette horrible conviction la moitié, la dixième, la centième partie du temps que je mets à le dire. Cela fut rapide comme la pensée, d'autant plus que les circonstances qui m'amenaient à une pareille conclusion étaient toutes fraîches dans ma mémoire. Le noir gardait son attitude menaçante, et moi celle de la surprise que j'avais éprouvée en le reconnaissant, pendant que toutes ces idées assiégeaient mon esprit.

Ma singulière illusion se dissipa bien vite. Je fus convaincu en un instant que mes soupçons étaient injustes. J'avais mal jugé l'homme qui était devant moi.

Son attitude, en me reconnaissant, avait changé tout à coup. Il laissa retomber le bras qu'il avait levé, l'expression de menace sauvage disparut de sa physionomie, et il dit du ton le plus doux :

« Quoi! c'est vous, monsieur Alfred!... Vous qui êtes si bon envers les pauvres noirs!.. Moi, je suis devenu marron; mon maître est plus dur que jamais; il a voulu me forcer à brûler moi-même, avec un fer rouge, l'épaule d'un de mes camarades, de mon meilleur ami; j'ai mieux aimé m'enfuir.... Que je suis content de vous voir! »

Et il y avait sur sa physionomie sauvage une telle expression de bienveillance et d'amitié, mêlée à celle d'une sauvage résolution et d'une énergie indomptable, que je le regardai pendant quelque temps avec admiration. Je l'aurais contemplé plus longtemps, si la douleur que je sentais dans mon bras, ne m'eût rappelé ma périlleuse situation.

Je suis bien heureux de vous avoir rencontré, lui | imaginaire, elle était aussi douloureuse qu'aurait pu dis-je. Vous allez me guider à la ville. être la réalité !

Je ne puis pas, monsieur.

Vous ne pouvez pas; pourquoi?

- Oubliez-vous que je suis marron? Je voudrais bien vous obliger, mais je n'ose pas sortir de la forêt. On me poursuit depuis deux jours. Les chiens et les chasseurs de nègres me suivent à la piste.

Alors je m'écriai d'une voix douloureuse :

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Eh bien! Gabriel, si vous ne voulez pas me guider, il faut que je meure.

- Mourir! mourir! Pourquoi?

- Parce que j'ai perdu mon chemin. Je ne peux pas sortir de la forêt. Si je ne trouve pas d'ici à vingt minutes mon oncle, qui est médecin, il n'y a plus d'espoir. O Dieu!

- Un médecin! monsieur Alfred! expliquez-vous? Dites-moi tout. Je vous conduirai où vous voudrez; je risquerai volontiers ma vie. Qu'avez-vous?

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Après avoir parcouru une centaine de mètres sur un sol marécageux sous les cyprès, j'aperçus devant nous quelques portions du ciel. Cela indiquait une éclaircie du bois, et je vis que mon guide se dirigeait de ce côté. Je ne fus pas peu surpris en arrivant à cette éclaircie de retrouver la clairière.... encore la fatale clairière ! Son aspect était bien changé à mes yeux! Je ne pouvais supporter l'éclat du soleil qui brillait au-dessus d'elle. La vivacité de couleur des fleurs qui l'ornaient fatiguait mes yeux. Le parfum de ces fleurs me faisait souffrir!

Je me sentais bien malade. Le poison se répandait dans mon sang; il mettait mes veines en feu. J'étais dévoré d'une soif ardente, et je sentais déjà sur la poitrine cette pesanteur spasmodique et cette difficulté de respiration qui sont les symptômes bien connus de l'empoisonnement par la piqûre du serpent.

Éprouvais-je tout cela en effet? Il est possible que l'imagination y fût pour beaucoup. Je savais qu'un serpent venimeux m'avait mordu, et cela pouvait avoir surexcité mes esprits jusqu'à me rendre d'une excessive sensibilité. Que les symptômes fussent réels ou non, toujours est-il que je souffrais. Si la souffrance était

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Je surveillais ses mouvements avec un intérêt plus qu'ordinaire, j'ai à peine besoin de le dire. Ma vie dépendait du résultat de ses recherches.

Comme mon cœur bondit quand je le vis se pencher en avant, s'incliner encore, comme pour arracher quelque chose du sol! Une exclamation de joie qui s'échappa de ses lèvres fut répétée sur un ton plus élevé par les miennes; j'oubliai sa recommandation de rester tranquille, et je m'élançai de mon arbre en courant vers lui.

Quand j'approchai, il était à genoux, creusant avec son couteau la terre autour d'une plante, comme s'il eût voulu la prendre par les racines. C'était le polygala senega, petite plante herbacée, à tige simple et droite, aux feuilles oblongues et lancéolées, terminée par des fleurs blanches qui n'avaient rien de remarquable.

En peu d'instants, Gabriel enleva la terre, puis retira la plante et la secoua pour dégager les racines. Je remarquai qu'une quantité de tiges souterraines ligneuses et contournées, un peu plus épaisses que celles de la salsepareille, adhéraient à la tige. Elles étaient couvertes d'une écorce cendrée et n'avaient aucune odeur. Dans les fibres de ces racines se trouvait le suc qui devait me sauver la vie.

Nous ne perdimes pas une minute pour faire les préparatifs. La prescription du charmeur de serpents se réduisit à ce seul mot: « Mâchez! » Et en me faisant cette simple ordonnance, il me remit dans la main un morceau de racine dont il avait gratté l'écorce. Je fis ce qu'il me disait, et en un moment je réduisis la racine en bouillie, en avalant le jus bienfaisant qui en sortait.

Le goût me parut d'abord fade, et me donna une légère nausée; mais, en continuant à mâcher, j'éprouvai une chaleur piquante qui me causa une sensation particulière, comme si l'on m'eût chatouillé l'arrièrebouche et la gorge.

Pendant ce temps, Gabriel courut vers le ruisseau le plus rapproché, remplit d'eau une tasse de cuir qu'il avait sur lui, et revint laver mon poignet, jusqu'à ce que le jus du tabac fut complétement enlevé. Après avoir mâché lui-même une certaine quantité de feuilles de la plante, de manière à en former une espèce de pulpe, il les appliqua sur la partie mordue, et banda la blessure comme je l'avais bandée auparavant.

Tout ce qui pouvait être fait venait de l'être. Il me recommanda d'attendre patiemment et sans crainte le résultat.

Au bout de très-peu de temps, une transpiration abondante me couvrit tout le corps, et je commençai à expectorer facilement. Je sentis, en outre, une forte envie de vomir, et j'aurais vomi, en effet, si j'avais

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Marchez devant! lui dis-je, je vous suis.... nous nous mimes en marche. (Page 331, col. 1.)

terrible et les plus affreux dangers le menaçaient; mais au milieu de la plus profonde tristesse l'esprit a des éclairs de gaieté. La nature ne permet pas que le chagrin soit incessant, et l'esprit s'élève par instants audessus de l'affliction. Gabriel se montrait donc aussi joyeux que moi.

Il était naturel que notre conversation roulât sur les serpents; il me raconta plus d'une histoire sur la vie des reptiles.

Au milieu de notre conversation, mon compagnon me demanda tout à coup si j'avais tué le serpent qui m'avait mordu.

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