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Pour la feconde fois un fommeil gracieux
o Avoit fous fes pavots appefanti mes yeux :
Quand l'efprit enyvré d'une douce fumée,
J'ay crû remplir au Choeur ma place accoûtumée.
Là, triomphant aux yeux des Chantres impuiffans,
Je beniffois le peuple, & j'avalois l'encens ;
25 Lorfque du fond caché de noftre Sacriftie,
Une épaiffe nuée à longs flots eft fortie,
Qui s'ouvrant à mes yeux dans fon bluastre éclat
M'a fait voir un Serpent conduit par le Prélat.
Du corps de ce Dragon plein de fouffre & de nitre
30 Une tefte fortoit en forme de Pupitre,

nitre,

Dont le triangle affreux tout heriffé de crins,
Surpaffoit en groffeur nos plus épais Lutrins.
Animé par fon guide en fiflant il s'avance:
Contre moy fur mon banc, je le voy qui s'élance.
35 J'ay crié, mais envain ; & fuyant fa fureur,
Je me fuis réveillé plein de trouble & d'horreur.
Le Chantre s'arreftant à cet endroit funefte,
A fes yeux effrayez laiffe dire le refte.

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Girot envain l'affure, & riant de fa peur 40 Nomme fa vifion l'effet d'une vapeur.

Le defolé Vieillard qui hait la raillerie,
Luy deffend de parler, fort du lit en furie.
On apporte à l'inftant fes fomptueux habits,
Où fur l'oüate molle éclate le tabis,

45 D'une longue foutane il endoffe la moire,
Prend fes gants violets, les marques de fa gloire,

REMARQUES.

VERS 39. Girot envain l'affure, ] Pour le raffure. C'eft une faute de Langage: affurer & raffurer ont une fignification fort différente, & leur emploi n'eft pas le même. Affurer fe dit des chofes. Raffurer fe dit des perfonnes. VERS 41. Le défolé Vieillard qui bait la raillerie,] Ce Vers flateroit beaucoup plus l'oreille fi 'Auteur avoit mis: Le Vieillard défolé. Ce changement, que je propofe, ne feroit pas feulement plus favorable à l'Harmonie; il ajouteroit au Sens; & cela par une raifon logique, qui demanderoit une Differtation , pour être mife dans tout fon jour, & qu'il me doit d'autant plus fuffire d'indiquer, que tout le monde,à l'aide de quelque réflexion, peut la trouver aisément.

VERS 44. Où fur l'oüate molle &c. Nos Anciens difoient Oue, pour Oie, & Oüette, pour Oifon. Le mot d'Ouate, qu'on pro nonce Ouette en Province, vient de là, par rapport à ce mol duvet, que Rallais, Liv. I. Chap. 13. exalte fi fort dans les Oifons. Cette Etimologie eft de M. de La Monnoie. BROSS.

II falloit ajouter qu'à Paris on prononce Onette bien plus com

munément qu'Oüate; & qu'on y dit toujours d'une Robe qu'elle eft ouettée, & non pas oüattée. Cet ufage général prefcrit contre la prononciation d'owate, qu'il ne faut pas condamner dans nôtre Auteur parce qu'apparemment elle êtoit commune de fon tems.

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VERS 45. D'une longue foutane il endoffe la moire,] Pour dire : Il endoffe une longue foutane de qui feroit moire; cette Phrafe peut-être très-Poëtique en Latin, a bien de la peine en François à fe fauver du ridicule.

VERS 46. Prend fes gants violets, &c.] En l'abfence du Tréforier, le Chantre êtoit en pofleffion de faire l'Office avec les Ornemens Pontificaux, de fe faire encenfer, & de donner la bénédiction au Peuple. Le Tréforier ne put fouffrir que l'on partageât ainfi fes honneurs. Il obtint un Arrêt du Parlement, qui le maintint dans la prérogative d'être encenfé tout feul, & qui condamna le Chantre à porter un Rochet plus court. Mais il ne put lui faire défendre de donner des bénédictions en fon abfence. C'êtoit le fujet de la jalousie du Tréforier. BROSS.

Et faifit en pleurant ce rochet, qu'autrefois

Le Prélat trop jaloux luy rogna de trois doigts. Auffi-toft d'un bonnet ornant fa tefte grife, 50 Déja l'aumuffe en main il marche vers l'Eglife; Et haftant de fes ans l'importune langueur, Court, vole, & le premier arrive dans le Chœur. O toy, qui fur ces bords qu'une eau dormante moüille, Vis combattre autrefois le Rat & la Grenouille : 55 Qui par les trais hardis d'un bizarre pinceau Mis l'Italie en feu pour la perte d'un Seau :

REMARQUES.

VERS 49. Auffi-toft d'un bonnet ernant fa tefte grife, &c.] Ce Vers eft remarquable par la Critique,

dont le Roi l'honora. Avant l'im-
preffion de ce Poëme l'Auteur le
lut à Sa Majefté. Il y avoit ici :
Alors d'un Domino couvrant fa tête grife,
Déja l'Aumuffe en main, &c.

Après la lecture de ce Chant, le
Roi fit remarquer à M. Def.
préaux, que le Domino, & l'An-
muffe font deux chofes qui ne
vont pas ensemble: car le Do-
mino eft un habillement d'hiver,
& l'Aumuffe eft pour l'été. D'ail.
leurs, continua le Roi, vous al-
lés dire: DEJEUNONS, MESSIEURS,
ET BEUVONS FRAIS; Cela mar-
que que l'Action de votre Poëme se
paffe en Eté. Sur le champ M.
Defpréaux changea le Vers dont
il s'agit. Le Roi ajoura en fou-

riant: Ne foiés pas étonné de me
voir inftruit de ces fortes d'ufages.
Je fus Chanoine en plufieurs Egli-
fes. En effet, le Roi de France
eft Chanoine de faint Jean de
Latran, de faint Jean de Lion
des Eglifes d'Angers, du Mans
de faint Martin de Tours, & de -
quelques autres. BROSS.

Voïés le Vers 204..

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IMIT. Vers 3. O toy, qui fur ces bords &c.] Le Tafone dans fon Poëme de la Secchia rapita, Chant V. St. 23.

Mufa, tù che cantafli fatti egregi
Del Re de Topi, e de le Rane antiche.
VERS (4. Vis combattre autrefois
le Rat & la Grenouille: ] HOMERE
a fait le Poëme de la guerre des
Rats & des Grenouilles. DE SP.
M. Broffette ajoute: fuivant l'o-
pinion commune.

VERS 55. & 56, Qui par les

"

traits hardis d'un bizarre pincean Mis l'Italie en feu pour la perte d'un Seau: ] LA SECCHIA RAPITA, Poëme Italien. DE SP.

Alexandre Taffone, natif de Modene, & Membre de l'Aca démie des Humorifies de Rome,

Mufe, prête à ma bouche une voix plus sauvageį
Pour chanter le dépit, la.colere, la rage,

Que le Chantre fentit allumer dans fon fang
60 A l'afpect du Pupitre élevé fur fon banc.
D'abord pafle & muet, de colere immobile,
A force de douleur, il demeura tranquille.
Mais fa voix, s'échapant au travers des fanglots;
Dans fa bouche à la fin fit passage à ces mots,

REMARQUES.

eft l'Auteur de ce Poëme. Il en fit faire la première Edition à Paris en 1622. avec le fimple titre de La Secchia, & fous le faux nom d'Androvinci Melifone, En 1624. il le fit réimprimer à Ronciglione avec des changemens confidérables. Il y mit fon véritable nom, & pour titre : La Secchia rapita, Il en fut encore fait de fon vivant des Editions à Bologne, à Modene, à Venise & dans quelques autres endroits, avec quelques legers changemens. L'Edition de Ronciglione pafle pour la meilleure ; & c'eft celle dont Pierre Perrault s'eft fervi pour faire fa Traduction Françoife de ce Poëme, laquelle il fit imprimer à Paris en 1678. avec le Texte à côté. Cette Tra

duction très-littérale, eft com munément fort exacte & trèspropre à faire entendre l'Original, dont le Stile n'eft pas tou jours bien clair, pour d'autres que pour des Italiens; mais elle eft feche, aflés fouvent peu Françoife, & prefque toujours dépourvuë d'agrémens. Gafparo Salviani a cominenté le Taffone, & fes Remarques fe trouvent mifes à quelques-unes des Editions de La Secchia rapita. Le Taffone mourut à Modene en 1635.

IMIT. Ibid. Qui par les traits hardis &c.] La Querengo, Poëte de Pavie, le contemporain & l'ami du Taffone, lui parle ainft dans le Liv, V. de fes Vers La tins, au fujet de LA SECCHIA RA PITA.

pugnataque favis

Pralia diffidiis, Rhenumque Padumque tumentes
Cædibus ob raptam lymphis putealibus Urnam ....
immiflis focco ridente cothurnis.

Concinis,

VERS 17. Mufe, prête à ma bouche une voix plus fauvage,] J'avoue à ma honte que je n'ai jamais pu comprendre ce que cette voix plus fauvage peut fignifier

en cet endroit.

IMIT. Vers 62. A force de don leur, il demeura tranquille: ] SENEQUE dans fa Tragédie d'Hippe lite, A&t. II. Vers 607. Cura leves loquuntur, ingentes fiupent.

La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable,
Que m'a fait voir un fonge, helas! trop veritable.
Je le voy ce Dragon tout preft à m'égorger,
Ce Pupitre fatal qui me doit ombrager.
Prélat, que t'ai-je fait ? quelle rage envieuse
70 Rend

pour me tourmenter ton ame ingenieuse ? Quoy? mefme dans ton lit, Cruel, entre deux draps; Ta profâne fureur ne se repose pas ?

O Ciel ! quoy ? fur mon banc une honteufe masse
Deformais me va faire un cachot de ma place?
75 Inconnu dans l'Eglife, ignoré dans ce lieu,
Je ne pourrai donc plus eftre vû que de Dieu ?
Ah! plûtost qu'un moment cet affront m'obscurcisse,
Renonçons à l'autel, abandonnons l'Office,

Et fans laffer le Ciel par des chants fuperflus,
80 Ne voyons plus un Chœur où l'on ne nous voit plus.
Sortons. Mais cependant mon Ennemi tranquille
Jouira fur fon banc de ma rage inutile,

Et verra dans le Chœur le Pupitre exhauffé
Tourner fur le pivot où fa main l'a placé.

REMARQUES.

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