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D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir,
Et reduifit la Mufe aux Regles du devoir.
135 Par ce fage Ecrivain la Langue reparée

N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.
Les Stances avec grace apprirent à tomber;
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Tout reconnut fes loix, & ce Guide fidele
140 Aux Auteurs de ce temps fert encor de modele.

REMARQUES.

chevêché de Bordeaux. Joachim
Desportes, Auteur d'un Abregé
de la vie de Charles IX. êtoit fon
Frère, & le célèbre Regnier fon
Neveu. Les Editions de fes Ou-
vrages font en affés grand nom-
bre. Les meilleurs font celles de
Mamert Patiffon.

Jean Bertault, natif de Caën, fut premier Aumônier de la Reine Catherine de Medicis, Secretaire du Cabinet & Lecteur d'Henri III. Confeillet d'Etat, Abbé d'Aulnay, Evêque de Séez. Il contribua par fes foins à la converfion d'Henri IV. qui l'eftimoit beaucoup, & mourut le 8. Juin 1611. Il s'êtoit formé fur Ronfard & Desportes. Il y a de la force, de l'efprit & de la politefle dans fes Vers, qui peu. vent encore, êtant lus avec précaution fervir de modèles à certains égards. Dans la jeuneffe il compofa quelques Pièces ga. lantes, dans lesquelles on trouve bien plus de réferve, que dans les Ouvrages de fes contemporains. Mais fes principales Poëfies roulent fur des fujets graves & pieux. On remarque en les lifant, que Bertault avoit fait une étude particulière de Senè que & qu'à l'exemple de cet

,

Auteur, il s'attachoit à donner de la fineffe & du brillant à fes penfées, qui par là ne font pas toûjours auffi folides qu'ingé nieufes. C'eft ce qui fait qu'on peut en quelque forte le regarder comme aiant introduit en France le goût des Pointes.

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VERS 139. & 140. & ce Guide fidele Aux Auteurs de ce temps Jert encor de modele. ] Le portrait que nôtre Auteur vient de tracer de Malherbe, & celui qu'il avoit fait auparavant de Ronfard, font empruntés de Balxac. Cet Ecrivain dit dans une de fes Lettres Latines à M. de Silhon que la plufpart de nos Vers faits avant Malherbe,êtoient pluftôt Gothiques que François. Il fait enfuite le caractère de Ronfard, & reproche à ce Poëte fes licences ourrées, fes négligences, fon affectation à confondre les Idiomes,& à charger fon François de Grec & de Latin. Il ajoute, que MALHERBE fut le premier, qui fit fentir la cadence dans les Vers, qui nous apprit le choix & l'arrangement des mots. Voici le paflage Latin: Frimus Francifcus Malberba aut in primis, viam vidit quá iretur ad Carmen ; atque banc inter erroris & infcitia caliginem

Marchez donc fur fes pas, aimez fa pureté,
Et de fon tour heureux imitez la clarté.

Si le fens de vos Vers tarde à fe faire entendre,
Mon efprit auffi-toft commence à se détendre ;
145 Et de vos vains difcours prompt à se détacher,
Ne fuit point un Auteur, qu'il faut toûjours chercher.
Il eft certains Efprits, dont les fombres pensées
Sont d'un nuage épais toûjours embarrassées.
Le jour de la raison ne le fçauroit percer.
150 Avant donc que d'écrire, apprenez à penfer.

Selon que noftre Idée est plus ou moins obscure,
L'expreffion la fuit ou moins nette ou plus pure.

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REMARQUES.

ad veram lucem refpexit primus, fuperbiffimoque aurium judicio fatif fecit.. Docuit in vocibus & fententiis dele&tum, eloquentia effe originem; atque adeò rerum verborumque collocationem aptam, ipfis rebus verbis potiorem plerumque effe. Voiés le refte du paffage, & la XXIV. Differtation de cet Auteur, qui favoit plus qu'affembler harmonieufement des

mots.

Pradon, p. 87. blâme beaucoup
M. Defpréaux de ce qu'il a dit ici
de Ronfard, & fait là deffus de
pitoïables raifonnemens. Des-
maréts, p. 82. eft plus équitable.
Il trouve que nôtre Auteur mar-
que bien les défauts de RONSARD,
&
que il rend l'honneur du
à Desportes & à Bertault, pour
avoir rectifié la Poëfie Fran-
soife; & à Malherbe, qui eft

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66

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VERS 146.un Auteur, qu'il faut tousjours chercher. ] M. Defpréaux plaçoit dans la Claffe des Centuries de Noftradamus tout Ouvrage écrit d'une manière subtile, obfcure, impénétrable. La première de toutes les Loix eft la clarté. Edit. P. 1740.

C'eft pourtant une Loi, que nos Ecrivains du bon ton, ne fe piquent pas d'obferver. Ont-ils tort? Ont-ils raifon? Qui fuisje pour en decider? Il vaut mieux que je me contente de leur dire ce que le célèbre Scevole de Sainte-Marthe a dit (Epig. L. I.) à quelques Auteurs de fon tems.

Quid juvat obfcuris involvere fcripta latebris ?
Ne pateant animi fenfa, tacere potes.

ISS

Ce que l'on conçoit bien, s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aifément.

Sur tout qu'en vos Ecrits la Langue reverée,
Dans vos plus grands excés vous foit toûjours facrée.
En vain vous me frappez d'un fon melodieux.

Si le terme eft impropre, ou le tour vicieux,
Mon efprit n'admet point un pompeux Barbarisme,
Ito Ni d'un Vers empoullé l'orgueilleux Solecisme.
Sans la Langue en un mot, l'Auteur le plus divin
Eft toûjours, quoiqu'il fasse, un méchant Ecrivain,
Travaillez à loifir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse.

REMARQUES.

IMIT. Vers 153. Ce que l'on né ce Précepte dans son Art Poë conçoit bien, &c.] Horace a don- tique, Vers 40.

Cui leta potenter erit res,

Nec facundia deferet hunc, nec lucidus ordo.

Ce que La Frefnaie-Vauquelin

me paroît avoir rendu très-naï

vement dans ces deux de fon Art Poët, Liv. III.

Qui fait bien un fujet felon fa force elire ;
Point ne lui manquera l'ordre ni le bien dire.

HORACE dit encore dans le même Ouvrage Vers 311.

Verbaque provifam rem

VERS 163. Travaillez à loifir, &c.] Scuderi difoit toujours pour s'excufer de travailler fi vifte, qu'il avoit ordre de finir. DESP. Un Ami de nôtre Auteur, pour le preffer de faire paroître fon Art Poetique, lui difoit que le Public l'attendoit avec impatience. Le Public, répondit-il, ne s'informera pas du tems que j'y aurai emploié. D'autre fois il di foit la même chose de la Poftérité. C'eft qu'il êtoit lui-même orès exact à pratiquer ce qu'il

non invita fequentur.

confeille aux autres en cet endroit. Non feulement il ne forçoit jamais fon génie, & ne compofoit que quand il y fentoit fon efprit bien difpofé; mais même il ne publioit fes Ouvrages, que long-tems après les avoir finis, afin de pouvoir les perfectionner tout à fon aife, fuivant le confeil d'HORACE, Art Poët. Vers 388. Nonumque prematur in annum. Paroles que l'on donne mal-à-propos dans l'Edition de Paris 1740, pour le

165 Un ftile fi rapide, & qui court en rimant,

Marque moins trop d'efprit, que peu de jugement.
J'aime mieux un ruiffeau, qui fur la molle arene,
Dans un pré plein de fleurs lentement fe promene,
Qu'un torrent débordé qui d'un cours orageux
70 Roule plein de gravier fur un terrain fangeux.
Haftez-vous lentement, & fans perdre courage,
Vingt fois fur le métier remettez votre ouvrage.

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modèle de la Règle, que nôtre
Auteur preferit ici.

Cette Règle de travailler à loi-
fir, de fe hater lentement, n'êtoit
point échappée à La Frefnaie-
Vauquelin; mais il l'applique au-
trement. C'est pour qu'on n'é-

!

puife point fon Génie & fa fanté, qu'il veut qu'on travaille à fon aife. Après avoir dit à fa manière Art Poët. Liv. III. que quand on ne fe fent plus en verve, il faut fe repofer, pour fes forces reprendre; il ajoute : On rendroit fon efprit tout morne & rebouché, Qui le tiendroit tousjours au labeur attaché: Il faut efpier l'heure attendre qu'à la porte Frape le Delien, qui la matiere aporte : Lors doucement les vers de leur gré couleront, Et dans l'œuvre avancé d'eux mefme parleront, Sans forcer violent les Vierges Thefpiennes, Verfant contre leur gré leurs eaux Pegafiennes. Dans un bocage ombreux, les Roffignols plaifans Vont d'un fi grand courage à l'envi degoifans, Que fouvent en chantant, la puissance debile Defaut plutôt au corps, la chanfon gentille : Ainfi beaucoup font tant des Mufes amoureux, Que par trop de travaux leurs corps font langoureux : Et tandis qu'en fçavoir leur fçavoir chacun domte Leur peine furmontée eux mefme les furmonte, Pour ce gardez vos corps: verfant moderement De bonne buyle en la lampe, on void plus clairement. Celuy qui bien prevoit, bien ordonne & commence, En allant que le pas fouvent le plus avance,

VERS 171. Hafez-vous lente ment.] Maxime d'un grand fens & familière à l'Empereur Augufle, à Titus, à plufieurs au

que

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tres grands Hommes. Entude CperJiwe. Feftina lentè. Voïés les Adages d'Erafme.

IMIT. VCIS 172, Vingt fois fur

175

Poliffez-le fans ceffe, & le repoliffez.
Ajoutez quelquefois, & fouvent effacez.

C'eft peu qu'en un Ouvrage, où les fautes fourmillent,
Des traits d'efprit femez de temps en temps petillent:

REMARQUES.

le métier remettez votre ouvrage.] HORACE, Art Poët. Vers 291.

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Pompilius fanguis, carmen reprehendite, quod non
Multa dies & multa litura coercuit, atque
Perfectum decies non caftigavit ad unguem.

Tous les Maîtres de l'Art ont
fait un Précepte de la néceffité
de revenir à plufieurs fois fur
un Ouvrage, pour le perfection-
ner; & La Frefnaie Vauquelin n'a-

voit garde d'y manquer. Voici
de quelle manière, Art Poëti-
que, Livre III. il paraphrafe les
Vers d'Horace, en altérant un
peu le fens du dernier.
Vous, vray fang Gaulois, reprencz blamez
Les Vers qui ne font pas affez veus & limez
Affex bien repolis, dont la Rime tracée
N'a plufieurs fois efté refaite & r'effacée :
Et par plus de dix fois corrigez vous fi bien
Qu'à la perfection il ne manque rien.

IMIT. Vers 174. Ajoutez quel
quefois, & fouvent effacez. ] Ho-

RACE a dit Livre I. Satire X
Vers 72.
Sape filum vertas, iterum qua digna legi fint
Scripturus.

Et S. JEROME, Ep. ad Domn.
Major ili pars que delet, quam
que fcribit. "Le côté du ftile qui
fert à effacer, eft plus grand

,, que celui qui fert à écrire. 190

IMIT. Vers 175. C'efl peu qu'en
un Ouvrage, &c.] Horace, Livre
II. Epitre I. Vers 73.
Inter que verbum emicuit fi forte decorum,
Si verfus paullò concinnior unus & alter;
Injuftè totum ducit, venditque poema.

من

Il dit dans un fens contraire, Art Poëtique, Vers 351.
Verùm ubi plura nitent in carmine, non ego paucis

Offendar maculis, quas aut incuria fudit,

Aut humana parum natura.

Ce que La Frefnaie Vauquelin tra- duit ainsi, Art Poët. Liv. III.

Mais s'un œuvre en maint lieu fon lecteur fatisfait,

Je ne le diray pas tout foudain imparfait,
Pour un petit d'erreur passé par nonchalance
Qu que n'a peu prevoir l'humaine prevoyance.

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