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Un Orage terrible aux yeux des matelots, 170 C'eft Neptune en courroux qui gourmande les flots.

REMARQUES.

C'est un tableau du monde, un miroir qui raporte
Les geftes des mortels en differente forte.
Ony void peint au vray le gendarme vaillant,

Le fage capitaine une ville affaillant,

Les confeils d'un vieil homme, efcarmouches, batailles,
Les rufes qu'on pratique au fiege des murailles,

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Les joutes, les tournois, les feflins & les jeux,
Qu'une grande Royne fait au Prince courageux,
Que la mer a jetté par un piteux naufrage,
Après mille dangers à bord à fon rivage.
Ony void les combats, les harengues des chefs,
L'heur après le malheur, & les triftes méchefs
Qui tallonnent les Rois : les erreurs, les tempeftes
Qui des Troyens errants, pendent deffus les tefies,
Les fectes, les difcords, les points religieux
Qui brouillent les humains entre eux litigieux:
Les afires ony void & la terre defcrite,
L'Ocean merveilleux quand aquilon l'irrite:
Les amours, les duels, les fuperbes dedains,
On l'ambition mift les deux freres Thebains:
Les enfers tenebreux, les fecretes magies,
Les augures par qui les citez font regies:
Les fleuves ferpentants, bruyants en leurs canaux s
Le cercle de la Lune ou font les gros journaux
Des chofes d'ici bas, prieres, facrifices
Et des Empires grands les loix & les polices.
Ony void difcourir le plus fouvent les Dieux.
Un Terpandre chanter un chant melodieux
A l'exemple d'Orphee : & plus d'une Medee
Accorder la toyfon par Jafon demandee:
On y void le dépit on pouffa Cupidon
La fille de Dicae & la povre Didon:
Car toute Poefie il contient en formême
Soit Tragique on Comique, ou foit autre Poëme.
La preuve de ce que ces deux
derniers Vers difent, ne feroit
pas difficile à trouver dans Ho-
mère & dans Virgile. Nôtre vieux
Poëte termine cette longue Def-

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cription, par une Exclamation,
qui renferme un fouhait, que
nous fommes encore, je le crois
du moins, en droit de former
très-légitimement.

Heureux celuy que Dieu d'efprit voudra remplir,
Pour un fi grand ouvrage en François accomplir !

Il parle immédiatement après des fortes de Vers, qui convien

Echo

Echo n'eft plus un fon qui dans l'air retentisse :
C'est une Nymphe en pleurs qui fe plaint de Narciffe.
Ainfi dans cet amas de nobles fictions,

Le Poëte s'égaye en mille inventions,
175 Orne, éleve, embellit, agrandit toutes chofes,
Et trouve sous la main des fleurs toûjours écloses:

REMARQUES.

nent au Poëme Epique; & nom-
me les Vers de dix fyllabes, par-

ce que Ronfard s'en êtoit ferv
pour fa FRANCIADE.

En vers de dix ou douze aprés il le faut mettre:
Cesvers là nous prenons pour le grave Hexametre,
Suivant la rime plate, il faut que mariez
Par la Mufique ils foient enfemble appariez,
Et tellement coulans que leur veine pollie
Coule auffi doucement que l'eau de Castallie.

On s'eft fixé depuis aux Vers
Alexandrins, dont la monoto-
nie contribuera toujours nécef-
fairement à la chute des Poemes
Epiques.

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qui

,, ment fur nos vérités
veulent perfuader aux Poëtes
,, François
qui ont une Reli
gion fi haute & fi noble, qu'ils
ne doivent célébrer les Heros
Chrétiens qu'avec le fecours des
Fables Païennes & des Faux
Dieux,,.

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VERS 176. Et trouve fous fa
main des fleurs toûjours éclofes. ],,
Selon Desmarêts p. 89. & 90. Ces
fleurs toûjours éclofes font faciles à
trouver fous la main pour les Poë-
tes, qui n'ont pas le talent d'in-
venter. Ils n'ont qu'à lire les
Métamorphofes & les autres Ou-
vrages des Poëtes Païens, dont
ils ne feront que les copiftes.
Il faut que nous trouvions
,, dans nôtre fonds propre des
fictions bien plus nobles que
n'ont jamais êté celles des
Paiens ; parce que nous les ti-
,, rons du fonds d'une vérité,
,, qui nous offre des chofes bien
,,plus hautes & plus merveil-
leufes Ce n'eft donc felon
lui, que ceux qui manquent "de
force & d'invention pour fein.
dre hautement & agréable-

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دو

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Tome II.

Il eft à remarquer, que dans tout ce qu'on lit ici touchant la nature du Poëme Epique & le genre de Fictions, qu'on y doit emploïer, c'eft-à-dire, depuis le Vers 160. jufques au Vers 245. M. Defpréaux contredit & réfute directement le Siftème, que Desmarêts avoit établi, touchant la Poefie Heroïque, dans un Livre qu'il fit imprimer in-12. à Paris en 1670. fous ce titre : COMPARAISON de la Langue & de la Poëfie Françoise, avec la Grecque la Latine; & des Poëtes Grecs Latins, & François, &c. & dans un DiscOURS pour prouver que les Sujets Chreftiens font les feuls propres à la Poëfie Héroïque. Ce Dif.

G

Qu'Enée & fes vaiffeaux, par le vent écartez,
Soient aux bords Africains d'un orage emportez ;
Ce n'est qu'une aventure ordinaire & commune,
180 Qu'un coup peu furprenant des traits de la Fortune.

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que

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REMARQUES.

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"

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& Virgile ont fait leurs Fictions fur le fonds de leurs Fables qui êtoient le fonds de leur Religion. Et le Taffe a fait fes

.

Fictions fur le fonds de nôtre ,, Religion, par laquelle nous ,, croïons un feul Dieu & des ,, Anges & des Demons. Il a introduit un Ange qui appatoît à Godefroi, & il feint le Demon qui tient fon confeil dans les Enters. La faute qu'il a faite, eft de lui avoir donné le nom de Pluton, & d'avoir mis dans les Enfers les mêmes fuppli,, ces, que Virgile y a mis, qui font felon les Fables. Car cela ,, ne s'accorde pas avec nôtre ,, Religion, qui admet feulement ce qui peut être animé par les Demons comme les Enchanteurs, qui font des effets auffi furprenans dans nos Poëmes, que les Dieux & les Furies dans ceux des Anciens

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Cours eft à la tête du Poëme de
Clovis, ou La France Chreftienne,
dans l'Edition de 1673. C'est ce
Şilte me
Desmarêts entre-
prend de foutenir dans la Deffen-
Je du Poeme Heroïque, que je cite
fi fouvent dans ces Remarques.
Ce qu'il y dit p. 87. fuffica pour
faire connoître le fonds de fes
Idées. Le Poëme Héroïque doit
avoir des Fictions pour être
,, une Poëfe; & les Fictions, pour
être reques & agréées par le
,, Jugement, doivent être vrai-
femblables & tout le mer.
veilleux & le furnaturel doit
être fondé fur la Religion du
Héros que l'on prend pour fu
jet, du Prince à qui l'on con-
facre l'Ouvrage, du Poëte qui,,
le compofe, & de tous ceux
qui le doivent lire & qui doi-
en juger. Autrement
l'Ouvrage fe détruit de lui-
,, même, n'aïant point de fon-
,, dement raifonnable, & eft
rebuté du Lecteur, comme la
Franciade a êté méprifée, par-
,, ce que Ronfard pour fonder fes
,,Fictions fur les faux Dieux, y
,, parle comme Paien. HOMERE

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Desmarêts n'elt pas le premier à qui le fonds des Fictions anciennes ait para ne nous pas convenir. Avant lui, La Frefnaie - Vauquelin avoit dit Aro Poetique, Livre I.

-fi d'une Hilloire, un grand Prince fameux
Tu veux faire floter fur les flots ecumeux
Faire tu le pourras, & Chrellien fon navire
Hors des bancs perilleux & des ecueils conduire :
Auffi bien en ce temps, ouir parler des dieux
En une Poefte eft fouvent odieux.

Des fiecles le retour & les faifons changées,
Souvent foubs d'autres loix ont les Mufes rangées

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Mais
que Junon, conftante en fon averfion
Pourfuive fur les flots les reftes d'Ilion:
Qu'Eole en fa faveur les chaffant d'Italie,
Ouvre aux Vents mutinez les prifons d'Eolie:

REMARQUES.

Taffo, qui de nouveau dans Solyme a conduit
Le de vot Godefroy, qu'une grand' troupe fuit,
Certaine preuve en fait ; mais un fujet semblable
Il te faut imiter fur une vieille fable,
Et pour n'étre dedit, il faut bien advertir
De prendre un argument ou l'on puisse mentir :
Le vers du vray-femblable aime une conterie,
Qui pluslafi que le vray fuit une menterie.

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Pour le dire, en paffant la Règle, que ces derniers Vers contiennent, eft très importante. Il faut des Fictions dans la Poefte; mais il eft difficile qu'elles puiflent plaire dans les fujets, qui fe font paflés fous nos yeux, ou qui font voifins de notre tems, & dont les circonftances font connues de tout le monde. L'efprit trop plein de la Vérité, refufe de fe prêter à la Fiction, quelque vraisemblable qu'elle puifle être. Delà vient, que beaucoup d'Ouvrages, ca

pables en eux-mêmes de faire
honneur à l'imagination de
leurs Auteurs, font tombés, ou
n'ont eu qu'un fuccès très-mé-
diocre; & que ceux-mêmes à
qui les beautés de détail ont pro-
curé le fuccès le plus brillant,
pafferont difficilement à la pof-
térité, La Frefnaie-V auquelin pour
rentrer dans le fujet de cette Re-
marque, auroit volontiers ap-
prouvé la fuppreffion totale des
Fables Paiennes, fi l'on peut en
juger par ces Vers de fon Livré
III.

Les vers font le parler des Anges & de Dieu,
La profe des humains: Le Poëte au milieu
S'elevant jufqu'au Ciel, tout repeu d'ambrofie,

En ce langage efcrit fa belle Poefte.

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Pleuft au Ciel que tout bon, tout Chreftien & tout Saint Le François ne prift plus de sujet qui fut faint! Les Anges à milliers, les ames éternelles, Defcendroient pour ouir les chansons immortelles. Voiés fur le même fujet les dix derniers des Vers de ce Poëte, cités fous le Vers 133. du IV. Ch. Ramenons Desmarêts fur la fcène. Il raifonne conféquemment à fon principe; & ce principe, au fonds n'eft pas auffi ridicule qu'on l'a dit. Je ne fuis afluré.

ment rien moins, que tenté de l'admettre; mais je ne vois pas pourquoi je ne ferois pas équitable. La Poefie eft un Art d'illufion, qui nous préfente des chofes imaginées comme réelles. Quiconque voudra réfléchir fur fa propre expérience, fe convain

185 Que Neptune en courroux s'élevant fur la mer,
D'un mot calme les flots, mette la paix dans l'air,
Delivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache ;
C'est là ce qui furprend, frappe, saisit, attaché :

REMARQUES.

cra fans peine, que ces chofes
imaginées ne peuvent faire fur
nous l'impreffion de la réalité,
que l'illufion ne peut être com-
plette, qu'autant que la Poëfie
fe renferme dans la Créance com-
mune & dans les Opinions natio-
nales. C'est ce qu'Homère a pen-
fé. C'eft pour cela qu'il a tiré
du fonds de la Créance & des Opi-
nions répandues chés les Grecs,
tout le Merveilleux, tout le Sur-
naturel, toutes les Machines de
fes Poëmes. Citons une autorité
plus refpectable. L'Auteur du
plus ancien Poëme, qui nous foit
connu, du Livre de Job, écri-
vant pour les Hebreux, prend

fes Machines dans le fonds do leur Créance. Les Arabes, les Turcs, les Perfans en ufent de même dans leurs Ouvrages de Fiction. Ils empruntent leurs Machines de la Créance Mahometane & des Opinions communes aux différens Peuples du Levant. Et tout cela fur le Principe de l'Illufion que doivent opérer la Puefie & la Fiction, qu'il faut ici confondre avec elle. En conféquence du même principe, on ne fauroit douter, qu'il ne fallût puifer le Merveilleux de nos Poëmes dans le fonds même de nôtre Religion, s'il n'êtoit pas inconteftable que De la foy d'un Chreftien les myfleres terribles D'ornemens égayés ne font point fufceptibles. C'est la réflexion que le Taffe & tous fes Imitateurs n'avoient pas faite.

efpèce d'Image; mais cette Image ett faufle. Remarquons d'abord, que nôtre Auteur s'efforce dans ce Vers & les deux précédens, de rendre les principales Images & même quelques Expreflions de cet endroit du Liv. I. de l'Enéide, Vers 125. & 142. -graviter commotus &alto Profpiciens, fumma placidum caput extulit undâ, &c. dicto citiùs tumida aquora placat:

VERS 187. des Syrtes les arrache. Cet Hémiftiche n'eft guère harmonieux & me paroît le fruit de la contrainte de la Rime. Il eft vrai qu'il offre une

·

Levat ipfe tridenti;
temperat aquor.

Collectafque fugat nubes, folemque reducit.
Cymothoë fimul & Triton adnixus acuto
Detrudunt naves /copulo.
Et vaftas aperit Syrtes &
M. Defpréaux dans l'Hémiftiche,
que je reprens, a perdu de vue
fon original, & n'a pas fait at
tention, qu'il fait agir feul, Nep-

tune, un Dieu tout-puiffant, le Souverain des Ondes, qui d'un mot calme les flots, & met la paix dans l'air. Convient-il que ce

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