Page images
PDF
EPUB

Prend un cierge en fa main, & d'une voix caffée,
Vient ainfi gourmander la Troupe terraffée,

Lafches, où fuyez-vous? Quelle peur vous abbat Aux cris d'un vil Oyfeau vous cedez fans combat. 105 Où font ces beaux difcours jadis fi pleins d'audace ? Craignez-vous d'un Hibou l'impuiffante grimace ? Que feriez-vous, helas! fi quelque exploit nouveau Chaque jour, comme moy, vous traînoit au Barreau ? S'il falloit fans amis, briguant une audience, 110 D'un Magiftrat glacé foûtenir la presence: Ou d'un nouveau procés hardi Solliciteur, Aborder fans argent un Clerc de Rapporteur ? Croyez-moy, mes Enfans: je vous parle à bon titrea J'ay moy feul autrefois plaidé tout un Chapitre : 115 Et le Bareau n'a point de monftres fi hagards, Dont mon ail n'ayt cent fois foûteny les regards. Tous les jours fans trembler j'affiegeois leurs paffages, L'Eglife eftoit alors fertile en grands courages. Le moindre d'entre nous, fans argent, fans appui, 120 Euft plaidé le Prélat, & le Chantre avec luy. Le Monde, de qui l'âge avance les ruines, Ne peut plus enfanter de ces ames divines :

REMARQUES.

VERS 102.▬▬▬▬ la Troupe terraffée. ] Dans cet endroit, terraf Jée au lieu d'effraïée ou de confiernée me paroît être une Métaphore très-impropre.

IMIT. Vers 103. Lafches, où fuyez-vous? &c.] Dans l'Iliade, Liv. VII. Vers 121. Neftor re proche aux Grecs leur lâcheté, parce qu'aucun d'eux n'ofoit fe

Tome II

préfenter pour combattre Heċtor, qui les défioit en combat fingulier. BROSS.

Notre Auteur parodie en partie le Difcours de Neftor, que M. Broffette cite ici.

IMIT. Vers 121. Le Monde, de
qui l'âge &c.] Iliade, Liv. I.
Difcours de Neflor. DESP.
Il parodie en cet endroit une

P

Mais que vos cœurs du moins imitant leurs vertus
De l'afpect d'un Hibou ne foient pas abbatus.
125 Songez, quel deshonneur va foüiller vostre gloire ;
Quand le Chantre demain entendra fa victoire.
Vous verrez tous les jours, le Chanoine infolent,
Au feul mot de Hibou, vous foûrire en parlant.
Vostre ame, à ce penser, de colere murmure :
130 Allez donc de ce pas en prévenir l'injure.

Meritez les lauriers qui vous font reservez,
Et ressouvenez-vous quel Prélat vous fervez.
Mais déja la fureur dans vos yeux etincelle.
Marchez, courez, volez où l'honneur vous appelle.
135 Que le Prélat, furpris d'un changement fi prompt
Apprenne la vengeance auffi-toft que l'affront.
En achevant ces mots, la Déeffe guerriere
De fon pied trace en l'air un fillon de lumiere ;
Rend aux trois Champions leur intrepidité,

140 Et les laiffe tous pleins de fa divinité.

C'eft ainfi, grand Condé, qu'en ce combat celebre,
Ou ton bras fit trembler le Rhin, l'Escaut, & l'Ebre :
REMARQUES.

partie du Difcours qu'il cite. VERS 137. & 138. -la
VERS 130. Allez donc de ce pas Deeffe guerriere De fon pied trase
en prévenir l'injure. ] Si les trois en Pair un fillon de lumiere ;] DES-
Champions, en conféquence de MARESTS dit à ce fujet, p. 114.
la fraïeur que le Hibou leur "La Difcorde devoit plutôt
avoit caufée, euffent abandon- ,, remplir tout de ténèbres, que
né leur entreprife, les Chanoi-,, de tracer en l'air un fillon de
nes ne leur euffent point fait in-
jure; mais il leur auroient ren-
du juftice, en leur foûriant au feul
mot de Hibou. Le mot injure,
qui ne peut jamais en lui-même
fignifier que reproche injuste, eft
donc ici très impropre.

[ocr errors]

lumière Je crois fa réflexion jufte. Si la clarté eft l'effet de l'Ordre, l'obfcurité doit être l'effet du Défordre, qui n'est autre chofe que la Difcorde.

VERS 141. C'est ainsi,grand Condé, qu'en ce combat celebre, ] La

Lors qu'aux plaines de Lens nos bataillons pouffez Furent prefque à tes yeux ouverts & renversez : 145 Ta valeur arreftant les Troupes fugitives,

Rallia d'un regard leurs cohortes craintives:
Répandit dans leurs rangs ton efprit belliqueux,
Et força la Victoire à te suivre avecque eux.

[ocr errors]

La colere à l'inftant fuccedant à la crainte
150 Ils rallument le feu de leur bougie éteinte.
Ils rentrent. L'Oyleau fort. L'Escadron raffermi
Rit du honteux départ d'un fi foible Ennemi.

REMARQUES.

Bataille de Lens, gagnée par
M. le Prince, contre les Efpa-
guols & les Allemands, le io.
Août 1648. BROSS.

L'Edition de 1701. porte uni-
quement à la marge en 1649.
Ce qui eft une faute.

VERS 15. Ils rentrent. L'Oyfean fort. C'eft là que fe termine Epifode de la Nuit de la Molleffe. On a vu, dans la Remarque de M. Brofette fur le Vers 121. du II. Chant, tout ce que l'on doit dire en faveur de l'ingénieux Difcours de la Molleffe. A ne confidérer ce Morceau qu'en lui-même, il faut avouer que nous n'avons rien de plus par

fait dans notre Poëfie. Mais il ne fuffit pas de le voir en lui-même. Ce Difcours n'eft qu'une partie d'un Episode, dont la Nuit & la Mollege font les Acteurs. Cer Epifode fait partie d'un Poeme Epique ; &, comme tel, eft-il en effet bien digne de toutes les louanges, qu'il a reçues ? Un Principe indiqué par nôtre Au teur lui-même, fournira la réponse à cette question.

[ocr errors]

Il faut que l'on puifle appliquer à tout Poëme Epique ce que M. Defpréaux a dit des Poemes d'Homère, dans le troifiéme Chant de l'Art Poëtique, Vers 306. Chaque vers, chaque mot court à l'évenement. Cette Règle car cet éloge en renferme une effentielle) eft elle obfervée dans l'Episode, dont il s'agit La Nuit, fans que l'on fache pourquoi, vient apprendre à la Molleffe ce qui va caufer une guerre inteftine entre de pieux Fainéans, dont elle eft la Patrone. La Molleffe effraïée répond, en fe plaignant du mal

heur d'un tems. où tout femble fe difpofer à ne plus fuivre fes loix; & paroît finir fon difcours par prier la Nuit de ne pas permettre que ce qu'elle lui vient d'annoncer ait fon effet. En conféquence la Nuit, venant de Câteaux à Paris & paflant pat Montlhéri fe fait fuivre d'un Hibon, qu'elle va cacher dans

Auffi-toft dans le Choeur la Machine emportée

Eft fur le banc du Chantre à grand bruit remontée. 155 Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchez,

Sont à coups de maillet unis & rapprochez.

Sous les coups redoublez tous les bancs retentiffent,
Les murs en font émûs, les voûtes en mugiffent,

REMARQUES.

le Lutrin, qu'on fe difpofe à re-
placer fur le banc du Chantre.
Bientôt après les trois Cham-
pions arrivent dans la Sacriftie,
& fe mettent en devoir de tranf
porter la vale Machine. Le bruit,
le mouvement, l'éclat de la lu-
mière effarouchent le Hibon, qui
fort du Lutrin avec précipita-
tion, & du vent de fes ailes
éteint la Bougie, dont les trois
Champions fe fervoient pour
s'éclairer. Ils en font épouvan-
tés. Ils fuient. Ils abandonne-
roient même leur entreprise, fi
la Difcorde ne venoit dans l'in-
ftant même, fous la forme du
vieux Plaideur Sidrac, leur ap-
prendre la caufe de leur fraïeur
& ranimer leur courage. Ils ral-
lument leur bougie, rient de
leur fottife & mettent le Lutrin
en place. Cela fait il n'eft plus
queftion dans le refte du Poeme
de la Nuit ni de la Molleffe.

Qu'on me dife à préfent ce que
cet Episode produit dans le Poe-
me, & comment il court à l'événe-
ment. Etoit-ce la peine de perfo-
nifier deux Etres Moraux, & de
leur fuppofer néceffairement
une puiffance égale à celle des
Dieux de la Fable, pour que par
le moïen d'un Hibou, trois Hom-
mes aient une espèce de fraïeur,
dont ils font remis fur le champ;
& qui loin d'être un obftacle à

leur deffein, en retarde à peine
l'exécution de quelques minus
tes? Mais je veux que le Hibou
forme un obftacle. Outre que
cet obftacle doit être compté
pour rien puifqu'il n'eft que
momentané, par qui le voïons-
nous détruit? Par la Difcorde,
c'eft à-dire, par un autre Etre
Moral perfonitié. Mais de quel
droit attribue-t-on à cet
Moral, une puiflance fupérieu
re à celle de la Nuit & de la
Molleffe qui font des Eftres
de la même Claffe, qui doivent
être égaux en puiffance, & qui,
par conféquent, ne peuvent voir
ce qu'ils ont fait, détruit que
par un pouvoir,qui foit fupérieur
au leur.

Etre

Au refte il eft aifé de voir, que tout cet Episode eft parodié de celui de Junon & d'Eole, dans le 1. Livre de l'Eneide. Mais quelle différence de la Copie à l'Origi nal! La Molleffe fait ici le rôle de Junon, & la Nuit celui d'Eole. Cette tranfpofition des Rôles êtoit néceffaire. Il eût été contre le caractère de la Molleffe, de lui faire quitter fon lit pour aller implorer le fecours de la Nuit. Il êtoit naturel que celleci dit, en paffant, à celle - là ce que l'on alloit faire à Paris contre fes intérêts. La Molleffe pric donc la Nuit de mettre obftacle

Et l'Orgue mefme en pouffe un long gemiffement. 160 Que fais-tu Chantre, helas! dans ce trifte moment ? Tu dors d'un profond fomme, & ton cœur fans alarmes Ne fçait pas qu'on baftit l'inftrument de tes larmes, O! que fi quelque bruit par un heureux réveil, T'annonçoit du Lutrin le funefte appareil, 165 Avant que de fouffrir qu'on en pofaft la maffe, Tu viendrois en Apoftre expirer dans ta place, Et Martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau, Offrir ton corps aux clous & ta tefte au marteau.

REMARQUES.

à ce qui fe prépare. C'est ainfi
que Junon, ennemie des Troïens,
aïant intérêt d'empêcher ou
de reculer,du moins tant qu'elle
pourra, leur établiffement en
Italie, prie Eole de ne pas fouf-
frir qu'ils y puiffent aborder.
Fole excite une tempête, qui les
rejette vers les Côtes d'Afrique.
Ils auroient même bien de la
peine à fe fauver, fi Neptune ne
calmoit les flots. Neptune eft le
fouverain des Mers, & n'a dans
fon Empire de puiffance fupé
rieure à la fienne, que celle de
Jupiter. Il fauve les Troïens, en
détruifant l'ouvrage d'Eole, qui
n'eft qu'un Dieu du fecond or
dre; mais il ne détruit pas l'ou.
vrage de Junon, Divinité du pre-
mier ordre. Les Troïens reftent
écartés d'Italie, Mais de ce pre-
mier obstacle, combien n'en
naît-il pas d'autres, qui retar-
dent leur arrivée dans ce Païs,
où le Deftin leur promet une nou-
velle Troie. Il faut à la fin que
le Souverain exécuteur des Or-
dres du Deftin, qu'un Dieu fupé-
rieur en puiffance à tous les au

tres Dieux, que Jupiter lui me. me les y conduife en quelque forte.

on voit

Dans l'expofé que je viens de faire de cet Epifode, fans peine, qu'il ne renferme rien, que l'adreffe du Poëte ne faffe concourir au but de fon Poëme Tout y court à l'événement. J'en ai donc dit aflés pour mon trer combien l'Episode de la Molleffe, tout admirable qu'il eft en lui-même, eft défectueux en tant qu'il fait partie d'un Poëme Epi. que. Me blâmera-t-on fi j'ofe à préfent décider que cet Epifode, ne produifant rien dans le Poëme, doit être regardé comme abfo lument poftiche, & par confé. quent comme une faute effentielle contre les Règles de l'Epopée, telles que nôtre Auteur les a prefcrites lui-même ?

A l'égard du rôle, que la Nuit fait içi, ie puis encore ajouter, que Desmarêts a raifon de dire, p. 113. "Voici une admirable

[ocr errors]

fiction. La Nuit apparemment ,,êtoit favorable à ceux qui vou, loient tirer le Lutrin de la Sa

[ocr errors]
« PreviousContinue »