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Horace à cette aigreur mesla son enjoûment,
On ne fut plus ni fat ni fot impunément :

Et malheur à tout nom, qui propre à la censure,
Pût entrer dans un Vers fans rompre la mesure.

Perfe en fes Vers obfcurs, mais ferrez & preffans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de fens.

Juvenal élevé dans les cris de l'Ecole
Pouffa jufqu'à l'excez fa mordante hyperbole.
Ses ouvrages tout pleins d'affreuses veritez
160 Etincelent pourtant de fublimes beautez ;
Soit que fur un écrit arrivé de Caprée
Il brife de Sejan la statuë adorée :

Soit qu'il faffe au Confeil courir les Senateurs,
D'un Tyran foupçonneux pafles adulateurs :
165 Ou que, pouffant à bout la luxure Latine,
Aux Portefaix de Rome il vende Messaline.

REMARQUES.

feur formidable, & qui pourfuit par tout le crime à main armée.
Enfe velut ftricto, quoties Lucilius ardens
Infremuit, rubet auditor, cui frigida mens eft
Criminibus, tacita fudant pracordia culpa.

IMIT. Vers 151. Horace, &c.] PERSE, Sat. I. Vers 116,
Omne vafer vitium ridenti Flaccus amico
Tangit, & admiffus circum præcordia, ludit,
Callidus excuffo populum fufpendere naso.

VERS 162. Il brife de Sejan la
fatne adorée. ] Satire X. DE SP.
VERS 163. & 164. Soit qu'il
faffe au Confeil, &c. D'un Tyran
foupçonneux, &c. ]. Satire IV.

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de Regnier, qui, malgré fes défauts particuliers & ceux de fon tems. n'a pas ceflé de tenir le premier rang parmi nos Poëtes Satiriques; je crois ne pouvoir pas placer plus commodément qu'ici, ce que La Frefnaie-Vanquelin dit de l'Hiftoire de la Satire Françoife, quelques Vers après ceux qu'on a vus plus haut,

Ses écrits pleins de feu par tout brillent aux yeux. De ces Maistres fçavans disciple ingenieux Regnier feul parmi nous formé fur leurs modelles, 170 Dans fon vieux ftile encore a des graces nouvelles. Heureux ! fi fes Difcours craints du chafte Lecteur, Ne fe fentoient des lieux où fréquentoit l'Auteur;

REMARQUES.

comme nos Francois les premiers en Provence
Du Sonnet amoureux chanterent l'excelence
D'avant l'Italien, ils ont auffi chantez
Les Satyres qu'alors ils nommoient Syrventez,
Ou Sylventois, un nom qui des Sylves Romaines
A pris fon origine en nos forefis lointaines:
Et de Rome fuyant les chemins perilleux,
Premier en Gaule vint le Satire railleux.

Depuis les Coc-à-l'afne à ces vers fuccederent,
Qui les Rimeurs Francois trop long temps poffederent
Dont Marot eut l'honneur. Aujourdbuy toutefois
Le Satyre Latin s'en vient eftre Francois ;
Si parmi les travaux de l'eftude facrée,
Se plaire en la Satyre à Desportes agrée:
Et fi le grand Ronfard de France l'Apolon
Veut poindre nos forfaits de fon vif eguillon.
Si Doublet (animé de Jumel qui prefide
Scavant au Parlement de noftre gent Druide)
Met fes beaux Vers au jour, nous enseignants moraux g
Soit en deuil, foit en joye, à fe porter egaux:
Et fi mes Vers gaillards, fuivant la vieille trate,
Du piquant Aquinois & du mordant Horace
Ne me decoivent point, par l'humeur remontreux
Qu'un Satyreau follet fouffla d'un Chefne creux.
Il dit dans un autre endroit du même Livre.
Maifonnier d'autre part qui fe plaifoit fouvent
D'ouir fon Pin fiffler aux aubades du vent,
La Satyre efcrivoit.

*

VERS 171. Heureux ! fi ces Difcours, &c.] Ce Vers & le fuivant dénoten plufieurs endroits des Satires de Regnier, & parHeureux! fi moins hardi, Il n'avoit point traîné les

* Juvenal,

ticulièrement la Satire XI. où ce Poëte décrit un Lieu de débauche. M. Despréaux avoit mis ici :

dans ses vers pleins de fel, Muses au B* *.

Mais M. Arnauld le Docteur, la même faute, qu'il condamnoir lui fic fentir, qu'il commettoit dans Regnier; & fur le champ i

175

Et fi du fon hardi de fes rimes Cyniques,
Il n'allarmoit fouvent les oreilles pudiques.
Le Latin dans les mots brave l'honnefteté :
Mais le lecteur François veut eftre refpecté :

REMARQUES.

lui fournit les deux Vers qui
font ici. M. Defpréaux les trou-
va filien faits & fi propres à
bien rendre fa penfée, qu'il ne
fit aucune difficulté de les adop-
ter. Son intention même êtoit
de mettre en marge, qu'ils
êtoient de M. Arnauld, Mais
celui-ci ne voulut pas y confen-
tir. Ce fair eft rapporté dans les
Notes de l'Edition de Paris 1735.
Je le favois d'ailleurs, & que
ce font là les deux feuls Vers
François, que M. Arnauld le
Docteur, ait jamais faits.

VERS 175. Le Latin dans les

mots brave l'Honnefteté. ] Quoi-
que La Frefnaie - Vauquelin ait
mis dans fes Satires des chofes,
qui font certainement trop li-
bres, & qu'il fe ferve quelque-
fois d'Expreffions, qui bravent
l'honnefteté, il ne laiffe pas dans
fon Art Poetique de donner à
peu près le même précepte qui
fe voit ici. C'eft ce qu'on re-
marquera dans la fuite des Rè-
gles, qu'il prefcrit pour la Sa
tire & qui commencent immé
diatement après ce que j'ai cité
dans la Remarque fur le Vers
166.

rendre il faut fi bien les Satyres affables,
Moqueurs, poignants & doux en contes variables,
Et mefler tellement le mot facetieux,
Avec le raillement d'un point fententieux,
Qu'egalle en foit par tout la facon rioteufe:
Qu'agreable on rendra d'une langue conteuse,
Santant de fable en autre, avec un tel devis
Qu'on fait quand privement chacun dit fon advis
D'un fait qui fe prefente: en langue Aufonienne
On appelle Sermon, cette mode ancienne
Horace a fous ce nom les Satyres compris, &c.
Suivant un doux moyen fubtil faut joindre l'Ar

Avecques la Sornette & le grave brocart:

Et mefme faire encor que l'ami ne fe fache,

Quand d'un vice commun à chacun on l'atache, &c.
Ainfi doit la Satyre, en fornettes riant,
La douce gravité n'aller point oubliant :
Eftant de plaifir & d'honnefleté pleine, &c.
Des mots doux & friants il ne faut point elire
Ni ceux qui font trop lours en faifant la Satyre,
Les communs font les bons, &c.

D'une chofe vulgaire
Et commune à chacun, mon vers je pourrai faire,
D'une facilité fi douce la traitant

que chacun penfera pouvoir en faire autant :

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Du moindre fens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.

REMARQUES.

De forte qu'il dira que mes vers & la profe,
En difcours familiers font une mefme chofe :
Que chacun parle ainfi, qu'on ne craint le malheur
De voir friper fes vers pour leur peu de valeur :
Mais s'il vient pour en faire à l'envi de femblables,
Il verra qu'aifément ils ne font imitables:
Tant bien l'ordre, le fens & les vers fe joindront,
Et le langage bas & commun ils tiendront:
Et tant d'honneur advient & de bonne fortune
Au fujet que l'on prend, d'une chose commune.

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Ces Vers font une paraphrase de ces quatre d'HOR. Art Poët. V.240.

Ex noto fictum carmen fequar, ut fibi quivis
Speret idem: fudet multùm, fruftràque laboret
Aufus idem, tantùm feries, juncturaque pollet:
Tantum de medie fumptis accedet honoris.

LA Frefnaie Vauquelin dit en- core douze Vers plus bas.
En Satyre tu n'as en Grec Autheur certain:
Suy doncques la facon du Lyrique Romain,
De Juvenal, de Perfe, & l'artifice brufque

Que fuit le Ferrarois en la Satyre Etrufque: * L'Ariofte.
Remarque du Bellay; mais ne l'imite pas :
Suy, comme il a fuyvi la marque des vieux pas,
Meflant fous un dous pleur entremeflé de rire,
Les joyeux éguillons de l'aigrette Satyre:
Et rapporte un butin du Latin & Gregeois
Ainfi, comme il a fait un langage Francois.

Tout ce détail renferme des
Règles, dont l'oblervation ju
dicieufe nous eut bien épar-
gné de mauvaises Satires. 11
eft à propos de joindre ici ce

que le même Auteur dit ( Art
Poëtique Livre III.) au fuiet
de l'Epitre forte de Poefie
dont M. Despréaux n'a poist
parlé.

Si puis apres on veut la toile ourdir & titre,
Du vers fententieux de l'enseignante Epifire,
Levray fil de la trame Horace baillera,
Libre , grave, joyeux, à qui travaillera ;
Et tu verras chez luy qu'aux Satyres il tache
Arracher de nos cœurs les vices qu'il attache:
Et que tout au contraire aux Epiftres il veut
Mettre & planter en nous toutes vertus s'il peut.
Une Epiftre s'efcrit aux perfonnes abfentes,
La Satyre fe dit aux perfonnes prefentes
Sans grande difference: & pourroient proprement
Sous le nom de Sermous fe ranger aisément.

*

attaque.

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Je veux dans la Satire un esprit de candeur 180 Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.

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D'un trait de ce Poëme, en bons mots fi fertile,
Le François né malin forma le Vaudeville;

REMARQUES.

VERS 181. & 182. D'un trait de ce Poeme, en bons mots fi fertile, Le François né malin forma le Vaudeville] Sorte de Chanfons faites fur des airs connus, auxquelles on paffe toutes les negligences imaginables, pourvu que les Vers en foient chantans, & qu'il y ait du naturel & de la faillie. C'eft un genre de Poëfie dans lequel aucune Nation n'a pu nous égaler. On croit que fon Inventeur fut Olivier Basetin, Foulon du Bourg de Vaudevire en baffe Normandie. On

les nommoit d'abord Vaude-
vire, & depuis elles furent ap
pellées Vaudevilles par corrup-
tion. D'autres difent fimple-
ment, que leur nom vient de
ce qu'elles furent faites à l'imi
tation des Chanfons
que les
habitans du van, c'est-à-dire,
de la Vallée de Vire chantoient.
La Frefnaie-Vauquelin, qui leur
attribue une naiffance toute
Poëtique, fait mention de l'une
& de l'autre origine dans ce Son-
net. Il y nomme differens lieux
du voisinage de Vire.

Je croy que quelquefois cherchant fes aventures
Ayant en Theffalie efté paftre Apollon,

Qu'il vint fe pourmener jufqu'aux monts de Belon,
Es jufqu'au Vau-de-vire & jufqu'aux vaux de Bures
Et qu'il aprivoifa premier les creatures

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Qui fauvages vivoient ici d'un cœur felon:
Et lors, chef des pasteurs, les fist vivre selon
Les naturelles loix des meilleures natures.

Et s'eftant amoureux pres d' Amphrise abaiffé,
Anfrie auroit ton nom en memoire laissé,

Et les beaux vau-de-Vire & mille chansons belles :
Mais les guerres belas! les ont mifes à fin,
Si les bons chevaliers d'Olivier Baffelin
N'en font à l'avenir ouir quelques nouvelles.
Cet Auteur n'avoit garde d'ou-
blier dans fon Art Poëtique, les
Vaudevilles, dont il faifoit tant
de cas. Il en fait mention dans
le II. Livre, en même tems qu'il

y parle des differentes fortes
d'autres Chanfons. Commen-
çons par rapporter ce qu'il en
avoit dit fous le nom de Chanson
dans le Livre I.

On peut le Sonnet dire une Chanfon petite ;
Fors qu'en quatorze vers tousjours on le limite:
Et l'Ode la Chanfon peuvent tout librement
Courir par le chemin d'un bel entendement.
La chanfon amoureuse, affable & naturelle

* Chanfon

Sans fentir rien de l'Art, comme une * villanelle, Paftorale.

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