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DE POURCEAUGNAC,

COMÉDIE-BALLET EN TROIS ACTES.

1669.

NOTICE.

Suivant Geoffroy, qui nous paraît avoir très-heureusement caractérisé la pièce qu'on va lire, M. de Pourceaugnac « est le type, l'origine et le modèle de ces innombrables farces où il s'agit de berner un provincial imbécile qui a la témérité de vouloir épouser une jolie fille. Il est établi au théâtre, comme maxime fondamentale, qu'il n'y a qu'un joli garçon, un jeune officier, un petit maître qui puisse être le mari d'une jolie fille; c'est à peu près le contraire de ce qui arrive dans le monde, où l'intérêt et les convenances se moquent des lois théâtrales. Pourceaugnac n'est probablement pas la première pièce faite sur ce sujet; mais elle vaut mieux que toutes celles qui l'ont précédée; et ce qui est plus extraordinaire, elle est restée la meilleure de toutes celles qui l'ont suivie. Dans le genre même de la farce, Molière est le maître, comme il l'est dans la haute comédie. »>

Après avoir ainsi donné l'explication du sujet, Geoffroy aborde les détails, et touche encore avec bonheur bien des points principaux de cette farce ébouriffante, nous voulons parler des plaisanteries contre la Faculté. « Il s'en faut bien, dit-il, que l'on sente aujourd'hui comme autrefois, le sel des épigrammes de Molière contre les médecins. C'était, de son temps, un corps plus important, plus respecté, plus vénérable aux yeux du peuple par un extérieur scientifique : la robe, le bonnet, le rabat, un air rébarbatif, le latin de l'école, tout contribuait à leur donner l'air de pédants maussades, digne gibier de comédie. Ils étaient si graves et si tristes, que pendant un certain temps on les condamna au célibat, comme n'étant propres qu'à faire peur aux femmes. Les railleries sur cette étrange espèce d'animaux

et sur leur corporation qu'on appelait la Faculté, devaient produire un effet bien plus piquant lorsqu'on avait sous les yeux dans le monde, les originaux des copies ridicules qu'on exposait au théâtre. Pourceaugnac n'est pas une pièce de carnaval, une pièce faite pour le peuple; elle fut composée exprès pour le plaisir du roi et de toute la cour. Pourceaugnac fit partie d'une fête que Louis XIV donnait à Chambord. »

Suivant une opinion très-accréditée à Limoges, Molière aurait composé M. de Pourceaugnac pour se venger de l'accueil qu'il avait reçu comme acteur dans cette ville.

Suivant Grimarest, l'idée première de cette pièce aurait été fournie par un gentilhomme limousin, qui se serait querellé sur le théâtre avec les comédiens de Molière et les aurait brutalement insultés. Cette opinion est appuyée du témoignage du rimeur contemporain Robinet, qui dit dans sa gazette en vers:

Tout est dans ce sujet follet
De comédie et de ballet
Digne de son rare génie,
Qu'il tourne certe et qu'il manie
Comme il lui plaît incessamment,
Avec un nouvel agrément,

Comme il tourne aussi sa personne,
Ce qui pas moins ne nous étonne,
Selon les sujets comme il veut.
I joue autant bien qu'il se peut
Ce marquis de nouvelle fonte,
Dont par hasard, à ce qu'on conte,
L'original est à Paris :

En colère autant que surpris
De s'y voir dépeint de la sorte,
Il jure, il tempête, il s'emporte,
Et veut faire ajourner l'auteur
En réparations d'honneur,

Tant pour lui que pour sa famille,

Laquelle en Pourceaugnacs fourmille...

Les érudits littéraires, comme les collecteurs d'anecdotes, n'ont pas manqué de rechercher les sources auxquelles Molière a puisé; et tout en admettant que l'accueil fait à notre auteur par la ville de Limoges, ou la querelle du gentilhomme ait été l'occasion première et la cause déterminante de cette comédie, ils ont indiqué comme ayant fourni des inspirations à notre auteur: 1o les Facétieuses journées, de Gabriel Chapuis; 2o les Repues franches, de Villon; 3o les Nouveaux contes à rire, du sieur d'Ouville; 40 l'Histoire générale des larrons; enfin une comédie en trois actes, intitulée le Disgrazie d'Arlechino (les Disgrâces d'Arlequin), paraît avoir fourni la plupart des tours qu'on joue à Pourceaugnac. Le héros italien est, comme le héros français, persécuté

par un fourbe qui met à ses trousses de faux créanciers, des coquines qui prétendeut être ses femmes, et une troupe d'enfants qui l'appellent papa. Enfin, le héros italien finit aussi par se déguiser en femme pour fuir la justice, qui punit sévèrement les polygames.

Molière, à ce qu'il paraît, n'attachait guère plus d'importance à M. de Pourceaugnac qu'à Georges Dandin. Et cependant, suivant la remarque de Voltaire, dans cette farce, comme dans toutes celles de Molière, il y a des scènes dignes de la haute comédie; et aux précieux de la critique, on peut répondre avec Diderot : « Si l'on croit qu'il y ait beaucoup plus d'hommes capables de faire Pourceaugnac que le Misanthrope, on se trompe. »

PERSONNAGES DE LA COMÉDIE.

MONSIEUR DE POURCEAUGNAC '.

ORONTE".

JULIE, fille d'Oronte 3.

ERASTE, amant de Julie'.

NÉRINE, femme d'intrigue, feinte Picarde '.

LUCETTE, feinte Gasconne'.

SBRIGANI, Napolitain, homme d'intrigue.
PREMIER MÉDECIN.

SECOND MÉDECIN.

UN APOTHICAIRE.
UN PAYSAN.

UNE PAYSANNE.
PREMIER SUISSE.
SECOND SUISSE.

UN EXEMPT.

DEUX ARCHERS.

PERSONNAGES DU BALLET.

UNE MUSICIENNE.

DEUX MUSICIENS.

TROUPE DE DANSEURS.

DEUX MAITRES A DANSER.

DEUX PAGES dansants.

QUATRE CURIEUX DE SPECTACLES dansants.

DEUX SUISSES dausants.

DEUX MÉDECINS GROTESQUES.

MATASSINS dansants.

DEUX AVOCATS chautants.

DEUX PROCUREURS dansants.

DEUX SERGENTS dansants.

TROUPE DE MASQUES.

UNE ÉGYPTIENNE chantante.

UN EGYPTIEN chantant.

UN PANTALON chantant.

CHOEUR DE MASQUES chautants.

SAUVAGES dansants.

BISCAYENS dansants.

La scène est à Paris.

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Acteurs de la troupe de Molière: MOLIÈRE. 2 BÉJART. MOLIÈRE. (Armande BEJART.)

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LA GRANGE. - Magdeleine BEJART.

Danseurs bouffons. Ce mot vient de l'espagnol, matachines. (MEN.)

• Pantalon, personnage de la comédie italienne, espèce de bouffon qui forme des danses grotesques avec des gestes violents et des postures extravagantes.

(LAVEAUX.)

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

ÉRASTE, UNE MUSICIENNE, DEUX MUSI

CIENS CHANTANTS, PLUSIEURS AUTRES JOUANT DES INSTRU MENTS; TROUPE DE DANSEURS.

ÉRASTE, aux musiciens et aux danseurs.

Suivez les ordres que je vous ai donnés pour la sérénade. Pour moi, je me retire, et ne veux point paroître ici.

SCÈNE II.

UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS CHANTANTS: PLUSIEURS AUTRES JOUANT DES INSTRUMENTS; TROUPE DE DANSEURS.

(Cette sérénade est composée de chant, d'instruments et de danse. Les paroles qui s'y chantent ont rapport à la situation où Éraste se trouve avec Julie, et expriment les sentiments de deux amants qui sont traversés dans leurs amours par le caprice de leurs parents.)

UNE MUSICIENNE.

Répands, charmante nuit, répands sur tous les yeux
De tes pavots la douce violence;

Et ne laisse veiller en ces aimables lieux

Que les cœurs que l'amour soumet à sa puissance.
Tes ombres et ton silence,

Plus beaux que le plus beau jour,
Offrent de doux moments à soupirer d'amour.

PREMIER MUSICIEN.

Que soupirer d'amour

Est une douce chose,

Quand rien à nos vœux ne s'oppose!

A d'aimables penchants notre cœur nous dispose :
Mais on a des tyrans à qui l'on doit le jour.

Que soupirer d'amour

Est une douce chose,

Quand rien à nos vœux ne s'oppose !

SECOND MUSICIEN.

Tout ce qu'à nos vœux on oppose

Contre un parfait amour ne gagne jamais rien :

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