Page images
PDF
EPUB

ÉLISE.

Et moi, je gage qu'il ne sauroit être approuvé d'aucune personne raisonnable.

HARPAGON, apercevant Valere de loin.

Voilà Valère. Veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions juge de cette affaire?

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison de ma fille ou de moi.

VALÈRE.

C'est vous, monsieur, sans contredit.

HARPAGON.

Sais-tu bien de quoi nous parlons?

VALÈRE.

Non. Mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison.

HARPAGON.

Je veux, ce soir, lui donner pour époux un homme aussi riche que sage; et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que dis-tu de cela ?

[blocks in formation]

Je dis que, dans le fond, je suis de votre sentiment, et

vous ne pouvez pas que vous n'ayez raison'. Mais aussi n'a-t-elle pas tort tout à fait, et...

HARPAGON.

Comment? le seigneur Anselme est un parti considérable; c'est un gentilhomme qui est noble2, doux, posé, sage et fort accommodé, et auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Sauroit-elle mieux rencontrer?

VALÈRE.

Cela est vrai. Mais elle pourroit vous dire que c'est un peu précipiter les choses, et qu'il faudroit au moins quelque temps pour voir si son inclination pourroit s'accommoder

avec...

HARPAGON.

C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici un avantage qu'ailleurs je ne trouverois pas ; et il s'engage à la prendre sans dot.

[blocks in formation]

Ah! je ne dis p'us rien. Voyez-vous? voilà une raison tout à fait convaincante; il se faut rendre à cela.

HARPAGON.

C'est pour moi une épargne considérable.

VALÈRE.

Assurément; cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande affaire qu'on ne peut croire; qu'il y va d'être heureux ou malheureux toute sa vie; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'à la mort ne se doit jamais faire qu'avec de grandes précautions.

Sans dot!

HARPAGON.

Vous ne pouvez pas que, latinisme, on possum quin. Boileau a dit aussi, dans la Satire sur les Femmes:

Je ne puis cette fois que je re les excuse!

Ce gentilhomme qui est noble est certainement un trait de satire contre les faux nobles, dont le nombre étoit fort considérable. Moliere y revient plus loin, acle V, scène v : « Le monde aujourd'hui n'est plein que de ces larrons de no» blesse, que de ces imposteurs qui tirent avantage de leur obscurité, et s'habil. lent insolemment du premier nom illustre qu'ils s'avisent de prendre. (Auger.)

VALÈRE.

Vous avez raison: voilà qui décide tout; cela s'entend. Il y a des gens qui pourroient vous dire qu'en de telles occasions, l'inclination d'une fille est une chose, sans doute, où l'on doit avoir de l'égard; et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur et de sentiments, rend un mariage sujet à des accidents très fàcheux.

Sans dot!

HARPAGON.

VALERE.

Ah! il n'y a pas de réplique à cela; on le sait bien. Qui diantre peut aller là contre? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantité de pères qui aimeroient mieux ménager la satisfaction de leurs filles, que l'argent qu'ils pourroient donner; qui no les voudroient point sacrifier à l'intérêt, et chercheroient plus que toute autre chose à mettre dans un mariage cette douce conformité qui, sans cesse, y maintient l'honneur, la tranquillité et la joie; et que......

Sans dot1!

HARPAGON.

VALERE.

Il est vrai; cela ferme la bouche à tout. Sans dot! Le moyen de résister à une raison comme celle-là ?

HARPAGON, part, regardant du côté du jardin.

Ouais il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est-ce point qu'on en voudroit à mon argent? (à Valere.) Nc bougez; je reviens tout à l'heure.

[blocks in formation]

Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites?

VALÈRE.

C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter de front ses sentiments est le moyen de tout

'Dans la pièce latine, Mégadore fait ses propositions de mariage: Euclion y consent, mais à une condition: Je veux bien, dit-il, que cet hymen s'accomplisse; mais n'oubliez pas que vous vous êtes engagé à prendre ma fille sans dot.

Foxint; illud facito ut memineris

Convenisse ut ne quid dotis mea ad te afferret filia. (Pelitot.)

gater; et il y a de certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant; des tempéraments ennemis de toute résistance; des naturels rétifs, que la vérité fait cabrer, qui toujours se roidissent contre le droit chemin de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'e veut les conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en viendrez mieux à vos fins; et...

Mais ce mariage, Valère!

ÉLISE.

VALÈRE.

On cherchera des biais pour le rompre.

ÉLISE.

Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir?

VALÈRE.

Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.

ÉLISE.

Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des médecins. VALÈRE.

Vous moquez-vous? Y connoissent-ils quelque chose? Allez, allez, vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira; ils vous trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient.

SCÈNE IX.

HARPAGON, ÉLISE, VALÈRE.

HARPAGON, à part, dans le fond du théâtre.

Ce n'est rien, Dieu merci.

VALÈRE, sans voir Harpagon.

Enfin, notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à couvert de tout; et si votre amour, belle Élise, est capable d'une fermeté..... (Apercevant Harpagon.) Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle regarde comme un mari est fait; et, lorsque la grande raison de sans dot s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui donne.

HARPAGON.

Bon; voilà bien parlé, cela!

VALÈRE.

Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la hardiesse de lui parler comme je fais.

HARPAGON.

Comment! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur

elle un pouvoir absolu. (A Élise.) Oui, tu as beau fuir, je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.

[blocks in formation]

Monsieur, je vais la suivre, pour lui continuer les leçons que je lui faisois.

HARPAGON.

Oui; tu m'obligeras. Certes...

VALÈRE.

Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.

Cela est vrai. Il faut...

HARPAGON.

VALÈRE.

Ne vous mettez pas en peine. Je crois que j'en viendrai à bout.

HARPAGON.

Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout à l'heure.

VALÈRE, adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté par où elle est sortie.

Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre graces au ciel, de l'honnête homme de père qu'il vous a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout est renfermé là dedans; et sans dot tient lieu de beauté, de jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse et de probité.

HARPAGON.

Ah! le brave garçon ! Voilà parler comme un oracle. Heu reux qui peut avoir un domestique de la sorte!

FIN DU PREMIER ACTE

« PreviousContinue »