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Elle monta en voiture; Innocent y était déjà; Prudence se plaça en face d'eux; elle avait de l'humeur et elle la témoignait.

PRUDENCE. Belle campagne que nous allons faire! Je n'avais jamais. pensé, monsieur et mamzelle, que vous auriez assez peu de cœur pour quitter comme ça votre papa et votre maman?

INNOCENT. Mais, Prudence, c'est pour aller à Paris!

PRUDENCE. Paris! Paris!... Je me moque bien de votre Paris! Une sale ville qui n'en finit pas, où on ne se reconnaît pas, où on ne se rencontre pas, où on s'ennuie à mourir, où il y a des gens mauvais et voleurs à chaque coin de rue....

INNOCENT. Prudence, tu ne connais pas Paris, tu ne peux pas en parler. PRUDENCE.Tiens! fautil ne parler que de ceux qu'on connaît? Je ne connais pas Notre-Seigneur et j'en parle pourtant tout comme si je l'avais vu. Ce n'est pas lui qui aurait tourmenté sa maman, la bonne sainte Vierge, pour aller à Paris!

INNOCENT. Notre-Sei

NULEL

croire cela, quand vous m'écorcheriez vive.... Tout de même, mamzelle Simplicie a meilleur cœur que vous, monsieur Innocent; elle pleure tout au moins.

INNOCENT. C'est parce qu'elle est fille, et que les filles sont plus pleurnicheuses que les garçons.

PRUDENCE. Ma foi, monsieur, s'il est vrai, comme on dit, que les larmes viennent du cœur, ça prouve qu'elles ont le cœur plus tendre et meilleur.

Innocent leva les épaules et ne continua pas une discussion inutile. Simplicie finit par essuyer ses larmes; elle essaya de se consoler par la perspective de Paris. Ils arrivèrent bientôt à la petite ville d'où partait la diligence qui devait les mener au chemin de fer; leurs places étaient retenues dans l'intérieur. Prudence fit charger sa malle sur la diligence; il n'y en avait qu'une

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Les voyageurs riaient à gorge déployée. (Page 14, col. 2.)

gneur a été à Jérusalem; c'était le Paris des Juifs. PRUDENCE. Laissez donc ! Vous ne me ferez pas

pour les trois voyageurs; Prudence n'était pas riche en vêtements; Innocent n'avait que son petit trousseau de pensionnaire; Simplicie possédait, en dehors de ses quatre belles robes, deux robes de mérinos et peu d'accessoires.

« En route, les voyageurs pour Redon! cria le conducteur. M. Gargilier, trois places d'intérieur! »>

Nos trois voyageurs pri

rent leurs places.

« M. Boginski, deux places! Mme Courtemiche, deux places! Mme Petibeaudoit, une place!

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Les voyageurs montaient; il y avait six places; on | coups de pied du garçon; les voyageurs riaient à gorge

y entassa les personnes que l'on venait d'appeler; Mme Courtemiche avait pris deux places pour elle et pour son chien, une grosse laide bête jaune, puante et méchante; elle se trouva voisine de Prudence qui, se voyant écrasée, poussa à gauche; la grosse bête, bien établie sur la banquette, grogna et montra les dents; Prudence la poussa plus fort; la bête se lança sur Prudence, qui para cette attaque par un vigoureux coup de poing sur l'échine; le chien jette des cris pitoyables. Mme Courtemiche venge son Chéri par des cris et des injures. Le conducteur arrive, met la tête à la portière.

Qu'est-ce qu'il y a donc? dit-il avec humeur. MME COURTEMICHE. Il y a que madame, que voici, veut usurper la place de mon pauvre Chéri mignon, qu'elle l'a injurié, poussé, frappé, blessé peut-être.

PRUDENCE. La diligence est pour les humains et pas pour les chiens; est-ce que je dois accepter la société d'une méchante bête puanie, parce qu'il vous plait de la traiter comme une créature humaine?

LE CONDUCTEUR. Les chiens doivent être sur l'impériale avec les bagages; donnez-moi cette bête, que je la hisse.

MME COURTEMICHE. Non, vous n'aurez pas mon pauvre Chéri mignon; je ne le lâcherai pas, quand vous devriez me hisser avec.

Tiens, c'est une idée, dit le conducteur en riant; voyons, madame, donnez-moi votre chien.

Jamais! dit Mme Courtemiche avec majesté.

LE CONDUCTEUR. Alors montez avec lui sur l'impériale.

MME COURTEMICHE. J'ai payé mes places à l'intérieur.

LE CONDUCTEUR. On vous rendra l'argent.

déployée de la triste position des quatre victimes. Enfin, avec un peu d'aide, quelques tapes au chien, quelques poussades à la dame et quelque secours au garçon, chacun se releva plus ou moins en colère.

Madame veut-elle qu'on la hisse? dit un des voya

geurs.

Je veux user de mes droits, » répondit Mme Courtemiche d'une voix tonnante.

Et, saisissant son Chéri mignon de ses bras vigoureux, elle s'élança, avec plus d'agilité qu'on n'aurait pu lui en supposer, à la portière de l'intérieur restée ouverte. De deux coups de coude elle refit sa place et celle de Chéri mignon, et déclara qu'on ne l'en ferait plus bouger.

Ses compagnons de l'intérieur voulaient réclamer, mais les autres voyageurs étaient impatients de partir, le conducteur se voyait en retard; sans écouter les lamentations de Prudence, de Mme Petibeaudoit et des deux Polonais (c'est-à-dire de Boginski et de son compagnon), il monta sur le siége, fouetta les chevaux et la diligence partit. Comtesse DE SÉGUR.

(La suite au prochain numéro.)

RÉCITS HISTORIQUES.

BATAILLE DE FONTENOY.

La bataille de Fontenoy (11 mai 1745), en Flandre, gagnée par le roi Louis XV, qu'accompagnait le Dauphin son fils, âgé de seize ans, est une des plus célèbres de nos annales.

L'armée anglaise, hollandaise et hanovrienne, commandée par le duc de Cumberland, frère du roi d'AnMME COURTEMICHE. Eh bien, oui, je monterai, je gleterre, comptait plus de cinquante-cinq mille soln'abandonnerai pas Chéri mignon. >>

Mme Courtemiche descendit de l'intérieur, suivit le conducteur, et se prépara à grimper après lui l'échelle qu'on avait appliquée contre la voiture. A la seconde marche, elle trébucha, lâcha son chien qui alla tomber, en hurlant, aux pieds d'un voyageur, et serait tombée elle-même sans l'aide d'un des garçons d'écurie resté au pied de l'échelle et du conducteur qui la saisit par le bras.

« Poussez! cria le conducteur; poussez, ou je lâche. -Tirez! criait le garçon d'écurie; tirez, ou je tombe avec mon colis. »

Le conducteur avait beau tirer, le garçon avait beau pousser, Mme Courtemiche restait au même échelon, appelant d'une voix lamentable son Chéri mignon.

Le voilà, votre Chéri mignon, dit un voyageur ennuyé de cette scène. A vous, conducteur! » ajouta-t-il, en ramassant le chien et le lançant sur l'impériale.

Le voyageur avait mal pris son élan; le chien n'arriva pas jusqu'au sommet de la voiture; il retomba sur le sein de sa maîtresse que le choc fit tomber sur le garçon d'écurie; et tous trois roulèrent sur les bottes de paille placées là heureusement pour le chargement de la voiture, entraînant avec eux le conducteur qui n'avait pas pu dégager son bras de l'étreinte de Mme Courtemiche. La paille amortit le choc; mais le chien écrasé par sa maîtresse, redoublait ses hurlements, le garçon d'écurie étouffait et appelait au secours, le conducteur ne parvenait pas à se dégager du châle de Mme Courtemiche, des pattes du chien et des

dats. Obligé de laisser des forces nombreuses pour investir Tournai et pour garder les passages de l'Escaut, Louis XV opposait à l'ennemi une armée à peu près égale. Sous ses ordres, cette armée avait pour chef le maréchal de Saxe, alors malade et presque mourant, qui, lorsque ses forces épuisées ne lui permettaient plus de se tenir à cheval, se faisait traîner dans une voiture d'osier qui lui servait de lit.

La droite des Français s'appuyait à Anthoin, le centre à Fontenoy, la gauche au bois du Barry. A six heures du matin le feu s'ouvrit. Les Anglais assaillirent Fontenoy et les Hollandais Anthoin; les uns et les autres furent repoussés; les Hollandais tentent une seconde attaque, où un de leurs escadrons est emporté par le canon des Français; ils ne reparurent plus. Les Anglais reviennent à la charge une seconde et une troisième fois, ils sont encore repoussés avec perte.

Alors le duc de Cumberland conçoit une idée hardie; c'est de passer entre Fontenoy et une redoute pour couper le centre de notre armée; il masse toute son infanterie en colonne serrée, et cette colonne s'avance lentement, trainant à bras ses canons, qui, à droite et à gauche, répondent à l'artillerie de nos redoutes. Enfin, ils arrivent en présence des lignes françaises, à cinquante pas de distance. Les officiers anglais saluent les Français en ôtant leurs chapeaux; les officiers français, qui s'étaient lancés en avant, leur rendent le salut. Lord Hay, officier général anglais, leur crie en français :

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Le comte d'Auteroche, commandant des grenadiers | du château, il y avait quelquefois deux cents convives. français, lui répond en anglais :

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« Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers; tirez, vous-mêmes. »

Les Anglais font un feu roulant; le premier rang des Français est presque emporté; les trois autres rangs, n'étant pas soutenus, se dispersent. La terrible colonne avance à pas lents; déjà elle a débordé Fontenoy et la redoute.

Le danger était extrême. Le maréchal de Saxe fait supplier le roi de se retirer; le roi refuse, et, en ce moment, quelques cavaliers fuyant en désordre, séparent un instant le roi et son fils.

Le maréchal, disait le roi, saura bien tout réparer. » Le maréchal, traîné dans sa voiture, était au milieu du feu roulant de cette terrible colonne; il lance contre elle la seconde ligne de cavalerie sans succès. La colonne avance toujours serrée au travers des morts et des blessés des deux partis. Des régiments d'infanterie se ruaient contre elle sans espoir et même sans ordre. Le maréchal, en voyant un dont les rangs entiers tombaient et ne se dérangeaient pas, s'écria :

< Comment se peut-il faire que de tels soldats ne soient pas vainqueurs! »

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Tout espoir paraissait perdu; un conseil tumultueux se tenait autour du roi, que l'on suppliait de s'éloigner, puisque la bataille était perdue.

Elle est gagnée, si vous voulez, s'écria le duc de Richelieu, aide de camp du roi. Pointez quatre canons contre le front de cette colonne; et qu'au même moment la maison du roi et les autres troupes l'attaquent des deux côtés à l'arme blanche. »

Le conseil est agréé par le roi; le maréchal en ordonne l'exécution.

Les quatre canons sont pointés et tirent sur le front de la colonne; en même temps les cavaliers de la maison du roi, le sabre en main, et huit régiments d'infanterie, la baïonnette au bout du fusil, se ruent sur ses deux flancs, malgré son feu terrible. En moins de huit minutes, ce corps redoutable est ouvert de tous côtés. Les Anglais essayent en vain de se rallier; écrasés, culbutés, ils abandonnent le champ de bataille par une fuite précipitée, mais sans confusion.

La victoire des Français était complète. Leur ivresse était au comble. Le roi seul était calme; il ordonna qu'on eût le plus grand soin des blessés et que l'on traitât les ennemis comme les Français. Le maréchal lui dit :

Sire, j'ai assez vécu, puisque je vous vois vainqueur. »

Il ajouta :

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Voyez à quoi tient le succès des batailles ! »

Cette brillante journée eut pour résultat la conquête des Pays-Bas par les Français, qui peu de mois après remportèrent sur les Anglais et leurs alliés, deux autres victoires. X.

LES SABRES D'HONNEUR.

Lorsque Napoléon Bonaparte, étant premier consul, faisait quelque distribution d'armes d'honneur, il y avait aux Tuileries un banquet auquel étaient admis indistinctement, quels que fussent leurs grades, tous ceux qui avaient part à ces récompenses.

A ces diners, qui se donnaient dans la grande galerie

C'était le général Duroc qui était le maître des cérémonies, et le premier consul avait soin de lui recommander d'entremêler les simples soldats, les colonels, les généraux. C'était surtout les premiers qui étaient recommandés aux gens de service, pour qu'on eût soin d'eux et qu'on les fit bien boire et manger.

« Ce sont, dit un témoin, les repas les plus longs que j'aie vu faire à l'Empereur; il faisait tous ses efforts pour mettre ses convives à leur aise; mais, pour un grand nombre d'entre eux, il avait bien de la peine à y parvenir. Rien n'était plus drôle que de voir ces bons troupiers, se tenant à deux pieds de la table, n'osant approcher ni de leur serviette mi de leur pain; rouges jusqu'aux oreilles, et le cou tendu du côté de leur général, comme pour recevoir le mot d'ordre. »

Le premier consul leur faisait raconter le haut fait qui leur valait la récompense nationale, et riait quelquefois aux éclats de leurs singulières narrations. Il les engageait à bien manger, et buvait quelquefois à leur santé; mais, pour quelques-uns, ses encouragements échouaient, la timidité leur ôtait l'appétit, et les gens de service leur enlevaient successivement leurs assiettes sans qu'ils y eussent touché.

Cette contrainte ne les empêchait pas d'être pleins de joie et d'enthousiasme quand ils quittaient la table.

Au revoir, mes braves, leur disait le premier consul; baptisez-moi bien vite ces nouveau-nés-là!» (monrant du doigt leurs sabres d'honneur). Dieu sait s'ils s'y épargnaient.

VARIÉTÉS.

CATHERINE VERNET.

X.

Catherine Vernet, de Saint-Germain-l'Herm (Puyde-Dôme), est une simple ouvrière en dentelle, qui, après s'être dévouée à sa famille, se dévoue depuis trente ans à ceux qui n'en ont point. Ayant acheté, avec le produit de ses épargnes accumulées sou par sou, une petite maison, elle en a fait un hôpital; elle a commencé son installation avec huit caisses en bois qui devaient servir de lits. Ces lits, entourés par elle des soins les plus assidus, sont toujours occupés. Cet hôpital, situé au sein des montagnes les plus élevées et les moins fréquentées de l'Auvergne, sert encore d'asile à ceux qu'on appelle dans ce pays les perdus, c'est-à-dire aux voyageurs égarés au milieu des tourbillons de neige, et que la cloche des villages voisins a avertis en vain de leur danger. C'est ainsi qu'en plein dix-neuvième siècle, la naïve charité d'une humble Auvergnate a renouvelé la merveille qu'on admire depuis bientôt mille ans au Grand-Saint-Bernard. Ce n'est pas tout: elle y enseigne encore le catéchisme aux orphelins abandonnés, aux enfants vagabonds, qu'elle recueille et qu'elle nourrit du fruit de ses travaux; quand les incurables qu'elle a recueillis chez elle lui en laissent le loisir, elle va au dehors veiller chez eux les malades du voisinage. C'est l'emploi habituel de ses nuits. Et cependant elle n'a pour ressource que son carreau de dentellière, qui peut lui rapporter trente-cinq à quarante centimes par jour, plus les secours de quelques âmes charitables qui la prennent pour intermédiaire de leurs aumônes.

Z.

(Extrait du rapport de M. le comte de Montalembert sur les prix de vertu.)

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(15 centimes dans les départements et dans les gares de chemins de fer.)

LA

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