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Le Vulgaire éblouï de leur faux agrément,
A ce nouvel appas courut avidement.

La faveur du Public excitant leur audace, 110 Leur nombre impetueux inonda le Parnasse. Le Madrigal d'abord en fut enveloppé.

Le Sonnet orgueilleux lui-mefme en fut frappé.
La Tragedie en fit fes plus cheres delices.
L'Elegie en orna fes douloureux caprices.

115 Un Heros fur la Sçene eut foin de s'en parer, Et fans Pointe un Amant n'ofa plus foûpirer. On vid tous les Bergers, dans leurs plaintes nouvelles, Fideles à la Pointe encor plus qu'à leurs Belles. Chaque mot eut toûjours deux vifages divers. 120 La profe la receut auffi-bien que les vers.

REMARQUES.

que le Bon Mot faffe fon impref
fion; & quoiqu'elle doive être
correcte, parce qu'on ne par-
donne point les fautes & les né-
gligences dans un petit Ouvra-
ge, elle ne doit jamais porter
l'empreinte du travail.

VERS 113. La Tragédie, &c.]
La Sylvie de Mairet, DE S P.

Jean Mairet naquit à Befan-
çon en 1607. & mourut vers
1660. Il fut ami particulier du
fameux Theophile de Viand. Ja-
mais Auteur Dramatique ne
s'eft fait applaudir fi jeune. Mai.
ret n'êtoit âgé que de feize ans,
quand il mit fa Chryferde au
Théatre, & de dix-fept, quand
il donna fa Sylvie. Il n'en avoit
que vingt-cinq, quand il fit pa-
roître Sophonisbe, fa fixiéme
Pièce. C'eft fon meilleur Ou-
vrage. Il eut une fi grande ré-

putation, & fut pendant longtems fi fort gouté, que la Sophonisbe de Corneille ne le fit pas oublier. Mairet fe vante luimême dans une Epitre Dédicatoire, que, quoiqu'il n'eut encore que vingt-fix ans, il êtoit cependant le plus ancien des Auteurs de Théatre de fon tems. Ce Poëte avoit certainement un génie capable d'aller loin, s'il eut emploïé l'étude & les réflexions à le mûrir. Il y a des beautés dans tous fes Ouvrages; mais elles font offufquées par la multitude des défauts, & particulièrement par la négligence de fes Vers, & la dureté de fa diction. Il fut toujours fidèle à la pointe, & fa Sophonisbe n'en eft pas exempte, quoique d'ailleurs écrite aflés raifonnablement pour ce tems-là.

L'Avocat au Palais en heriffa fon ftile,
Et le Docteur en chaire en fema l'Evangile.
La Raifon outragée enfin ouvrit les yeux,
La chassa pour jamais des difcours ferieux,
125 Et dans tous ces écrits la déclarant infame,

Par grace lui laiffa l'entrée en l'Epigramme:
Pourveu que fa fineffe, éclatant à propos,
Roulaft fur la pensée, & non pas fur les mots.
Ainfi de toutes parts les defordres cefferent.
130 Toutefois à la Cour les Turlupins refterent,
Infipides Plaifans, Bouffons infortunez,
D'un jeu de mots groffiers partifans furannez.
Ce n'eft pas quelquefois qu'une Mufe un peu
Sur un mot en passant ne jouë & ne badine,

REMARQUES.

VERS 122. Et le Docteur en shaire, &c.] Le petit P. André, Auguftin. DES P.

Ce Prédicateur êtoit Parifien, & d'une Famille confidérable dans la Robe, dont le nom eft Foulenger. Il affaifonnoit fes Sermons de plaifanteries, pour foutenir l'attention de fes Auditeurs. On prétend qu'on en a pris occafion de lui attribuer beaucoup de traits qui ne font pas de lui. M. Mafcaron Evêque de Tulles, que l'on compte encore aujourd'hui parmi nos Orateurs facrés, femoit auffi tant de Pointes dans fes Difcours, que les rieurs les nommoient des Recueils d'Epigram

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fine

ple par de méchantes Pointes, & par des Jeux de Mots qu'on a appellés Turlupinades. Ses imitateurs ont êté nommés Turlupins. Il êtoit le Plaifant de la Farce dans la Troupe des Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, du tems que Bellerose en êtoit le Chef. Pendant quelque tems on a vû regner en France le goût des Turlupinades & la Cour même fembloit être la fource de cette corruption; mais Molière vangea le bon Goût & la Raifon pas les fanglantes railleries qu'il fit des Turlupins & des Tur lupinades. Le Marquis de la Critique de l'Ecole des Femmes, elt un de ces Turlupins. Les peintures de Molière & les traits Satiriques de nôtre Auteur n'ont pas empêché que, ces dernières années,ce mauvais goût n'ait repris naiffance dans le même lieu.

135 Et d'un fens détourné n'abuse avec fuccez :
Mais fuyez fur ce point un ridicule excez >
Et n'allez pas toûjours d'une pointe frivole.
Aiguifer par la queue une Epigramme folle.

Tout Poëme eft brillant de fa propre beauté. $40 Le Rondeau né Gaulois a la naïveté.

La Ballade affervie à fes vieilles maximes,
Souvent doit tout fon luftre au caprice des rimes.
Le Madrigal plus fimple, & plus noble en fon tour,
Refpire la douceur, la tendresse, & l'amour.

REMARQUES.

VERS 140. & 141, Le Rondeau, &c. La Ballade, &c.] Comme Ronfard avoit donné le ton à fon fiècle, & qu'il avoit abandonné tous nos vieux genres de Poëfie,

pour ne travailler que dans le
goût des Grecs & des Latins ; on
ne doit pas s'étonner, que La
Frefnaie-Vauquelin ait profcrit ces
petits Poëmes, Art Poët, Liv. I.

-ta Mufe ne foit jamais enbefongnée
Qu'aux vers dont la facon ici t'eft enfeignée,
Et des vieux chants Royaux décharge le fardeau,
Ofte moy la Ballade, ofte moy le Rondeau.

M. Defpréaux n'a vraisemblable-
ment parlé de la Ballade & du
Rondeau, que parce que Voiture
Sarrazin & La Fontaine, les
avoient remis en honneur. De-
puis eux le Gacon les a fi fort dif-
famés que nos beaux Efprits
d'aujourd'hui fe croiroient déf-
honarés ›
s'ils avoient perdu
quelques momens à de pareilles
minuties. Ils aiment bien mieux
nous innonder d'Odes, dignes
dans leur genre de faire pendant
avec les Rondeaux de Gacon. Par-
lons plus férieufement. Ces pe-
tits Poëmes font tout auffi diffi-
ciles à bien faire que le Sonnet,
& n'ont pas des Règles moins
gênantes. Le naïf en fait d'ail-
leurs le caractère ; & tout le

monde aujourd'hui veut avoir de l'efprit, & de l'efprit, qui brille. Ce feroit quelque chofe de très fingulier, qu'une Ballade écrite du bon ton.

VERS 143. Le Madrigal, &c.] Ce petit Poëme n'eft dans le fonds, qu'une efpèce d'Epigramme, qui doit finir par un trait un peu moins faillant, que ce qui porte parmi nous ce dernier nom. Ce qui s'appelle proprement Pointe en doit être banni. Nôtre Auteur trace ici le véritable cara tère du Madrigal. 11 eft confacré principa lement à l'Amour & à la Galanterie. Nous avons deux excellens modèles de ce genre de Poësie, Matthieu de Montreuil,

145

& non pas

de médire,

L'ardeur de fe montrer,
Arma la Verité du vers de la Satire.
Lucile le premier ofa la faire voir:
Aux vices des Romains presenta le miroir :

REMARQUES.

& La Sablière. Le premier plus
fimple, plus tendre & plus aifé;
le fecond plus ingénieux, plus
galant & plus travaillé. Les Ma-
drigaux de Madame Deshoulie-
res ne vont qu'après ceux de ces
deux aimables Poëtes ; & l'on
trouve dans les Ouvrages
de Madame de Villedieu un
petit nombre, à qui le premier
rang appartiendroit, ce me
femble, légitimement, fi la
Verfification en êtoit un peu
moins négligée.

en

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VERS 145. & 146. L'ardeur de Se montrer, &non pas de médire,

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Arma la Verité du vers de la Sa-
tire.] M. Du Monteil rapporte
ici la Critique que Desmarêts a
faite de ces deux Vers; & ne dit
point s'il l'approuve ou s'il la
défapprouve, Voici les paroles
de Desmarêts p. 84. "Que veut
dire l'ardeur de fe montrer ?
C'eft pour dire, le defir de
faire parler de foi mais ce ne
doit pas être le but de la Sa-
tire. Sa fin doit être de répri-
,,mer les vices, & d'exciter à
la vertu, Mais ce n'eft pas le
moïen de faire bien parler de
,, foi, que de parler mal d'au-

دو

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دو

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trui,

Pradon p. 91. ajoute une mau vaife Pointe à ce qui fait le fondement de la Cenfure, qu'on vient de lire." L'ardeur de fe ,, montrer, &c. pour dire, faire ,, parler de foi; voilà une ardeur de fe montrer, qui obfcurcit fa penfée,,. Ces deux beaux

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Efprits, font ici de mauvaise foi. Par quelle autre espèce de travers feroient-ils tomber fur la perfonne de M. Defpréaux, ce qu'il dit très clairement de la Vérité. Sa pentée eft aufli nette qu'elle eft jufte. C'eft tellement le propre de la Vérité, de vouloir fe montrer , que quoique nous foïons tous menteurs, nôtre premier mouvement, dans les occafions où nous recourons au menfonge, et toujours de dire vrai. Nous ne mentons que par réflexion, quelque rapidement que cela fe fafle. Eh! quel autre but, fuivant les Loix de la Morale la Vérité peut-elle avoir dans fon ardeur de fe montrer, fi non de réprimer les vices qui ne font au fonds, que menfonge; & d'exciter à la vertu, qui n'eft que la Vérité même réduite en pratique? C'est donc pour fon propre intérêt, que la Vérité brûle de fe montrer : c'eft pour la confervation de fes droits & non par la foif de médire, dont elle ne peut être tourmentée que la Vérité fe montre armée du vers de la Satire,

VERS 147. Lucile le premier,&c.] Caius Lucilius Chevalier Ro. main, fut l'inventeur de la Sa, tire, en tant qu'elle eft un Poë me, dont la fin eft de reprendre les vices des hommes. Bien que les Grecs aient compofé des Vers & des Ouvrages Satiriques, c'est-à-dire, mordans, il eft

Vengea l'humble Vertu, de la Richeffe altiere, 150 Et l'honnefte Homme à pié, du Faquin en litiere.

REMARQUES.

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55

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De ces bois font fortis les Satyres rageux,
Qui du commencement de propos outrageux

Attaquoient tout le monde eftant dessus * l'Etage; * le Théa-
Mais depuis ils fe font polis à l'avantage :

Car fortant des forefts lafcivement bouquins

tre.

En la bouche ils n'avoient que des vers de faquins
Tantoft longs tantoft cours comme les Dithyrambes
Des mignons de Bacchus, qui n'ont ni pieds ni jambes.
Les bons efprits d'alors, afin que depiteux,
Ils puffent mieux taxer les vices plus honteux,
Ils mettoient en avant ces Satyres ruftiques,
Qui font Dieux chontez, impudens, fantastiques,
Qui les fautes nommoient & le nom des abfents
Et les forfaits fecrets quelquefois des prefents,
Telle eftoit des Gregeois la Satyre premiere,
Lucile à Rome mist la nouvelle lumiere.

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IMIT.Ibid.Lucile le premier,&c.] Horace, Liv. II. Sat. I. V. 62.
Eft Lucilius aufus

Primus in hunc operis componere Carmina morem:
Detrahere pellem, nitidus qua quifque per ora
Cederet, introrfum turpis.

Ces Vers fe trouvent imités par
nôtre Auteur, Sat. VII. Vers 73.
Perfe, au fujet de Lucilius, dit Sat.

I. Vers 114. Secuit Lucilius Urbem. JUVENAL à la fin de fa I. Sat. dépeint ce Poëte comme un Cen

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