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Jamais au Spectateur n'offrez rien d'incroyable.
Le Vrai peut quelquefois n'eftre pas vraisemblable.
Une merveille abfurde eft pour moy fans appas.
50 L'efprit n'eft point émû de ce qu'il ne croit pas.

REMARQUES.

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l'Heroic fuivant le droit fentier,
Doit fon œuvre comprendre au cours d'un an entier :
Le Tragic, le Comic, dedans une journée

Comprend ce que fait l'autre au cours de fon année :
Le Theatre jamais ne doit eftre rempli

D'un argument plus long que d'un jour accompli :
Et doit une Iliade en fa haute entreprise,
Eftre au cercle d'un an, ou gueres plus, comprife.

Il ne me paroît pas que ce vieux
Poëte ait connu les deux Unités
d'Action & de Lieu. Du moins
ne donne-t-il nulle part à ce
fujet aucune Règle précise.

IMIT. Vers 47. Jamais au Spectateur n'offrez rien d'incroyable. ] Ce Vers eft imité de cet endroit d'HORACE, Art Poëtique, Vers ༣༣8,

Fita voluptatis causâ, fint proxima veris ;

Nec quodcumque volet, pofcat fibi fabula credi:
Neu pranfe Lamia vivum puerum extrabat alvo.

Ce que La Frefnaie-Vauquelin dans fon Art Poëtique, Livre paraphrafe de cette manière, troifiéme.

-fi plaire tu veux tousjours conte tes fables
Pour donner du plaifir, comme eftant veritables:
Car n'eftant vray-femblable un propos inventé,
Comme uray fans propos ne veut eftre conté.
Pourtant tu ne feindras rien qu'on ne puiffe croire?
Cemme celuy qui conte ainfi comme une histoire,
Que les Fées jadis les enfancons voloient,
Et de nuit aux maifons fecretes devaloient
Par une cheminée: en tout fois vray-femblable.

IMIT. Vers 49. Une merveille abfurde eft pour moy fans appas. ] Ce Vers & les cinq, qui fuivent

font imités de la plus grande partie de cet endroit d'HORACE, A Poët, Vers 180.

Ce qu'on ne doit point voir, qu'un recit nous l'expofe.

Les

en le voyant yeux

faifiroient mieux la chofe,

REMARQUES.

Segnius irritant animos demiffa per aurem,
Quàm qua funt oculis fubjecta fidelibus, & qua
Ipfe fibi tradit Spectator. Non tamen intus
Digna geri, promes in fcenam, multaque tolles
Ex oculis, qua mox narret facundia præfens.
Nec pueros coram populo Medea trucidet ;
Aut humana palam coquat exta nefarius Atreus ;
Aut in avem Progne vertatur, Cadmus in Angwem.
Quodcumque oftendis mihi fic, incredulus odi.

Ce qui fait le fonds du Précepte
renfermé dans ces Vers n'ap-
partient pas moins à la Comédie
qu'à la Tragédie; auffi La Fref.
naye-Vauquelin le leur rend-t'il
commun. On verra d'ailleurs
dans fa Paraphrafe, (Art Poët.

Livre II.) qu'il eut peu gouté le merveilleux de nos Opera, & qu'il n'eut point approuvé qu'on eut, comme on l'a fait ces der nières années à l'exemple des Anglois, produit fur la Scéne ce qu'Horace en avoit banni.

moins

* Comédiens.

* le Théâ

tre.

Or pour loy le Tragic & le Comic tiendront
Quand aux jeux une chofe en jeu mettre ils voudrons
Qu'aux yeux elle fera de tous representee,
Ou bien faite desja des joueurs recitée :
Et bien que ce qu'on oit emeuve beaucoup
Que cela dont les yeux font fidelles temoins,
Toutefois il ne faut lors montrer la perfonne,
Quand la honte ou l'horreur du fait les gens etonne :
Ains il la faut cacher, & par difcours prudens
Faut conter aux oyants ce qui s'eft fait dedans :
Et ne montrer le mort apporté sur l'Etage,
Qui caché des rideaux aura receu l'outrage:
Car cela fe doit dire: & plufieurs faits oftex
Hors de devant les yeux font mieux aprs contez.
Et ne faut que Medee inhumaine marathre,
Maffacre devant tous fes enfans au Theatre:
Ou qu' Atree en public impudemment meschant
De fon frere ennemi les fils aille trenchant :
Ou que Progne en oifean devant tous foit muee:
Ou Cadme en un Serpent: ou Caffandre twee :
Ou qu'un Monftre en Toreau dans les flots mugiffan
Engloutiffe Hypolite en fon char bondissant:
Ou qu'on montre Antigone en la cave pendue,
Et fon Amant Hemon lequel aupres fe tue:
Tout ce qu'en l'Echafaut tu nous fais voir ainfi a
Faché je le dedaigne & ne le crois auffi:
Mais le fait raconté d'une chofe aparente

Fait croire le difcours de tout ce qu'on invente,

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Mais il eft des objets, que l'Art judicieux
Doit offrir à l'oreille, & reculer des yeux.

Que le trouble toûjours croiffant de scene en scene
A fon comble arrivé fe débrouille fans peine.

REMARQUES.

Le Comic tout ainfi fur l'Etage fera

Conter ce qu'au couvert l'amoureux fait aura:
Ne decouvrant à tous la honteuse befogne,
Qu'à Paris on fait voir en l'Hostel de Bourgogne ; &c.

On apprend par ces deux derniers
Vers, pourquoi le Partement dé-
fendit alors aux Comédiens Ita
liens de répréfenter leuts Farces;
& pourquoi depuis il refufa
pendant fi long tems d'enregif-
trer les Lettres Patentes de diffé-
rentes Troupes.

VERS . Que le trouble toujours croiffant de scene en scene, &c.] M. Defpréaux après avoir donné plus baut les Règles, qui concernent l'Expofition du Sujet, achève dans ces fix Vers de prefcrire d'une manière très-générale ce qui re

que La

garde la conduite du refte de la
Pièce ; & ce qu'il en dit ne
convient pas moins à la Comédie
qu'à la Tragédie. C'eft en par-
lant de la première
Frefnaie-Vauquelin donne les mê-
mes Règles dans le troifiéme Li-
vre de fon Art Poëtique. Il
faut obferver, que de fon tems
la Comédie avoit toûjours un
Prologue; & qu'il la divife
en trois parties, qui répondent
à l'Expofition du Sujet, à ce que
les Italiens appellent l'Imbroglio,
& au Dénoument.

Premier la Comedie aura fon beau Proëme,
Et puis trois autres parts qui suivront tout de mefme :]
La premiere fera comme un court argument
Qui raconte à demi le fujer brevement,
Retient le reste à dire afin que fufpendue
Soit l'ame de chacun par la chofe attendue.
La feconde fera comme un env❜lopement,
Un trouble-Fefte, un brouil de l'entier argument.
Deforte qu'on ne fcait quelle en fera l'issue,
Qui tout autre fera qu'on ne l'avoit concue,
La derniere fe fait comme un Renversement,
Qui le tout debrouillant fera voir clairement
Que chacun eft content par une fin heureuse,
Plaifante d'autant plus qu'elle eftoit dangereufe.

dans quelque détail au fujet de la

Trois pages plus loin, il entre Reconnoiffance, & de ce que les Maî-
tres de l'Art nomment Peripétie.
Mais rien n'eft fi plaisant fi* patic ne fi dous
Que la Reconnoiffance, au fentiment de tous ? &c.
Puis qu'efl-il rien plus beau, qu'un aigreur adoucie,
Par le contraire evens de la Peripetie? &c,

* pathé. tique.

L'efprit ne fe fent point plus vivement frappé,
Que lorsqu'en un fujet d'intrigue enveloppé,
D'un fecret tout à coup la verité connuë,
60 Change tout, donne à tout une face imprevuë.

La Tragedie informe & groffiere en naissant,
N'eftoit qu'un fimple Chœur, où chacun en dansant

REMARQUES.

Leon de Bradamante ayant esté vainqueur
Par Roger inconnu, fon amour & fon cœur
Par la loy du combat de Charles ordonnée
Elle devoit au Grec epoufe eftre donnée:

Mais elle ne pouvant en fon ame loger
Un autre amour egal à celuy de Roger,
Pluftoft que de le prendre elle fe veut defere:
Son Roger d'autre part de mourir delibere.
Par un event divers il avient autrement:
Roger eft reconnu pour avoir feintement
Combattu foubs le nom du Prince de la Grece
Sous ce mafque vaincu, foy-mefme & fa maistreffe:
Desja toute la Cour de l'Empereur Latin
La donne bien conquife au fils de Conftantin :
Quand Leon le voyant eftre Roger de Rife,
De fa vaine poursuite abandonne la prife,
Luy quitte Bradamante, & courtois genereux
Aide à conjoindre encor ce beau couple amoureux,
Ainfi font joints enfemble & la reconnoissance :
Et le contraire event qui luy donne accroiffance.
L'Heroic, le Tragic, ufe indiferemment
Avecques le Comic, de ce dous changement.

Dans un autre endroit du même
Liv. il parle de la Tragi-Comédie,

dont M. Defpréaux n'a rien dit ;
mais il en parle avec goût.

On fait la Comedie auffi double, de forte
Qu'avecques le Tragic le Comic fe raporte:
Quand il y a du meurtre & qu'on voit toutefois
Qu'à la fin font contents les plus grands & les Rois.
Quand du grave e du bas le parler on mendie,
On abufe du nom de Trage-comedie,

Car on peut bien encor par un fuccez heureux,
Finir la Tragedie en ebats amoureux:
Telle eftoit d'Euripide & l'Ion & l'Oreste,
L'Iphiginie, Helene & la fidelle Alceste.

Taffo par fon Aminte aux bois fait voir d'ailleurs

Que ces contes Tragics ainfi font des meilleurs,

VERS 61. La Tragédie infor- me, &c.] Ce que nôtre Auteur

Et du Dieu des raifins entonnant les louanges,
S'efforçoit d'attirer de fertiles vendanges.
65 Là le vin & la joye éveillant les efprits,
Du plus habile Chantre un Bouc eftoit le prix.

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Quand au commencement, au temps de leurs vendenges,
Que les Grecs celebroient de Bacchus les louenges,

Ils dreffoient des autels de gazons verdelets,

Et chantoient à l'entour quelques chants nouvelets,
Puis joyeux, envinez, fimples & fans malice,
D'un grand bouc amené faisant le facrifice,
Ils le mettoient en jeu trepignans des ergos:
Et ce bouc s'apeloit en leur langue Tragos,
D'ou vint premierement le nom de Tragedie:
Et celuy qui chantoit de plus grand' melodie
De ce loyer eftoit content infiniment:

Ces vers n'eftoient finon qu'un gay remerciment
De la bonne vendange, un los de la fageffe

De Dieu qui leur donnoit de biens telle largeffe.

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* c'est-à-dire, chant du Bouc.

Mais pour ce que les Grands, les Rois & les Tirans
Commencerent depuis, les fiecles empirants,
D'ufurper la louange aux dieux apartenante,
Il y eut des efprits, qui de Mufe fcavante,
Commencerent auffi par leurs vers à montrer,
Que l'homme à tous propos peut la mort rencontrer,
Combien de maux divers font joints à noflre vie
Et d'heur & de malheur egallement suivie,
Au refpect du plaifir, de la felicité

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Qui tousjours eft au Ciel, des Dieux feuls habité :
Et pour le faire voir par des preuves certaines,
Lors ils ramentevoient des plus grands capitaines,
Des Princes & des Rois les defaftres foudains,
Comme ils eftoient tombez de leurs eftats hautains
En mifere & fouffrête: & cela nous fait croire
Que c'est du vers Tragic la plus vieille memoire ;
Ainfi la Tragedie eut fon commencement:
Ainfi les Rois chetifs en furent l'argument.

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