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Quoi?

LA FLÈCHE.

HARPAGON.

Qu'est-ce que tu parles de voler?

LA FLÈCHE.

Je vous dis que vous fouilliez bien partout, pour voir si e vous ai volé.

HARPAGON.

C'est ce que je veux faire.

(Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.) LA FLÈCHE, à part.

La peste soit de l'avarice et des avaricieux !

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Oui; qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux?

LA FLÈCHE.

Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux.

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Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous?

HARPAGON.

Je crois ce que je crois; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela.

LA FLÈCHF.

Je parle... je parle à mon bonnet.

HARPAGON.

Et moi, je pourrois bien parler à ta barrette'.

LA FLÈCHE.

M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?

HARPAGON.

Non; mais je t'empêcherai de jaser et d'être insolent Tais-toi.

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LA FLÈCHE, montrant à Harpagon une poche de son justaucorps. Tencz, voilà encore une poche: êtes-vous satisfait?

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Dans le moyen âge on appelait barrette le devant du chaperon, à cause des passements dont il était orné, et qui y formaient des barres; parler à la barrette, en langage vulgaire, signifie laver la tête à quelqu'un, et même le frapper. 2 Dans Plaute Je ne veux pas te fouiller davantage, rends-le-moi. Dans Plaute, Strobile est congédié de la même manière : « Va-t'en où tu

HARPAGON.

Je te le mets sur ta conscience, au moins.

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Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort; et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent; et bien heureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement que ce qu'il faut pour sa dépense! On n'est pas peu embarrassé à inventer, dans toute une maison, une cache fidèle; car, pour moi, les coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les tiens justement une franche amorce à voleurs; et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer.

SCÈNE V. HARPAGON, ÉLISE ET CLÉANTE,

ensemble, et restant dans le fond du théâtre.

HARPAGON, se croyant seul.

parlant

Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré, dans mon jardin, dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or chez soi est une somme assez..... (A part, apercevant Élise et Cléante.) O ciel! je me serai trahi moi-même! la chaleur m'aura emporté, et je crois que j'ai parlé haut, en raisonnant tout seul. (A Cléante et à Élisc.) Qu'est-ce?

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> voudras, et que Jupiter et tous les dieux puissent te confondre! - Il me re

mercie bien poliment. >>

2.

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Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je m'entretenois en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver de l'argent, et je disois qu'il est bien heureux qui peut avoir dix mille écus chez soi.

CLÉANTE.

Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre.

HARPAGON.

Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est moi qui ai dix mille écus 2.

CLÉANTE.

Nous n'entrons point dans vos affaires.

HARPAGON.

Plût à Dieu que les eusse, dix mille écus!

Je ne crois pas...

CLÉANTE.

HARPAGON,

Ce seroit une bonne affaire pour moi

Feindre, dans le sens d'hesiter.

2 On trouve, dans une facétie du quinzième siècle, une tirade qui offre quelque analogie avec la scène ci-dessus :

« Premier tu te mets en dangier
»De perdre le boire et manger,

» D'avarice qui te tiendra;
» Puis le grand diable viendra

> Qui te dira qu'on te de-robe...

>> Un rische a toujours doute et tremble

>> De paour qu'on lui emble le sien;

>> Mais un poure homme qui n'a rien

> Jamais il ne craint le deschet;

> Car qui n'a rien, rien ne lui chet. »

Voyez le Dialogue beau et afable, et à toutes gens moult delectable, d'un sage

et d'un fol, etc. Paris (sans date).

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Et je ne me plaindrois pas, comme je fais, que le temps est misérable 1.

CLEANTE.

Mon Dieu! mon père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre, et l'on sait que vous avez assez de bien.

HARPAGON.

Comment, j'ai assez de bien! Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là.

ÉLISE.

Ne vous mettez point en colère.

HARPAGON.

Cela est étrange, que mes propres enfants me trahissent, et deviennent mes ennemis.

CLEANTE.

Est-ce ètre votre ennemi que de dire que vous avez du bien?

HARPAGON.

Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu'un de ces jours on viendra chez moi me couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles.

CLEANTE.

Quelle grande dépense est-ce que je fais?

'Dans Plaute, Euclion répète sans cesse qu'il est pauvre, ce qui est fort bien; mais Harpagon dit la même chose, ce qui est encore mieux, parce qu'on sait le contraire. Euclion est pauvre, et est à peu près dans le cas du savetier de La Fontaine, à qui ses cent écus tournent la tète: il a trouvé dans sa maison un trésor dans un pot de terre que son grand-père avait enfoui. Dans l'Avare de Molière, ce trésor n'a pas été trouvé; il a été amassé, ce qui vaut beaucoup mieux; de plus, Harpagon est riche et connu pour tel, ce qui rend son avarice plus odieuse et moins excusable. (La Harpe,)

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