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Gardez qu'une voyelle à courir trop hastée,
Ne foit d'une voyelle en fon chemin heurtée.

Il est un heureux choix de mots harmonieux,
110 Fuiez des mauvais fons le concours odieux.
Le Vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l'efprit, quand l'oreille est blessée.

REMARQUES.

après lui, p. 87. accufent M.
Defpréaux, de n'avoir pas tou-
jours bien obfervé cette Règle.
Ces deux Hommes, que la van-
geance guidoit, & qui man-
quoient abfolument de goût,
étoient-ils faits pour compren
dre ou pour avouer que cette
même Règle n'eft pas une de
celles qu'il faille fuivre à la ri-
gueur. La Céfure coupe nos
Vers Alexandrins en deux hémi-
ftiches égaux; & le défaut de
variété dans la mesure les rend
néceflairement d'une Monoto-
mie, qui devient infupporta-
ble à la longue. Il faut donc
pour remédier autant qu'il eft
poffible à cet inconvénient, va-

rier les Céfures, pefer fur quelques-unes, gliffer légèrement fur d'autres, en emploïer même dans certains cas de vicieuses. En un mot, il ne faut rien négliger de ce qui peut nous fauver l'ennui du mécanisme de nos Vers. Il y auroit là deffus des Règles de bon fens & de goût à prefcrire. C'est un détail où je ne puis pas entrer dans ces Re. marques; & d'ailleurs quiconconque eft véritablement né pour l'Art des Vers peut ailément s'en inftruire lui-même par fes propres Obfervations. Je ne fe rai faire qu'une fimple attention à ces deux Vers rigoureuse. ment affervis à la Règle : Que toûjours dans vos Vers le fens coupant les mots, Sufpende l'hémiftiche, en marque le repos ; C'est qu'ils paffent le but, en de mandant plus qu'il ne faut pour faire bien. Il eft fi peu vrai qu'il foit néceffaire que le fens, coupant Les mots, fufpende toujours l'hémiftiche; qu'il eft au contraire très certain qu'il n'y a point de Lecteurs, ou d'Auditeurs fi pa. tiens qu'on les veuille fuppofer, qui puflent fupporter cent Vers feulement de fuite, tous jettés dans le même moule que ceux-ci. VERS 107. Gardex, &c.] Le Concours vicieux des voïelles,

appellé Hiatus, ou Baillement,

IMIT. Vers 112. Ne peut plaire à l'esprit,quand l'oreille eft bleffée, CICERON, dans fon Orateur a dit: Quamvis enim snaves gravelque fententia, tamen fi inconditis verbis efferuntur, affendent aures, quarum eft judicium fuperbiffimum. Et plus bas: voluptati autem aurium morigerari debet oratio.

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LA FRESNAIE VAUQUELIN n'a pas oublié ce Précepte. Il veut, Art Poëtique, Livre II. que les Vers foient : d'une rime coulante Qui fe rende à l'oreille agréable & plaisante.

Durant les premiers ans du Parnaffe François,
Le caprice tout feul faifoit toutes les loix.

115 La Rime, au bout des mots affemblez fans mesure,
Tenoit lieu d'ornemens, de nombre & de céfure.
Villon fceut le premier, dans ces fiecles groffiers,
Débrouiller l'Art confus de nos vieux Romanciers.
Marot bien-toft aprés fit fleurir les Ballades,
120 Tourna des Triolets, rima des Mafcarades,

REMARQUES.

VERS 117. Villon fceut le premier, &c.] François Corbeuil ou Corbuel, dit Villon, fils de Guillaume Corbeuil, dit Villon, vivoit dans le quinziéme fiècle, environ foixante ans avant Marot, Villon fignifioit en vieux langage Fripon; & ce furnom, que François Corbeuil avoit hérité de fon Père, lui fut confirmé par une Sentence du Châtelet, qui le condamna à être pendu. Le Parlement fur fon Appel, réforma la Sentence, & convertit la peine de mort en un Bannislement perpétuel. Quelques uns difent que l'Abbé de Saint Maixent en Poitou lui donna retraite chés lui; mais Rabelais, Liv. IV. Ch. 14. & Ch. dern. affure, que ce fut en Angleterre que Villon fe retira, & qu'il y devint favori du Roi Edouard V. Il avoit certainement beaucoup de génie. Le badinage fimple & naïf fait le caractère de fes Ou

Imitons de Marot Quel plus grand éloge peut-on faire d'un Auteur, qu'en difant qu'il le faut imiter? Il eft vrai pourtant, que M. Defpréaux fe contente de parler ici des ferviçes, que Marot a rendus à nôtre

vrages, que Marot, qui l'avoit choili pour modèle, recueillic par ordre de François I. & qu'il fit imprimer à Paris en 1532. chés Galliot Dupré. Nous en avons eu depuis une jolie Edition chés feu Coutelier en 1723.

VERS 118. Débrouiller l'Art confus de nos vieux Romanciers.] La plufpart de nos plus anciens Romans François font en Vers confus & fans ordre, comme le Roman de la Rofe & plufieurs autres. DESP.

VERS 119. Marot bien - toft aprés, &c. ] Ce Vers & les trois qui le fuivent n'ont pas contenté Desmarêts, qui dit p. 82. 'Il ,, parle de Marot, qui fut un fi

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agréable efprit, mais il n'en peint pas le beau talent, & ,, ne le louë pas aflés,,. Ce Critique n'a pas fait attention que nôtre Auteur l'avoit précédemment proposé pour modèle par ce Vers:

l'élegant badinage,

Poëfie; & que ce qu'il a dit la première fois ne caractérise pas affès précisément le génie de cet aimable Poëte. Marot fans doute a fu donner à fon badinage une forte d'élégance. Mais le

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A des refrains reglez affervit les rondeaux,

Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux, Ronfard qui le fuivit, par une autre methode Reglant tout, broüilla tout, fit un Art à sa mode :

REMARQUES.

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badinage peut quelquefois être
élégant, & n'avoir pas toute la
fimplicité, toute la naïveté poffi-,,
ble. Ce font deux qualités que
Marot poffédoit éminemment,
qui forment le caractère diftin-
Aif de fon génie, & qui nous
font encore aimer ce qu'il y a
de bon dans fes Ouvrages. Tout
n'eft du même prix.
pas

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VERS 123. & 124. Ronfard, &c. Reglant tout, brouilla tout. La cenfure comprife dans ces mots eft un peu trop générale. Ce que l'Auteur dit enfuite eft jufte. Ce ne fut qu'à l'égard du Langage de la Poefie Françoise, que RONSARD, reglant tout, broüilla tout. "Tu fçauras dextrement choi,fir, dit-il dans fon Abregé de PArt Poetique François, & approprier à ton œuvre les mots plus fignificatifs des dialectes de noftre France, quand mefmement tu n'en auras point de fi bons ny de fi propres en ,, ta nation, & ne fe faut foucier fi les vocables font Gaf,, cons, Poitevins, Normans, Manceaux Lionnois, ou d'autres

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99

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païs, pourveu qu'ils foient ,, bons, & que proprement ils fignifient ce que tu veux dire, fans affecter par trop le parler de la Cour, lequel eft quel,, quefois tres mauvais pour eftre le langage des Damoifelles & jeunes Gentils hom,, mes qui font plus de profeffion de bien combattre que de ,, parler,,. Il fe fondoit fur l'exemple des Grecs, qui dans leurs Vers avoient adopté le mélange des Dialectes de leur langue. Il avoit d'ailleurs pour lui fon propre exemple. Il ne confeilloit de faire que ce qu'il avoit fait lui-même avec fuccès.

"

Ce fuccès avoit êté caufe que le commun des Poëtes de fon tems avoit marché fur fes traces. La Frefnaie - Vauquelin, quoiqu'au fonds ce fut un bon Esprit, s'y laiffa prendre d'abord comme les autres. L'endroit du I. Liv. de fon Art Poët, qui traite de la liberté, qu'on doit accorder aux Poëtes, d'inventer des mots nouveaux finit par ces quatre Vers:

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L'idiome Norman, l'Angevin, le Mancean,
Le François, le Picard, le poli Tourangeau,
Aprens, comme les mots de tous arts mecaniques
Pour en orner après tes phrafes Poëtiques.

C'eft ce qu'il eut apparemment
reformé, s'il eut mis la dernière
main à fon Art Poëtique, qu'il
nous apprend lui-même dans
l'Avertiffement qui précède le
Recueil de fes Pofies diverses,n'a-

voir pu fe réfoudre de retoucher, non plus que les autres Pièces contenues dans ce Volume. La preuve que les quatre Vers, qu'on vient de lire,n'auroient pas fube fifté tels qu'ils font, c'est que

25 Et toutefois long-temps eut un heureux deftin.
Mais fa Mufe en François parlant Grec & Latin,
Vit dans l'âge fuivant, par un retour grotesque,
Tomber de fes grands mots le faste pedantesque.

REMARQUES.

l'Auteur femble les contredire du fecond Livre de fon Ouvra par ces autres Vers, qui font ge.

noftre Poëfie en fa fimpleffe utile,

Eftant comme une Profe en nombres infertile, Sans avoir tant de pieds comme les Grecs avoient, Ou comme les Romains qui leur pas enfuivoient, Ains feulement la Rime: il faut comme en la Profe, Poete, n'oublier aux Vers aucune chofe De la grande douceur, & de la pureté Que noflre langue veut fans nulle obfcurité : Et ne recevoir plus la jeunesse hardie, A faire ainfi des mots nouveaux à l'eftourdie Amenant de Gascogne, on de Languedouy, D'Albigeois, de Provence, un langage inowy. VERS 126.en François parlant Grec & Latin. ] RONSARD a tellement chargé fes Poëfies d'exemples, d'allufions, & de mots tirés du Grec & du Latin, qu'il les a rendues prefque inintelligibles. Auffi Marc-Antoine Muret, dans la Préface de fon Commentaire fur le Premier Livre des Amours de ce Poëte dit: Je puis bien dire, qu'il y avoit quel

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Efes-vous pas ma

Ce que Muret interprète ainfi : ma feule perfection, ma feule ame, qui caufex en moy tout mouvement tant naturel que volontaire. Enteechie en Grec, fignifie, perfection.

qui ques Sonets dans ce livre d'homme n'euffent jamais efté bien entendus, fi l'autheur ne les euft ou à moy, ou à quelque autre familievement déclarez. M. Defpréaux citoit ce Vers de Ronfard, qui finit le Sonnet LXX. du Livre I. comme un exemple de fon affectation ridicule à parler Grec en François. Le Poëte dit à fa Maîtreffe:

feule Entelechie?

Nôtre Auteur citoit encore ces autres Vers qui font au commencement de l'Epitaphe ou Tombeau de Marguerite de France, & de François I. Ab ! que je fuis marry que la Mufe Françoise peut dire ces mots comme fait la Grégeoise: Ocymore, dyfpotme, oligochronien; Certes, je les dirois du fang Valéfien. OCYMORE Veut dire, qui meurt trop tôt; DYSPOTME, qui périt funeftement; OLIGOCHRONIEN, qui

Ne

dure peu de tems. Voïés au fujet de ce Poëte la Remarque fur le Vers 171. de la Sat. III,

Ce Poëte orgueilleux trébuché de fi haut, 430 Rendit plus retenus Defportes & Bertault. Enfin Malherbe vint, & le premier en France, Fit fentir dans les vers une juste cadence:

REMARQUES.

VERS 130. Rendit plus retenus Delportes & Bertault.] Ces deux Poëtes eftimés dans leurs tems connurent mieux le génie de nô. tre Langue, que Ronfard n'avoit fait; & leurs Ecrits peuvent encore être lus avec plaiûr. Philippe Desportes, Abbé de Qui fut le mieux renté êtoit né à Chartres d'une Famille Bourgeoife. Jamais Poëte ne fut fi bien païé de fes Vers. Son Poëme de Rodomont lui valut huit cens écus d'or de la part de Charles IX. Il eut, pour l'impreffion de fes Ouvrages, dix mille écus d'Henri III. auquel il s'êtoit attaché lorfqu'il n'êtoit encore que Duc d'Anjou, & qu'il avoit fuivi en Pologne. L'Amiral de Joyeuse le recompenfa d'un Sonnet par une Abbaïe, qui jointe aux Benefices, qu'il avoit déja, lui fit un revenu de trente mille livres de rente. Ce qui le rendit un des plus riches particuliers de ce tems.là. Mal gré l'eftime, qu'on faifoit alors des Poefies de Ronfard, il crut devoir choisir d'autres modèles. Il emprunta des Poëtes Italiens le tour délicat & fleuri de fon Stile, le brillant de fes Figures, la vivacité de fes Defcriptions. Ses Imitations lui furent reprochées dans un Livre intitulé: La conformité des Mules Françoiles Italiennes, Loin de s'en fâcher, il dit qu'il avoit beaucoup plus

Tiron, de Jofaphat, des Vaux. de Cernai, de Bon-Port & d'Au• rillac Chanoine de la Sainte Chapelle de Paris, Lecteur de la Chambre du Roi, Confeiller d'Etat, furnommé pour la tendreffe & la facilité de fes Vers, le Tibulle François ; & de tous les beaux Efprits. pris chés les Italiens, qu'on ne le difoit dans ce Livre; & que s'il avoit fu d'avance le deffein de l'Auteur, il l'auroit aidé de bons mémoires. Dans le Journal de l'Etoile, il eft qualifié, le bien aimé & favori Poëte d'Henri III. Ce Prince en effet l'aimoit beaucoup & l'eftimoit encore plus. Il l'appelloit fouvent dans fon Confeil fecret pour les affaires les plus importantes de l'Etat. Amateur des Lettres, Desportes fecourut ceux qui les profeffoient, de fon crédit & de fa nombreufe Bibliothèque, qu'il rendit publique. Après la mort d'Henri III. il fe retira en Normandie, & contribua beaucoup à ramener cette Province à l'obéiffance d'Henri IV. Il finit fa carrière Poëtique par confacrer fes talens à la piété dans une Traduction complete des Pleanmes, qui n'eft pas aujourd'hui, malgré fon vieux Stile, totalement à méprifer. Il mourut en 1606. dans fa 61. année, après avoir refufé par modeftie plufieurs Evêchés, & même l'A

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