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LE

LUTRIN,

POËME

HÉROÏ-COMIQUE.

172

* AVIS AU LECTEUR; (Pour la première Edition du LUTRIN, en 1674.)

JE ne feray point ici comme (1) l'Arioste,

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qui, quelquefois fur le point de débiter la Fable du monde la plus abfurde, la garantit vraye d'une vérité reconnue, & l'appuïe mesme de l'autorité (2) de l'Archevefque Turpin. Pour moy je déclare franchement que tout le Poëme du Lutrin n'eft qu'une pure fiction & que tout y eft inventé, jufqu'au nom mefme du lieu où l'action fe paffe. Je l'ai appellé

*

REMARQUES.

Cet Avis au Lecteur précéda le Lutrin dans toutes les Editions, jufqu'en 1683. que l'Auteur le fupprima.

(1) l'Ariofte,] LOUIS Ariolle, Poëte Italien, qui a compofé le Poëme de Roland le Furieux, & plufieurs autres Poëfies. Il mouut l'an 1533.

(2) de l'Archevefque Turpin ] Hiftorien fabuleux des Actions de Charlemagne & de Roland. L'Auteur de ce Roman ridicule a emprunté le nom de Turpin, Archevêque de Rheims, Prélat d'une grande réputation qui avoit accompagné Charlemagne dans la plufpart de fes voïages, & qui, felon Trithème, avoit écrit la Vie de cet Empereur, en

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(3) Pourges, du nom d'une petite Chapelle qui eftoit autrefois proche de Monlhéry. C'est pourquoi le Lecteur ne doit pas s'eftonner que pour y arriver de Bourgogne la Nuit prenne le chemin de Paris & de Monlhéry.

C'est une affez bizarre occafion qui a donné lieu à ce Poëme. Il n'y a pas long-temps que dans une affemblée où j'eftois, la converfation tomba fur le Poëme Héroique. Chacun en parla fuivant fes lumieres. A l'égard de moy, comme on m'en eût demandé mon avis, je foûtins ce que j'ay avancé dans ma Poëtique: qu'un Poëme Héroïque, pour être excellent, devoit eftre chargé de peu de matiere, & que c'eftoit à l'invention à la foûtenir & à l'étendre. La chose fut fort conteftée. On s'échauffa beaucoup; mais aprés bien des raifons al alléguées pour & contre, il arriva ce qui arrive ordinairement en toutes ces fortes de difputes: je veux dire qu'on ne fe perfuada point l'un l'autre, & que chacun demeura ferine dans fon opinion. La chaleur de la difpute eftant paffée, on parla d'autre chofe, & on fe mit à rire de la maniere dont on s'eftoit échauffé fur une queftion auffi peu importante que celle-là. On moralifa fort fur la folie des hommes qui paflent prefque toute leur vie à

REMARQUES.

(3) Pourges,) Voïés la Remar- que fur le Vers 3. du I, Chant,

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faire férieufement de très grandes bagatelles, & qui fe font fouvent une affaire confidé rable d'une chofe indifferente. A propos de cela, (4) un Provincial raconta un démeflé fameux, qui eftoit arrivé autrefois dans une petite Eglife de fa Province, entre le Tréfo rier & le Chantre, qui font les deux premieres Dignités de cette Eglife, pour fçavoir fi un Lutrin feroit placé à un endroit ou à un autre. La chofe fut trouvée plaifante. Sur cela (5) un des Sçavans de l'affemblée, qui ne pouvoit pas oublier fi-toft la difpute, me demanda: fi moy, qui voulois fi peu de matiere pour un Poëme Héroïque, j'entreprendrois d'en faire un fur un démeflé auffi peu chargé d'incidens que celui de cette Eglife.J'eus plutoft dit, pourquoi non, que je n'eus fait réflexion fur ce qu'il me demandoit. Cela fit faire un éclat de rire à la compagnie, & je ne pus m'empefcher de rire comme les autres, ne penfant pas en effet moi-mefme que je dûffe jamais me mettre en eftat de tenir parole. Néanmoins le foir me trouvant de loisir, je refvai à la chofe, & aïant imaginé en général la plaifanterie que le Lecteur va voir, j'en fis vingt Vers que je montrai à mes amis, Ce com

REMARQUES.

(4) un Provincial raconta, &c.] Cette circonftance eft inventée pour dépaïfer les Lecteurs.

) un des Scavans de l'affem blée. ] M. le Premier Préfident de Lamoignon.

mencement les réjouit affez. Le plaifir que je vis qu'ils y prenoient,m'en fit faire encore vingt autres: ainfi de vingt Vers en vingt Vers, j'ay pouflé enfin l'Ouvrage (6) à près de neuf cens Vers. Voilà toute l'Hiftoire de la bagatelle que je donne au Public. J'aurois bien voulu la luy donner achevée ; mais (7) des raifons trés-fecretes, & dont le Lecteur trouvera bon que je ne l'inftruise pas, m'en ont empefché. Je ne me ferois pourtant pas preffé de le donner imparfait, comme il eft, n'euft efté les miférables fragmens qui en ont couru. C'eft un Burlesque nouveau, dont je me fuis avifé en noftre Langue. Car au lieu que dans l'autre Burlesque Didon & Enée parloient comme des harangeres & des crocheteurs; dans celui-ci (8) une Horlogere & un Horloger parlent comme Didon & Enée. Je ne fçay donc fi mon Poëme aura les qualités propres à fatisfaire un Lecteur: mais j'ofe me flatter qu'il aura au moins l'agrément de la nouveauté, puifque je ne pense pas qu'il y ait d'Ouvrage de cette nature en noftre

REMARQUES.

(6) à près de neuf cens Vers.] Cela n'eft vrai qu'à l'égard de la première Edition, qui ne contenoit que les quatre premiers Chants.

(7) des raisons trés-fecretes, ] Ces raifons très-fecretes font que le Poëme n'êtoit pas encore ache

vé. BROSS.

Voïés la Remarque fur les deux derniers Vers du IV. Chant.

(8) une Horlogere un Horloger] L'Auteur leur fubftitua dans la fuite une Perruquiere & un Perruquier. Voïés le Lutrin & les Remarques.

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