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COMÉDIE EN TROIS ACTES.

1671.

NOTICE.

Cette pièce fut représentée pour la première fois sur le théâtre du Palais-Royal, le 24 mai 1671. C'est une imitation de la co médie antique à laquelle s'ajoutent un grand nombre d'emprunts faits à diverses comédies d'intrigue italiennes ou françaises. Le Phormion de Térence en a donné l'idée première, et plusieurs scènes ont été inspirées par la Sœur, comédie de Rotrou, le Pédant joué de Cyrano de Bergerac, un canevas italien, Pantalon père de famille, Francisquine, farce de Tabarin, l'Émilie de Grotto et la Constance de Larivey. C'est à propos des emprunts qu'il avait faits dans les Fourberies de Scapin, que Molière disait : « Je prends mon bien où je le trouve. »>

Sans doute, quand on se place au point de vue étroitement classique; quand on juge, comme quelques critiques, d'après le code du goût, qui n'est souvent que le code de l'impuissance et de l'ennui, on ne peut placer la pièce qui nous occupe au nombre des chefs-d'œuvre de notre scène; mais au moins on ne peut lui refuser le premier rang parmi les chefs-d'œuvre de la farce. Molière voulait faire rire ; il a réussi, là est toute la question; et pour répondre aux critiques qui ont été faites des Fourberies de Scapin, nous ne pouvons mieux faire que de citer cc jugement de Voltaire :

«Si Molière avait donné la farce des Fourberies de Scapin pour une vraie comédie, Despréaux aurait eu raison de dire dans son Art poétique:

C'est par là que Molière, illustrant ses écrits,

Peut-être de son art eût remporté le prix,
Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon l'agréable et le fin,

Et sans honte à Térence allié Tabarin.

Dans le sac ridicule où Scapin s'enveloppe

Je ne reconnois plus l'auteur du Misanthrope.

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>> On pourrait répondre à ce grand critique que Molière n'a point allié Térence à Tabarin dans ses vraies comédies, où il surpasse Térence que s'il a déféré au goût du peuple, c'est dans ses farces, dont le seul titre annonce du bas comique; et que ce bas comique était nécessaire pour soutenir sa troupe.

» Molière ne pensait pas que les Fourberies de Scapin et le Mariage forcé valussent l'Avare, le Tartuffe, le Misanthrope, les Femmes savantes, ou fussent même du même genre. De plus, comment Despréaux peut-il dire que Molière peut-être de son art eût remporté le prix? Qui donc aura ce prix, si Molière ne l'a pas ? »

Nous ajouterons que si l'auteur, dans la pièce qu'on va lire, a souvent exagéré la plaisanterie, il a souvent aussi maintenu le véritable comique à une hauteur que lui seul a su atteindre, et suivant la juste remarque de Geoffroy, ce Scapin qui fait tant de folies, dit aussi quelquefois les choses les plus sages, témoin sa tirade sur les dangers de la chicane.

PERSONNAGES.

ARGANTE, père d'Octave et de Zerbinette'.
GÉRONTE, père de Léandre et d'Hyacinte .

OCTAVE, fils d'Argante, et amant d'Hyacinte 3.

LÉANDRE, fils de Géronte, et amante de Zerbinette'.

ZERBINETTE, crue Égyptienne, et reconuue fille d'Argante et aman'e de Léandre 5.

HYACINTE, fille de Géronte et amante d'Octave".

SCAPIN, valet de Léandre, et fourbe 7.

SYLVESTRE, valet d'Octave.

NÉRINE, nourrice d'Hyaciute .

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Ah! fâcheuses nouvelles pour un cœur amoureux! Dures extrémités où je me vois réduit! Tu viens, Sylvestre, d'apprendre au port que mon père revient?

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Et qu'il revient dans la résolution de me marier?

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Et que cette fille est mandée de Tarente ici pour cela?

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A qui mon père les a mandées par une lettre?

Par une lettre.

SYLVESTRE.

OCTAVE.

Et cet oncle, dis-tu, sait toutes nos affaires?

SYLVESTRE.

Toutes nos affaires 1.

OCTAVE.

Ah! parle, si tu veux, et ne te fais point, de la sorte, arracher les mots de la bouche.

SYLVESTRE.

Qu'ai-je à parler davantage? vous n'oubliez aucune circonstance, et vous dites les choses tout justement comme elles sont.

OCTAVE.

Conseille-moi, du moins, et me dis ce que je dois faire dans ces cruelles conjonctures.

SYLVESTRE.

Ma foi, je m'y trouve autant embarrassé que vous; et j'aurois bon besoin que l'on me conseillât moi-même.

OCTAVE.

Je suis assassiné par ce maudit retour.

SYLVESTRE.

Je ne le suis pas moins.

OCTAVE.

Lorsque mon père apprendra les choses, je vais voir fondre sur moi un orage soudain d'impétueuses réprimandes.

SYLVESTRE.

Les réprimandes ne sont rien; et plût au ciel que j'en fusse quitte à ce prix ! mais j'ai bien la mine, pour moi, de payer plus cher vos folies; et je vois se former, de loin, un nuage de coups de bâton qui crèvera sur mes épaules 2.

OCTAVE.

O ciel! par où sortir de l'embarras où je me trouve?

SYLVESTRE.

C'est à quoi vous deviez songer avant que de vous y jeter.

OCTAVE.

Ah! tu me fais mourir par tes leçons hors de saison.

SYLVESTRE.

Vous me faites bien plus mourir par vos actions étourdies.

'Cette forme de dialogue eu écho était fort goûtée au dix-septième siècle. Molière semble ici avoir fait quelques emprunts à la Sœur de Rotrou, acte I,

scène I.

Dans le Médecin volant, Sganarelle dit : « Le nuage est fort épais, et j'ai bien peur que, s'il vient à crever, il ne grèle sur mon dos force coups de båton.>

OCTAVE.

Que dois-je faire? Quelle résolution prendre? A quel remède recourir?

SCÈNE II.

--

OCTAVE, SCAPIN, SYLVESTRE.

SCAPIN.

Qu'est-ce, seigneur Octave? Qu'avez-vous? Qu'y a-t-il? Quel désordre est-ce là? Je vous vois tout troublé.

OCTAVE.

Ah! mon pauvre Scapin, je suis perdu; je suis désespéré ; je suis le plus infortuné de tous les hommes.

Comment?

SCAPIN.

OCTAVE.

N'as-tu rien appris de ce qui me regarde?

Non.

SCAPIN.

OCTAVE.

Mon père arrive avec le seigneur Géronte, et ils me veulent marier.

SCAPIN.

Hé bien! qu'y a-t-il là de si funeste?

OCTAVE.

Hélas! tu ne sais pas la cause de mon inquiétude.

SCAPIN.

Non; mais il ne tiendra qu'à vous que je la sache bientôt; et je suis homme consolatif 1, homme à m'intéresser aux affaires des jeunes gens.

OCTAVE.

Ah! Scapin, si tu pouvois trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, je croirois t'être redevable de plus que la vie.

SCAPIN.

A vous dire la vérité, il y a peu de choses qui me soient impossibles, quand je m'en veux mêler. J'ai sans doute reçu du ciel un génie assez beau pour toutes les fabriques de ces gentillesses d'esprit, de ces galanteries ingénieuses, à qui le

'Pascal a dit consolatif à... et co solatif pour... :

« Discours bien consolatif à ceux qui ont assez de liberté d'esprit..., etc. » << Un beau mot de saint Augustin est bien consolatif pour de certaines per

sonnes. >

(F. Génin.)

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