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CHANT IV.

DANS

ANS Florence jadis vivoit un Medecin,
Sçavant hableur, dit-on, & celebre affaffin.
Lui feul y fit long-temps la publique mifere.
Là le Fils orphelin luy redemande un Pere,
Icy le Frere pleure un Frere empoisonné.
L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de fené.

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VERS 1. Dans Florence jadis vivoit un Medecin, &c. ] Cette Métamorphofe d'un Médecin en Architecte, défigne Claude Perrault, Frère de Perrault l'Académicien, & Médecin de la Faculté de Paris. Voïés à ce fujet Tome IV. une Lettre de nôtre Auteur au Maréchal de Vivone, Le Médecin Perrault êtoit un de ceux qui condamnoient le plus hautement les Satires de M. Delpréaux, qui s'en plaignit à M. Perrault l'Académicien. Mais celui-ci,bien loin de lui en faire la moindre fatisfaction, ne

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daigna pas même lui répondre. Cette nouvelle injure l'irrita contre les deux Frères, & bientôt après il fe vengea des mauvais difcours de l'un & du filence injurieux de l'autre, par cette Métamorphofe Satirique. Le Médecin en fit beaucoup de bruit : & comme il êtoit emploïé dans les Bâtimens du Roi, il en porta fes plaintes à M. Colbert, alors Surintendant des Bâtimens. Nôtre Poëte ne fe défendit que par une plaifanterie, qui fit rire ce grand Miniftre: IL a tort de fe plaindre, dit-il, je l'ai

Le rhume à fon afpect fe change en pleurefie ;
Et par lui la migraine eft bien-toft phrenefie.
Il quitte enfin la Ville, en tous lieux detesté.
10 De tous fes Amis morts un feul Ami resté,

Le mene en fa maison de superbe structure.
C'eftoit un riche Abbé, fou de l'Architecture.
Le Medecin d'abord semble né dans cet art,
Déja de bastimens parle comme Mansard :
15 D'un falon qu'on éleve il condamne la face :
Au veftibule obfcur il marque une autre place :
Approuve l'escalier tourné d'autre façon.
Son Ami le conçoit, & mande fon Maçon.

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fait précepte. En effet il tire dans la fuite un excellent précepte de cet exemple; Soiés plutôt Maçon, dit-il, fi c'est votre talent, &c. Vers 26.

VERS 14. de baflimens parle comme Manfard. ] FRANÇOIS MANSARD, célèbre Architecte, qui mourut en 1666. âgé de 69. ans.

"

,, gueur, & dans les étroites régles de la Conftruction, il faudroit dire: An veftibule ob,fcur il marque une autre place, ,, que celle qu'on lui veut donner:

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Et aprouve l'escalier tourné d'une ,, autre maniére qu'il n'eft. Mais cela fe fous-entend fans pei,, ne : & où en feroit un Poëte fi on ne lui pafloit, je ne dis VERS 17. Approuve l'escalier ,, pas, une fois, mais vingt fois tourné d'autre façon.] Un petit, dans un Ouvrage, ces Subaudoute que j'avois marqué à l'Auteur fur la netteté de ce Vers, l'engagea à m'écrire, le 2. Août 1703. ce qui fuit. Comment ,, pouvez-vous trouver une équi,, voque dans cette façon de parler? Et qui eft-ce qui n'entend pas d'abord, que le Médecin Architecte aprouve l'efcalier, moïennant qu'il foit "" tourné d'une autre maniere? Cela n'eft-il pas préparé par le vers précédent: Au veftibule ,, obfcur il marque une autre pla, ce. Il est vrai que, dans la ri

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di? Où en feroit M. Racine, fi on lui alloit chicaner ce beau vers que dit Hermione à Pyrrhus dans l'ANDROMAQUE: Je t'aimois inconfiant ; qu'euffé. ,,je fait fidelle? qui dit fi bien, & avec une vitefle fi heureuse: ,,Je t'aimois lorfque tu eflois inconftant, qu'euffé je donc fait fi tu avois efté fidelle ? Ces fortes de petites licences de Conftruction non-feulement ne font ,, pas des fautes, mais font mef,, me aflez fouvent un des plus ,, grands charmes de la Poëfie,

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Le Maçon vient, écoute, approuve, & fe corrige. 20 Enfin, pour abreger un fi plaisant prodige,

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Noftre affaffin renonce à son Art inhumain,
Et deformais la regle & l'equierre à la main,
Laiffant de Galien la science suspecte,

De méchant Medecin devient bon Architecte.

Son exemple eft pour nous un precepte excellent. Soyez plûtoft Maçon, fi c'eft voftre talent, Ouvrier eftimé dans un Art neceffaire, Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire.

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REMARQUES.

principalement dans la narration où il n'y a point de ,, temps à perdre. Ce font des ,, efpeces de Latinifmes dans la Poefie Françoife, qui n'ont pas ,, moins d'agrément que les Hellénifmes dans la Poëfie Lati. i, ne, &c BROSS.

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VERS 20. Enfin, pour abreger un fi plaifant prodige, ] Ce Vers me paroît avoir êté légitimement cenfuré par Pradon, p. 96. Voici fa critique, qui n'eft bonne que pour le fonds. "Que ,, veut dire abreger un prodige ? Il veut dire pour ne pas en,,nuïer le Lecteur d'un fi plaifant prodige; mais abreger un fi plaifant prodige, eft une Ex,, preffion, que je ne crois pas Françoise ,,. En effet, pour qu'une Expreffion foit non feu lement Françoife, mais de quelque Langue que ce puifle être, la première condition eft qu'elle forme un fens ; & celle, dont il s'agit ici, n'en forme certainement aucun.

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VERS 23. Laillant de Galien la fcience fufpecte. ] Le dernier Hemifliche eft bien dur; & quoique Suspecte ne foit point une Epithète abfolument oifive, elle pourroit bien ne fe trouver là que pour rimer avec Architecte.

VERS 28. Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire. ] L'Expreffion Ecrivain du commun eft ici très-bien, parce qu'elle eft extrèment propre. Je n'en dirai pas autant de Poëte vulgaire. Ce dernier terme, joint avec un nom appellatif comme Poëte, n'est pas fufceptible de la même acception que du commun. D'ail leurs beaucoup de nos Auteurs par Ecrivain ou Poëte vulgaire. veulent dire: Ecrivain ou Poëte, dont les Ouvrages font en Langue vulgaire. C'eft à quoi nôtre Auteur auroit du faire d'autant plus d'attention, que l'ufage du mot vulgaire dans le fens que j'indique, êtoit très commun de fon tems, où l'on écrivoit encore beaucoup en Latin,

Il est dans tout autre Art des degrez differens. 30 On peut avec honneur remplir les feconds rangs :

REMARQUES.

IMIT. & CHANG. Vers 29. Il differens, &c.] HORACE dit, Arb eft dans tout autre Art des degrez Poëtique, Vers 367.

hoc tibi dictum

Tolle memor: certis medium & tolerabile rebus
Rectè concedi. Confultus juris, & actor
Caufarum mediocris, abeft virtute diferti
Meffala, nec fcit quantum Caffellius Aulus:
Sed tamen in pretio eft. Mediocribus effe poëtis
Non homines non Di, non conceffere columna.
Nôtre Auteur avoit imité li-
brement cet endroit ; & sêtoit
efforcé fur tout d'en rendre la

fin, pat ces Vers qu'il avoit mis
dans toutes les Editions faites
avant celle de 1701.

Les vers ne fouffrent point de médiocre Auteur : Ses écrits en tous lieux font l'effroi du Lecteur. Contre eux dans le Palais les boutiques murmurent, Et les ais chez Billaine à regret les endurent. Il leur fubftitua dans l'Edition, qu'on vient de nommer, les qua. tre Vers qui font ici les 33. 34. 31.& 36. Quatre raifons ont produit ce changement. I. Le mot de médiocre êtoit répeté dans les Vers 32. & 33. & Pradon, p. 97. en avoit fait reproche à l'Auteur en ces termes : "Voilà bien du médiocre, des Vers bien mé 2, diocres, puifque mediocrey a,,. II. La conftruction du Vers 34. êtoit irrégulièrement liée avec le Vers précédent; car ces mots : De médiocre Auteur, font abfolus, & ne fouffrent après eux, ni rélatif, ni régime. Voïés les Remarques fur la Langue Frangoife de Vaugelas & celles du P. Beubours. Ainfi, felon une

Règle inviolable de nôtre Sin taxe, Ses écrits ne pouvoient fe rapporter à Médiocre Auteur. III. L'Expreflion d'Horace, laquelle a tant de force dans fa Langue, ne paroiffoit pas avec le même avantage dans la traduction. IV. Enfin, il avoit dit dans les Vers précédens, que la médiocrité eft infupportable dans la Poesie, & tout le refte n'êtoit qu'une amplificaion de cette même pen. fée. Les Vers qu'il a fubftitues à ceux-ci, confirment la Règle par des Exemples.

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Voici de quelle manière La Frefnaie-Vauquelin dans fon Art Poetique, Livre III. paraphrafe les Vers d'Horace qu'on vient de

rapporter.

-je veux bien vous avertir ici,
Qu'il faut un grand fçavoir aux hommes en ceci :
Nous voyons beaucoup d' Arts, aufquels est suportable
D'un apparent fçavoir l'apparence notable:

Comme pour n'eftre aux droits un Duarin fecond,
Ou pour docte à plaider un Marion facond:

Mais

Mais dans l'Art dangereux de rimer & d'écrire ;
Il n'eft point de degrez du mediocre au pire.
Qui dit froid Ecrivain dit deteftable Autheur.
Boyer eft à Pinchesne égal pour le Lecteur.
35 On ne lit guéres plus Rampale & Mefnardiere,
Que Maignon, du Souhait, Corbin & la Morliere.

REMARQUES.

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Sur Pinchefne, voïés Ep. VIII. Vers 104. Ep. X. Vers 36. Lutr. Chant V. Vers 163.

On ne laiffe pourtant d'avoir en bonne eslime Sa part de l'or que tant es Palais on eftime. En tout fçavoir aifé, pour n'efire Hiflorien Autant que Titelive, il fuffit du moyen. Le Peintre qui peint bien d'un homme la figure Sans l'avoir mefme apris, peut tirer en peinture Tout autre tel qu'il foit: ainfi qui fait des Arts Le principe & la fin, s'en aide en toutes parts Pourven qu'à fon fujet d'une gentille mode Du fçavoir qu'il a veu l'ufage il accommode: Mais les hommes ni Dieu, ne veulent recevoir Celuy qui pour les vers n'a qu'un mojen fçavoir. VERS 34. Boyer eft à Pinchefne, ment de goût & de fens. Son &c.] Auteurs médiocres. DESP. ftile eft prefque toûjours enflé ; Claude Boyer Prêtre natif fon langage peu correct, & fes d'Albi, fut reçu à l'Académie Vers ordinairement très-durs. Françoise en 1666. Il avoit d'abord eu deffein de s'adonner à l'Eloquence; mais aïant prêché dans Paris avec peu de fuccès, il fe livrà tout entier à la Poëfie. Outre plus de vingt Pièces de Théatre, on a de lui quantité d'autres Ouvrages en Vers, tant imprimés en feuilles volantes, que répandus dans les différens Recueils de fon tems. Il publia lui-même en 1695. un volume de Poefies Chreftiennes in-8°. il mourut en 1698. âgé de 80. ans. Cet Auteur avoit beaucoup d'efprit; & fes différens Ouvrages font animés d'un feu, qui ne fut point affoibli par l'âge. Mais il n'avoit aucune connoiffance du fonds de l'Art,qu'il prapiquoit ; & manquoit égaleTome II.

VERS 35. & 36. Rampale & Mefnardiere, Que Maignon, du Souhait, Corbin & la Morliere. ] MAIGNON a composé un Poëme fort long, intitulé l'Encyclopedie. DU SOUHAIT avoit traduit l'Iliade en Profe. Corbin avoit traduit la Bible mot à mot. La Mor liere méchant Poëte. D E S P.

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Rampale eft un Poëte qui vivoit fous le Regne de Louis XIII, & dont on a des Idilles, qui font médiocrement belles. BROSS.

Hippolyte-Jules Pilet de la Mefnardiere, Docteur en Médecine, écrivit êtant encore fort jeune, en faveur de la réalité de la Poffeffion des Religieufes de

K

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