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au-dessus du sol; on n'en voyait plus un seul; ils étaient couverts par l'eau. Ma première pensée fut de sauver ma carabine; je rentrai à la hâte et mis la main dessus sans tarder. Ma seconde pensée fut pour ma vieille jument. Je l'avais attachée à un arbre près de ma cabane, et elle poussait des cris effrayants. Je la trouvai dans l'eau jusqu'au ventre, ruant et se démenant en tous sens, et cherchant à déraciner l'arbre pour s'échapper. Elle n'avait sur elle que la corde qui servait à l'attacher; la bride et la selle avaient été emportées par le courant. Je fis alors de la corde une espèce de licol, et je m'élançai sur son dos, sans savoir encore de quel côté je me dirigerais. Cependant, comme l'eau devenait de plus en plus profonde, tout le pays paraissait inondé et mon plus proche voisin demeurait de l'autre côté

rer et m'en aller droit à la rivière. Je pris le parti de traverser la prairie. Il n'y avait pas une minute, pas une seconde à perdre. Je donnai deux ou trois coups de talon dans les flancs de ma monture, qui

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Ricco.

s'élança au grand trot.

Au bout de cinq minutes tout au plus, nous nous trouvâmes au bord de la prairie comme je m'y attendais, tout était couvert d'eau; on aurait dit un vaste étang dont les eaux brillaient, malgré la nuit, d'un bord à l'autre dans un espace découvert et dénué de toute végétation. Par bonheur, je pouvais entrevoir les arbres qui se trouvaient à l'extrémité de la prairie. Il y avait entre autres un bosquet de cyprès que je distinguais facilement; je savais qu'il était placé devant l'habitation de mon voisin. Alors j'éperonnai ma jument, qui s'élança droit dans cette direction. J'avais à

de la prairie à une dizaine de kilomètres. Je savais | peine fait deux kilomètres en avant, lorsque je m'abien que sa demeure était sur un terrain élevé; mais perçus avec inquiétude que l'inondation augmentait racomment y parvenir? Il faisait nuit, je pouvais m'éga-pidement, car ma jument s'enfonçait de plus en plus.

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Je ne devais pas penser à revenir sur mes pas pour | les hauteurs; aussi dis-je quelques mots d'encouragesûr, ma jument allait se noyer si je ne gagnais pas ment à ma bête, afin de l'exciter à faire de son mieux,

et j'avançai tout droit devant moi. La pauvre créature savait bien qu'il y avait du danger; aussi n'avait-elle pas besoin de l'éperon, elle y mettait tout son courage, je puis le dire. Et pourtant l'eau montait toujours, jusqu'à ce qu'enfin elle atteignit l'épaule de ma jument.

La position devenait fort inquiétante, et nous étions à peine à moitié chemin. Un instant après, il me sembla que l'eau devenait tout à coup plus profonde, comme s'il y avait un creux dans la prairie. J'entendis la jument souffler avec force, et elle s'enfonça jusqu'à ce que l'eau me vint à la ceinture. Elle remonta aussitôt à la surface; mais, au changement d'allure, je reconnus qu'elle n'avait plus pied. Elle nageait, et comme à chaque instant je sentais qu'elle s'enfonçait de plus en plus, je compris que ses forces seraient bientôt épuisées, sa fatigue étant doublée par le poids qu'elle portait.

II

Tout à coup il me vint à l'idée que, si j'abandonnais mon siége sur son dos et si je m'accrochais à sa queue, elle pourrait se soutenir un peu plus de temps. Sans plus tarder, je me laissai glisser dans l'eau et je me saisis de ses longs crins. Ce moyen réussit d'abord, elle put nager avec plus de facilité; mais nous n'avancions pas vite à travers cette masse d'eau, et je commençais à perdre l'espoir d'arriver au bord. Elle m'avait remorqué de la sorte à peu près l'espace de trois cents pas, lorsqu'il me sembla apercevoir quelque chose de noir qui flottait en avant; la nuit était devenue beaucoup plus sombre; cependant, j'y voyais encore assez pour distinguer que c'était une large souche. Une idée me vint à l'instant; mon seul moyen de salut était de m'emparer de la souche. Délivrée du poids de mon lourd individu qui pendait à sa queue, la jument aurait plus de chance de se sauver; elle trouverait pied quelque part. J'attendis donc que nous fussions un peu plus près, et alors, lâchant la queue, je m'élançai sur le bloc de bois, que j'étreignis de toute ma force. La jument continua de nager, sans paraître s'apercevoir que je n'étais plus près d'elle; je la vis disparaître dans l'obscurité.

Bientôt je m'aperçus que mon tronc d'arbre s'en allait à la dérive; car l'eau avait fini par former à travers la prairie un courant assez rapide. Je m'étais hissé par une des extrémités, afin de me placer à califourchon: mais comme le tronc était assez enfoncé, j'avais encore de l'eau jusqu'à la hauteur de la ceinture. Il me sembla que je serais plus à mon aise vers le milieu, et je me disposais à me glisser au centre de cette espèce de radeau, lorsque tout à coup j'entrevis quelque chose d'accroupi à l'autre bout de la souche. Ce quelque chose était une bête féroce, et la lueur de ses yeux qui brillaient dans l'obscurité me convainquit que c'était une panthère. J'avoue qu'en ce moment j'éprouvai une sensation inexprimable. Je n'essayai pas davantage de m'avancer vers le milieu du tronc; bien au contraire, je me reculai jusqu'à l'autre extrémité, jusqu'à ce qu'il me fût impossible d'aller plus loin.

Je demeurai longtemps dans cette position, sans remuer ni bras ni jambes, n'osant pas faire un mouvement, dans la crainte d'exciter cette maudite bête à m'attaquer. Il ne me restait plus d'autre arme que mon couteau, car j'avais lâché ma carabine en quittant le dos de la jument, et il y avait longtemps qu'elle était ombée au fond de l'eau. Bien loin de me disposer à

soutenir une lutte avec la panthère, je me sentais tout déterminé à ne lui rien dire tant qu'elle-même me laisserait en repos.

Nous voguâmes ainsi, d'après mon calcul, pendant une grande heure, sans qu'aucun de nous deux songeât à remuer. Assis face à face l'un de l'autre, lorsque de temps en temps le courant imprimait au tronc d'arbre un mouvement d'oscillation, nous nous faisions, la panthère et moi, une suite de révérences comme deux enfants qui jouent à la balançoire. Je pouvais voir, pendant tout ce temps-là, mon ennemie tenir ses yeux fixés sur les miens; il est vrai que mon regard ne quittait pas les siens, même d'une seconde. Je savais que c'était le seul moyen de la tenir en respect.

J'en étais à me demander comment se terminerait tout ceci, lorsque je m'aperçus que nous nous approchions des bois; nous n'en étions guère qu'à deux kilomètres, mais l'eau couvrait tout, on ne voyait que le sommet des arbres. Je me dis alors que, lorsque notre embarcation flotterait parmi les branches, je n'aurais qu'à saisir l'occasion favorable, et à m'accrocher en passant à un arbre sans en rien dire à mon compagnon de voyage.

En ce moment même, droit en tête de nous, apparut quelque chose qui ressemblait à une île. Ce n'était en réalité que le sommet d'un tertre élevé, d'un monticule que j'avais souvent remarqué dans cette partie de la prairie. D'après la route que suivait le tronc d'arbre, je calculai qu'il devait passer à quelques mètres de là; je pris aussitôt la résolution d'y aborder aussitôt que l'occasion s'en présenterait, afin de laisser la panthère continuer sans moi son voyage aquatique.

Lorsque j'avais aperçu l'ile, il m'avait semblé voir sur son sommet quelque chose qui ressemblait à des buissons. Je savais pourtant qu'il n'y en avait pas sur le monticule. A mesure que j'approchai, je découvris que ces broussailles supposées étaient tout simplement des animaux. Il y avait là des daims, car j'entrevis un bois énorme aux andouillers crochus se dresser entre le ciel et moi. Je vis encore là un animal plus gros qu'un cerf; ce devait être un cheval, ou plutôt c'était une jument, la mienne. En se séparant de moi, la pauvre bête avait suivi le courant, et, guidée par son instinct, elle avait nagé droit sur l'île.

D'après mes appréciations, le tronc d'arbre devait se trouver assez proche. Je me laissai donc glisser aussi doucement que possible, et je lâchai mon bout. Je plongeai naturellement, et au moment où je revenais sur l'eau, j'entendis un bruit qui ressemblait à une chute. Jetant aussitôt un coup d'oeil de côté, je découvris à quelques brasses la panthère, qui avait aussi quitté son refuge, et qui s'avançait dans la direction que je prenais moi-même. Je crus d'abord qu'elle allait m'attaquer, et, afin d'être prêt à tout événement, je tirai mon couteau d'une main, tout en continuant à nager de l'autre. Je m'étais trompé, la panthère n'avait pas le temps de se montrer belliqueuse; elle nageait de son mieux, n'ayant, selon toute apparence, qu'un seul but, celui de gagner la terre ferme sans chercher à me molester; de sorte que nous nous en allions nageant côte à côte, sans qu'un mot fût échangé entre nous. Je ne cherchais pas, vous le croirez aisément, à rivaliser de vitesse; je préférai même voir la panthère me dépasser, plutôt que de la sentir sur mon dos ou entre mes jambes. Elle aborda donc la première, et je pus

deviner, au bruit qui se fit, aux trépignements qui se manifestèrent, que son apparition inattendue avait causé une certaine émotion parmi les hôtes de l'île.

III

Je fis un petit détour, afin de ne pas aborder près de la panthère; mes mains saisirent un angle du rocher, je pus me hisser, et je sautai lestement sur le monticule. A peine étais-je sorti de l'eau tout ruisselant, que j'entendis un hennissement qui me fit éprouver une joie incommensurable. C'était la voix de ma vieille jument, qui m'avait reconnu, et au même instant la pauvre bête vint frotter ses naseaux contre mon épaule. Je m'emparai de son licol et me tins à son côté. Je regardai autour de moi et examinai la nouvelle société au milieu de laquelle je venais de tomber. Le jour commençait à poindre et permettait de discerner plus distinctement les objets. Il y avait donc là, sur le tertre, d'abord ma jument et moi; puis ma compagne du tronc d'arbre, la panthère. Je comptai aussi quatre daims, un cerf et trois biches; tout près, j'aperçus un chat sauvage, derrière lui un ours noir aussi gros qu'un bison. Il y avait ensuite un putois et un opossum, côte à côte avec deux loups gris, un lapin de marais, et enfin une fouine musquée.

Si ma surprise avait été grande à la vue de la réunion sans pareille de tous ces animaux, mon étonnement redoubla quand je pus étudier la manière dont ils se comportaient les uns avec les autres. La panthère, couchée côte à côte avec les daims, qui ordinairement fuient à son approche, et non loin des deux loups; le putois, à quelques pas de la fouine musquée et du lapin de marais; l'ours, tout près du vieux opossum si rusé: ils étaient là tous, ne faisant pas plus d'attention l'un à l'autre que s'ils avaient passé leur vie dans la même cage, tant le danger qu'ils avaient couru et qui les effrayait encore dans cette terrible inondation leur avait fait perdre toute leur énergie. Cependant je crainais que la panthère et l'ours ne cherchassent à nous attaquer aussitôt que l'eau commencerait à baisser; aussi, pendant tout le temps que je restai sur le monticule, je demeurai immobile et coi comme les autres, côte à côte avec ma jument. Mais ni l'ours ni la panthère ne manifestèrent aucun signe d'hostilité pendant toute la journée et la nuit qui suivit.

Le surlendemain, au point du jour, je m'aperçus que les eaux diminuaient. Aussitôt qu'elles furent assez basses, j'y fis descendre doucement ma monture, et, sautant sur son dos, je quittai mes voisins sans leur dire adieu. Ma jument avait encore de l'eau jusqu'au ventre; aussi j'étais sûr qu'on ne pouvait me poursuivre qu'à la nage; du reste, aucun des carnassiers ne parut y songer.

Je dirigeai ma course droit vers l'habitation de mon voisin, que je pouvais distinguer à environ trois kilomètres de distance, et en moins de trois quarts d'heure, j'arrivais devant sa porte. J'eus à peine échangé quelques mots avec lui pour lui raconter mon aventure, que je le priai de me prêter un de ses fusils (il en avait deux par hasard) en l'engageant à prendre l'autre et à m'accompagner à cheval. Nous reprimes aussitôt le chemin de l'ilot.

Le gibier n'était plus tout à fait dans la même position que lorsque j'avais quitté le monticule. Grâce à l'écoulement des eaux, la panthère, le chat et les loups avaient

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repris courage. Il n'y avait plus ni lapin de marais ni opossum on apercevait à peine quelques traces de leur poil; l'une des biches était à moitié dévorée.

Mon voisin passa d'un côté et moi je me glissai de l'autre, en nous avançant aussi près que possible, afin de cerner l'ile à nous deux.

D'un premier coup de fusil, j'abattis la panthère; lui, de son côté, en fit autant pour l'ours; puis nous dépêchâmes les deux loups. Quant aux daims, nous primes tout le temps nécessaire pour les mettre à bas, et ce ne fut pourtant pas une longue opération. Nous laissâmes la fouine musquée pour la dernière. Elle n'évita cependant pas le sort que nous lui réservions, et nous remontâmes aussitôt à cheval, chargés de la viande de l'ours et des quartiers de daim, autant que nos montures pouvaient en porter.

Lorsque l'inondation fut tout à fait écoulée, je retrouvai ma carabine. Elle était vers le milieu de la prairie, à moitié enfoncée sous la vase et le sable.

L'événement dont j'avais failli devenir la victime me démontra clairement que l'endroit choisi pour mon établissement n'était pas favorable. Je me hâtai d'en chercher un autre, et, quand je l'eus trouvé, je me mis à le défricher avec courage. MAYNE-RED.

(Les Veillées de chasse.)

RÉCITS HISTORIQUES.

LA CUVETTE D'OR

Les Égyptiens avaient tiré d'une condition obscure le célèbre Amasis pour le placer sur le trône. Il sut que quelques personnes le méprisaient à cause de l'obscurité de sa naissance. Voici quelle leçon il leur donna. Il avait un bassin d'or dans lequel lui-même et ses convives lavaient leurs pieds, suivant l'usage de ce pays, avant de se mettre à table. On le fondit par son ordre, et le plus habile artiste du pays, changea le bassin en une belle statue qui représentait un des dieux de l'Egypte. Cette idole devint l'objet de tous les hommages.

Alors Amasis, s'adressant à ses détracteurs, leur dit : « Cet objet de votre culte servait, il y a quelque temps, à vous laver les pieds, et, placé dans un coin de mon palais, il n'était connu que par son usage. Sa matière est toujours la même, sa forme seule a changé, et c'est cette forme qui attire aujourd'hui vos hommages. Voyez en moi une semblable métamorphose. Je n'étais autrefois qu'un homme du commun; aujourd'hui, je suis devenu votre roi. Sachez donc me rendre l'honneur et le respect qui me sont dus. »

LE GATEAU.

X.

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(15 centimes dans les départements et dans les gares de chemins de fer.)

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