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PSYCHÉ.

Ah! seigneur, je tremble des crimes

Que je vous fais commettre, et je dois me haïr...

LE ROI.

Ah! qu'ils souffrent du moins mes plaintes légitimes;
Ce m'est assez d'effort que de leur obéir;

Ce doit leur être assez que mon cœur t'abandonne
Au barbare respect qu'il faut qu'on ait pour eux,
Sans prétendre gêner la douleur que me donne
L'épouvantable arrêt d'un sort si rigoureux.
Mon juste désespoir ne sauroit se contraindre ;
Je veux, je veux garder ma douleur à jamais;
Je veux sentir toujours la perte que je fais;
De la rigueur du ciel je veux toujours me plaindre;
Je veux, jusqu'au trépas, incessamment pleurer
que tout l'univers ne peut me réparer.

Ce

PSYCHÉ.

Ah! de grace, seigneur, épargnez ma foiblesse;
J'ai besoin de constance en l'état où je suis.
Ne fortifiez point l'excès de mes ennuis

Des larmes de votre tendresse.

Seuls ils sont assez forts, et c'est trop pour mon cœur
De mon destin et de votre douleur.

LE ROI.

Oui, je dois t'épargner mon deuil inconsolable.
Voici l'instant fatal de m'arracher de toi;
Mais comment prononcer ce mot épouvantable?
Il le faut toutefois; le ciel m'en fait la loi :
Une rigueur inévitable

M'oblige à te laisser en ce funeste lieu.
Adieu; je vais... Adieu'.

Ce qui suit jusqu'à la fin de la pièce est de M. Corneille, à la réserve de la première scène du troisième acte, qui est de la même main que ce qui a précédé.

La situation de Psyché et de son père est la même que celle d'Iphigénie et d'Agamemnon. Le père de Psyché est plus touchant que le roi de Mycènes, parce qu'il ne mérite en rien son malheur, qu'il ne peut rien pour s'y soustraire, et que rien ne pourra l'en consoler. Mais, d'un autre côté, Iphigénie, laissant échapper ces regrets si naturels dans une jeune fille qui va perdre, avec la vie qu'elle aime, un amant qu'elle chérit encore davantage, cst bien plus attendrissante que Psyché encourageant son père à la constance, et lui remontrant cé qu'il doit à sa qualité de roi et à son respect pour les dieux. (Auger.)

SCÈNE II.

- PSYCHÉ, AGLAure, cidippe.

PSYCHE.

Suivez le roi, mes sœurs : vous essuierez ses larmes,
Vous adoucirez ses douleurs ;

Et vous l'accableriez d'alarmes,

Si vous vous exposiez encore à mes malheurs.
Conservez-lui ce qui lui reste :

Le serpent que j'attends peut vous être funeste,
Vous envelopper dans mon sort,

Et me porter en vous une seconde mort.
Le ciel m'a seule condamnée

A son haleine empoisonnée ;
Rien ne sauroit me secourir;
Et je n'ai pas besoin d'exemple pour mourir1.

AGLAURE.

Ne nous enviez pas ce cruel avantage,
De confondre nos pleurs avec vos déplaisirs,
De mêler nos soupirs à vos derniers soupirs:
D'une tendre amitié souffrez ce dernier gage.
PSYCHÉ.

C'est vous perdre inutilement.

CIDIPPE.

C'est en votre faveur espérer un miracle,
Ou vous accompagner jusques au monument.
FSYCHÉ.

Que peut-on se promettre après un tel oracle?

AGLAURF.

Un oracle jamais n'est sans obscurité :

On l'entend d'autant moins, que mieux on croit l'entendre 2;
Et peut-être, après tout, n'en devez-vous attendre
Que gloire et que félicité.

Laissez-nous voir, ma sœur, par une digne issue,
Cette frayeur mortelle heureusement déçue,
Ou mourir du moins avec vous,

Si le ciel à nos vœux ne se montre plus doux.

Quand on ne serait pas averti par une note que Corneille vient de prendre la plume, il semble que ce vers,

Et je n'ai pas besoin d'exemple pour mourir,

suffirait pour déceler sa main.

(Auger.)

Ce vers et le précédent se trouvent dans Horace, acte II, scène HI.

PSYCHÉ.

Ma sœur, écoutez mieux la voix de la nature,
Qui vous appelle auprès du roi.

Vous m'aimez trop; le devoir en murmure;
Vous en savez l'indispensable loi.

Un père vous doit être encor plus cher que moi.
Rendez-vous toutes deux l'appui de sa vieillesse ;
Vous lui devez chacune un gendre et des neveux ;
Mille rois, à l'envi, vous gardent leur tendresse;
Mille rois, à l'envi, vous offriront leurs vœux.
L'oracle me veut seule; et seule aussi je veux
Mourir, si je puis, sans foiblesse,

Ou ne vous avoir pas pour témoins toutes deux
De ce que, malgré moi, la nature m'en laisse.

AGLAURE.

Partager vos malheurs, c'est vous importuner.

CIDIPPE.

J'ose dire un peu plus, ma sœur, c'est vous déplaire. PSYCHÉ.

Non; mais enfin c'est me gêner, Et peut-être du ciel redoubler la colère.

AGLAURE.

Vous le voulez, et nous partons.

Daigne ce même ciel, plus juste et moins sévère,
Vous envoyer le sort que nous vous souhaitons,
Et que notre amitié sincère,

En dépit de l'oracle et malgré vous, espère.

PSYCHÉ.

Adieu. C'est un espoir, ma sœur, et des souhaits
Qu'aucun des dieux ne remplira jamais.

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Enfin, seule et toute à moi-même, Je puis envisager cet affreux changement Qui, du haut d'une gloire extrême, Me précipite au monument.

Cette gloire étoit sans seconde;

L'éclat s'en répandoit jusqu'aux deux bouts du monde. Tout ce qu'il a de rois sembloient faits pour m'aimer; Tous leurs sujets, me prenant pour déesse,

III.

31

Commençoient à m'accoutumer

Aux encens qu'ils m'offroient sans cesse;

Leurs soupirs me suivoient, sans qu'il m'en coûtât rien
Mon ame restoit libre en captivant tant d'ames;
Et j'étois, parmi tant de flammes,

Reine de tous les cœurs et maîtresse du mien '.
O ciel! m'auriez-vous fait un crime
De cette insensibilité?

Déployez-vous sur moi tant de sévérité,

Pour n'avoir à leurs vœux rendu que de l'estime?
Si vous m'imposiez cette loi,

Qu'il fallut faire un choix pour ne pas vous déplaire,
Puisque je ne pouvois le faire,

Que ne le faisiez-vous pour moi?

Que ne m'inspiriez-vous ce qu'inspire à tant d'autres
Le mérite, l'amour, et... Mais que vois-je ici?

SCÈNE IV. CLÉOMÈNE, AGÉNOR, PSYCHÉ.
CLÉOMÈNE.

Deux amis, deux rivaux, dont l'unique souci
Est d'exposer leurs jours pour conserver les vôtres.

PSYCHÉ.

Puis-je vous écouter, quand j'ai chassé deux sœurs?
Princes, contre le ciel pensez-vous me défendre?
Vous livrer au serpent qu'ici je dois attendre,
Ce n'est qu'un désespoir qui sied mal aux grands cœurs:
Et mourir alors que je meurs,
C'est accabler une ame tendre
Qui n'a que trop de ses douleurs.

AGÉNOR,

Un serpent n'est pas invincible :
Cadmus, qui n'aimoit rien, défit celui de Mars.
Nous aimons, et l'Amour sait rendre tout possible
Au cœur qui suit ses étendards,

A la main dont lui-même il conduit tous les dards.
PSYCHÉ.

Voulez-vous qu'il vous serve en faveur d'une ingrate

Ces vers sont d'autant plus remarquables, qu'ils s'éloignent beaucoup da geure de Corneille. Nous verrons ce grand poëte exprimer la passion de l'amour avec un charme qui étonne dans un vieillard dont l'ame s'étoit nourrie d'objets sublimes. (Peritot.)

Que tous ses traits n'ont pu toucher?

Qu'il dompte sa vengeance au moment qu'elle éclate
Et vous aide à m'en arracher?

Quand même vous m'auriez servie,
Quand vous m'auriez rendu la vie,
Quel fruit espérez-vous de qui ne peut aimer?

CLEOMÈNE.

Ce n'est point par l'espoir d'un si charmant salaire
Que nous nous sentons animer;

Nous ne cherchons qu'à satisfaire

Aux devoirs d'un amour qui n'ose présumer
Que jamais, quoi qu'il puisse faire,
Il soit capable de vous plaire,
Et digne de vous enflammer.

Vivez, belle princesse, et vivez pour un autre :
Nous le verrons d'un œil jaloux,

Nous en mourrons, mais d'un trépas plus doux
Que s'il nous falloit voir le vôtre;

Et, si nous ne mourons en vous sauvant le jour,
Quelque amour qu'à nos yeux vous préfériez au nôtre,
Nous voulons bien mourir de douleur et d'amour.
PSYCHÉ.

Vivez, princes, vivez, et de ma destinée

Ne songez plus à rompre ou partager la loi :
Je crois vous l'avoir dit, le ciel ne veut que moi;
Le ciel m'a seule condamnée.

Je pense ouïr déja les mortels sifflements

De son ministre qui s'approche :

Ma frayeur me le peint, me l'offre à tous moments :
Et, maitresse qu'elle est de tous mes sentiments,
Elle me le figure au haut de cette roche.

J'en tombe de foiblesse, et mon cœur abattu
Ne soutient plus qu'à peine un reste de vertu.
Adieu, princes, fuyez, qu'il ne vous empoisonne.
AGÉNOR.

Rien ne s'offre à nos yeux encor qui les étonne;
Et, quand vous vous peignez un si proche trépas,
Si la force vous abandonne,

Nous avons des cœurs et des bras

Que l'espoir n'abandonne pas.

Peut-être qu'un rival a dicté cet oracle,

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