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GÉRONTE.

Je me dédis de ma parole, si tu réchappes.

SCAPIN.

Ahi, ahi. Voilà mes foiblesses qui me reprennent.

ARGANTE.

Seigneur Géronte, en faveur de notre joie, il faut lui pardonner sans condition.

Soit.

GÉRONTE.

ARGANTE.

Allons souper ensemble, pour mieux goûter notre plaisir.

SCAPIN.

Et moi, qu'on me porte au bout de la table, en attendant que je meure.

FIN DES FOURBERIES DE SCA PIN.

LA

COMTESSE D'ESCARBAGNAS,

COMÉDIE.

1671.

NOTICE.

Voici ce qu'on lit à propos de cette pièce dans l'avertissement de l'édition de 1739:

« Le roi s'étant proposé de donner un divertissement à Madame, à son arrivée à la cour, choisit les plus beaux endroits des ballets qui avoient été représentés devant lui depuis quelques années, et ordonna à Molière de composer une comédie qui enchaînât tous ces morceaux différents de musique et de danse. Molière composa pour cette fète la Comtesse d'Escarbagnas, comédie en prose, et une pastorale. Ce divertissement parut à Saint-Germain-en-Laye, au mois de décembre 1671, sous le titre de Ballet des Ballets. Ces deux pièces composoient sept actes, qui étoient précédés d'un prologue, et qui étoient suivis chacun d'un intermède. La Comtesse d'Escarbagnas ne parut sur le théâtre du Palais-Royal qu'en un acte, au mois de juillet 1672, telle qu'on la joue encore aujourd'hui, et telle qu'elle est imprimée : il y à apparence qu'elle a été divisée d'abord en plusieurs actes. »

La pastorale, dont il ne reste rien, précédait sans doute la vingt et unième scène; car c'est là que tout le monde est assemblé pour voir le divertissement que la comtesse doit recevoir du vicomte.

Voltaire, en parlant de la Comtesse d'Escarbagnas, dit que c'est une farce, mais une farce toute remplie de caractères parfaitement étudiés et qui offre la peinture naïve des ridicules de la province. « Les longues excursions de Molière dans différentes provinces, dit M. Taschereau, avaient fourni à son esprit contemplateur de favorables occasions d'y étudier et d'y saisir mille ridicules divers. Alors plus qu'aujourd'hui, les habitudes des provinciaux contrastaient avec celles des habitants de la

capitale. Des relations plus rares avec Paris, une ignorance complète du luxe et de ses prestiges brillants, peu d'amour des plaisirs, donnaient à la province une grande supériorité sur la métropole sous le rapport des mœurs, mais l'empêchaient absolument de s'initier à ce savoir-vivre aimable que les grandes villes acquièrent presque toujours aux dépens de leur moralité, et de se dépouiller de cette simplicité grossière, source féconde de vertus comme de ridicules. Cependant notre premier comique, se contentant d'esquisser plus d'un de ces travers dans quelques cadres qu'ils ne remplissaient pas seuls, comme dans Georges Dandin, n'y consacra entièrement que la Comtesse dEscarbagnas.»

Le rôle de M. Harpin, dans lequel l'insolence, la galanterie grossière des traitants sont pour la première fois mis en scène, semble avoir inspiré à Lesage l'idée de Turcaret.

PERSONNAGES.

LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS'.

LE COMTE, fils de la comtesse d'Escarbagnas 2.

LE VICOMTE, amant de Julie'.

JULIE, amante du vicomte ".

MONSIEUR TIBAUDIER, conseiller, amant de la comtesse '.

MONSIEUR HARPIN, receveur des tailles, autre amant de la comtesse *.

MONSIEUR BOBINET, précepteur de M. le comte".

ANDRÉE, suivante de la comtesse *.

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Oui. Vous en devriez rougir, Cléante; et il n'est guère honnête à un amant de venir le dernier au rendez-vous.

Acteurs de la troupe de Molière : Mademoiselle MAROTTE.

Mademoiselle BEAUVAL. - HUBERT.

* GODON *.

DU CROISY.

3 LA GRANGE.
BEAUVAL. - Mademoiselle BONNEAU. - BOULONNOIS. -10 FINET.

Il est probable que ce jeune acteur n'a jamais rempli d'autre rôle que celui-ci. (Voyez les Recherches sur les Théâtres de France, tome III, page 367.)

LE VICOMTE.

Je serois ici il y a une heure, s'il n'y avoit point de fàcheux au monde; et j'ai été arrêté en chemin par un vieux importun de qualité, qui m'a demandé tout exprès des nouvelles de la cour, pour trouver moyen de m'en dire des plus extravagantes qu'on puisse débiter; et c'est là, comme vous savez, le fléau des petites villes, que ces grands nouvellistes qui cherchent partout où répandre les contes qu'ils ramassent. Celui-ci m'a montré d'abord deux feuilles de papier, pleines jusques aux bords d'un grand fatras de balivernes, qui viennent, m'a-t-il dit, de l'endroit le plus sur du monde. Ensuite, comme d'une chose fort curieuse, il m'a fait avec grand mystère une fatigante lecture de toutes les méchantes plaisanteries de la gazette de Hollande, « dont il épouse les intérêts1. Il tient que la France est battue en ruine par la plume de cet écrivain, et qu'il ne faut que ce bel esprit pour défaire toutes nos troupes; et de là s'est jeté à corps perdu dans le raisonnement du ministère, dont il remarque tous les défauts, et d'où j'ai cru qu'il ne sortiroit point. A l'entendre parler, il sait les secrets du cabinet mieux que ceux qui les font. La politique de l'État lui laisse voir tous ses desseins; et elle ne fait pas un pas dont il ne pénètre les intentions. Il nous apprend les ressorts cachés de tout ce qui se fait, nous découvre les vues de la prudence de nos voisins, et remue, à sa fantaisie, toutes les affaires de l'Europe. Ses intelligences même s'étendent jusques en Afrique et en Asie; et il est informé de tout ce qui s'agite dans le conseil d'en haut du Prêtre-Jean2 et du grand Mogol.

JULIE.

Vous parez votre excuse du mieux que vous pouvez,

afin

Molière semble n'avoir tracé le portrait du nouvelliste que pour se donner le plaisir de châtier le gazetier insolent des Provinces-Unies. Depuis la paix signée à Aix-la-Chapelle en 1668, ce gazetier ne cessait d'imprimer les choses les plus injurieuses pour Louis XIV et pour la nation française. Un an après la représentation de la Comtesse d'Escarbagnas, Louis XIV fit la conquête de la Hollande. (Bret.)

On lit Prétre-Jean dans les éditions modernes. Nous suivons celles qui ont été données du vivant de Molière.

On appela d'abord Prêtre-Jean, un prince tartare qui combattit Gengis. Des religieux envoyés près de lui prétendirent qu'ils l'avaient converti, l'avaient nommé Jean au baptême, et même lui avaient conferé le sacerdoce; de la cette qualification de Prétre-Jean, qui est devenue depuis, on ne sait pourquoi, celle d'un prince nègre, moitié chretien schismatique, et moitié juif. C'est de ce deruier qu'il est question ici. (Auger.)

de la rendre agréable, et faire qu'elle soit plus aisément reçue.

LE VICOMTE.

C'est là, belle Julie, la véritable cause de mon retardement; et, si je voulois y donner une excuse galante, je n'aurois qu'à vous dire que le rendez-vous que vous voulez prendre peut autoriser la paresse dont vous me querellez; que m'engager à faire l'amant de la maîtresse du logis, c'est me mettre en état de craindre de me trouver ici le premier; que cette feinte où je me force n'étant que pour vous plaire, j'ai lieu de ne vouloir en souffrir la contrainte que devant les yeux qui s'en divertissent; que j'évite le tète-à-tête avec cette comtesse ridicule dont vous m'embarrassez; et, en un mot, que, ne venant ici que pour vous, j'ai toutes les raisons du monde d'attendre que vous y soyez.

JULIE.

Nous savons bien que vous ne manquerez jamais d'esprit pour donner de belles couleurs aux fautes que vous pourrez faire. Cependant, si vous étiez venu une demi-heure plus tôt, nous aurions profité de tous ces moments; car j'ai trouvé en arrivant que la comtesse étoit sortie, et je ne doute point qu'elle ne soit allée par la ville se faire honneur de la comédie que vous me donnez sous son nom.

LE VICOMTE.

Mais tout de bon, madame, quand voulez-vous mettre fin à cette contrainte, et me faire moins acheter le bonheur de vous voir ?

JULIE.

Quand nos parents pourront être d'accord; ce que je n'ose espérer. Vous savez, comme moi, que les démêlés de nos deux familles ne nous permettent point de nous voir autre part, et que mes frères, non plus que votre père, ne sont pas assez raisonnables pour souffrir notre attachement.

LE VICOMTE.

Mais pourquoi ne pas mieux jouir du rendez-vous que leur inimitié nous laisse, et me contraindre à perdre en une sotte feinte les moments que j'ai près de vous?

JULIE.

Pour mieux cacher notre amour; et puis, à vous dire la vérité, cette feinte dont vous parlez m'est une comédie fort agréable; et je ne sais si celle que vous nous donnez au

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