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Craignez d'un vain plaifir les trompeuses amorces,
Et confultez long-temps voftre efprit & vos forces,
La Nature fertile en Efprits excellens,

Sçait entre les Auteurs partager les talens.
15 L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme :
L'autre, d'un trait plaifant aiguifer l'Epigramme.
Malherbe d'un Heros peut vanter les exploits ;
Racan chanter Philis, les Bergers, & les Bois.

REMARQUES.

IMIT. Vers 12. Et confultez ces. ] HORACE long-temps vofire efprit & vos for- Vers 38.

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Art Poetique,

Sumite materiam veftris, qui fcribitis, aquam
Viribus, & verfate din quid ferre recufent,
Quid valeant bumeri.

IMIT. Vers 13. La Nature reufe Imitation de cet endroit fertile en Efprits excellens, &c.] du premier Livre de l'Art PoeDepuis ce Vers jufques & com- tique de La Frefnaie Vauquepris le Vers 27. c'eft une heu- lin.

Comme tout Peintre n'est parfait en chaque part
De tout ce que requiert la regle de fon art: &c.
Des Poëtes ainfi, l'un fait une Epigrame,

L'autre une Ode, un Sonnet en l'honneur d'une dame,
L'un une Comédie, & l'autre d'un ton haut,
Tragique fait armer le royal échafaut.
L'un fait une Satire, & l'autre une Idillie,
Qui jufqu'aux petits chants des Pafleurs s'humilie
Et peu, qui font bien peu,

la

trompette entonnant

Font bruire d'un rebat l'air autour résonnant.

Mais comme avec Apelle, on loue un Timagore
Protogene, Zeufis, Timante, Apollodore

Parrafe & Polignot; peignants diversement:

Homere feul ainfi, ni Maron feulement

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N'ont gaigné le Laurier: De cette branche on pare
Comme eux, Catule, Horace; Hefiode & Pindare, &c.
Mais celui qui ne peut garder l'ordre divers,
Et les couleurs de l'œuvre en efcrivant en vers,
Et donner fon vray jour à l'argument qu'il traite,
Ne meritera point qu'on l'appelle Poëte.
Pourquoy veut-il honteux, ignorant demeurer 2
Pluftoft qu'en apprenant, plus hardi s'asseurer.

VERS 17. Halherbe d'un Heros. &c.] Les Odes de Malherbe, Voies Sat. IX. Vers 251.

VERS 18. Racan chanter Philis, &c.]Les Bergeries de Racan. Voïés Sat. IX. Vers 44.

Mais fouvent un Efprit qui fe flatte, & qui s'aime 20 Méconnoift fon genie, & s'ignore foy-mesine. Ainfi Tel autrefois, qu'on vit avec Faret

25

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Charbonner de fes vers les murs d'un cabaret
S'en va mal à propos, d'une voix infolente,
Chanter du peuple Hebreu la fuite triomphante,
Et poursuivant Moïse au travers des deserts,
Court avec Pharaon fe noyer dans les mers.

Quelque fujet qu'on traite, ou plaifant, ou fublime, Que toujours le Bon fens s'accorde avec la Rime.

REMARQUES.

VERS 21. Ainfi Tel autrefois]
SAINT AMAND, Auteur du Moife
fawvé. DESP. Voïés Sat. I.
Vers 97. Sat. IX. Vers 93. Art
Poët, Chant. II. Vers 261.

Ibid.qu'on vit avec Faret.]
Auteur du Livre intitulé : l'Hon-
nête Homme, & ami de S. Amand.
DESP.

Nicolas Faret de Bourg en
Breffe, l'un des premiers Mem-
bres de l'Académie Françoife,
dont il fut chargé de rediger les
Statuts; êtoit venu jeune à Pa.
ris, où il s'êtoit attaché à Van-
gelas, à Boifrobert & à Coeffeteau,
Il fut Secretaire du célèbre Com-
te d'Harcourt, & mourut à Pa-
ris âgé de 46. ans en 1646. Il
êtoit alors Secretaire du Roi.
Nous avons de lui une Traduc-
tion de l'Abregé de l'Hillvire Ro-
maine d'Eutrope. L'Honnête Hom-
Ouvrage tiré de l'Italien du
Comte Baltazar Caftiglione : une
Hiftoire Chronologique des Otto-

me

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mans, imprimée à la fuite de l'Hiftoire de Georges Caftriot, par Jacques de Lavardin; un Traité des vertus néceffaires à un Prince pour bien gouverner fes Sujets ; la Préface des Oeuvres de S. Amand, dans l'Edition de Paris 1629. in4°. quelques Lettres & quelques Poefies dans les Recueils de fon tems. Outre une Continuation de l'Hiftoire Romaine de Coeffetean, il avoit compofé la Vie de René II. Duc de Lorraine, & des Mémoires du Comte d'Harcourt. Ces trois Ouvrages n'ont pas vu le jour, Il êtoit ami particulier de S. Amant, qui l'a peint comme un illuftre débauché, principalement à caufe de la commodité de fon nom qui rimoit à Cabaret. Voïés PELISSON, Hiftoire de l'Académie, Part. V.

IMIT. Vers 22. Charbonner de
fes vers les murs d'un cabaret.]
MARTIAL, Liv. XII. Epigramme
LXII.

Nigri fornicis ebrium Poëtam,
Qui carbone rudi, putrique creta
Scribit carmina.

L'un l'autre vainement ils semblent se haïr;
30 La Rime eft une efclave, & ne doit qu'obeïr.
Lors qu'à la bien chercher d'abord on s'évertuë;
L'efprit à la trouver aifément s'habituë.

Au joug de la Raison fans peine elle fléchit ;
Et loin de la gefner, la fert & l'enrichit.
35 Mais lors qu'on la neglige, elle devient rebelle
Et pour la ratraper, le fens court aprés elle.
Aimez donc la Raison. Que toûjours vos écrits
Empruntent d'elle feule & leur luftre & leur prix.
La plufpart emportez d'une fougue infenfée,

40 Tousjours loin du droit fens vont chercher leur pensée.
Ils croiroient s'abaiffer dans leurs vers monftrueux,
S'ils penfoient ce qu'autre a pû penfer comme eux.
Evitons ces excés. Laiffons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.

45 Tout doit tendre au Bon sens: mais pour y parvenir, Le chemin eft gliffant & penible à tenir.

Pour

peu qu'on s'en écarte, auffi-toft on fe noye.
La Raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voye.
Un Auteur quelquefois trop plein de fon objet
so Jamais fans l'épuifer n'abandonne un fujet.
S'il rencontre un Palais, il m'en dépeint la face
Il me promene aprés de terraffe en terraffe :
Icy s'offre un perron, là regne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un baluftre d'or :

REMARQUES.

VERS 1. S'il rencontre un Palais, &c.] Scuderi, L. III. de fon Alaric, emploie près de 5oo. Vers

à la defcription d'un Palais,qu'il commence par la façade & finis, par le jardin,

55 Il compte des plafonds les ronds & les ovales.

Ce ne font que Feftons, ce ne font qu'Aftragales.
Je faute vingt feuillets pour en trouver la fin ;
Et je me fauve à peine au travers du jardin.
Fuyez de ces Auteurs l'abondance fterile ;
60 Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant:
L'efprit raffafié le rejette à l'inftant.

Qui ne fçait se borner, ne sceut jamais écrire.
Souvent la
peur d'un mal nous conduit dans un pire.
65 Un Vers eftoit trop foible, & vous le rendez dur.

J'évite d'eftre long, & je deviens obscur.

REMAR Q DE S.

VERS 56. Ce ne font que Feftons, ce ne font qu' Aftragales.] Vers de Scuderi. DESP.

Ce ne font que Feftons, Nôtre Auteur a changé ce dernier mot, pour faire mieux fentir l'abondance ftérile de ces faifeurs de longues defcriptions, qui s'amufent à décrire jufqu'aux plus petites circonftances. L'Af

C'eft ainfi qu'on lit ce Vers dans le Poeme d'Alaric, Livre

III.

ce ne font que couronnes.
tragale eft une petite moulure
ronde qui entoure le haut du
fuft de la Colonne.

IMIT. Vers 62. L'efprit raffafié le rejette à l'inftant.] HORACE, Art Poëtique, Vers 337. Omne fupervacuum pleno de pectore manat. IMIT. Vers 64. Souvent la peur d'un mal,&c.] M. Broffette donne In vitium ducit culpa Ce Vers n'est tout au plus que l'occafion de celui de nôtre Auteur. Voici comme La Frefnaie

cela pour une Imitation d'HeRACE, Art Poët. Vers 314. fuga, fi caret arte.

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Vauquelin Liv. I. de fon Art
Poët. le traduit affés heureufe-
ment même pour fon tems.
Au vice nous conduit la faute qu'on évite
Si par Art elle n'efi du jugement conduite.

IMIT. Vers 66. J'évite d'être RACE, Art Poëtique, Vers long je deviens obfcur.] HO 25.

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L'un n'eft point trop fardé, mais sa Muse est trop nuë,
L'autre a peur de ramper, il fe perd dans la nuë.
Voulez-vous du public meriter les amours?

70 Sans ceffe en écrivant variez vos difcours.
Un ftile trop égal & tousjours uniforme,

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.

REMARQUES.

IMIT. Vers 68. L'autre a peur HORACE de ramper, il fe perd dans la nuë.] 230.

Art Poëtique Vers

Aut dum vitat humum, nubes & inania captat.

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VERS 71. & 72. Un file trop,,
gal & tousjours uniforme, En vain
brille à nos yeux,&c.] Desmarêts p.
79-critique ces deux Vers,comme
renfermant un Précepte faux.
"Le ftile de Virgile eft uniforme,
Vehemens & liquidus

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Cette Critique eft abfolument fauffe. Le Précepte de nôtre Auteur ne contredit point celui d'Horace, renfermé dans le Vers 120. de la feconde Epître de fon II. Livre, M. Defpréaux ordonne d'éviter le plus grand de tous les défauts; celui par lequel toutes les beautés font obfcurcies; celui qui caufe que le Stile le plus exact, le mieux foutenu, fatigue, ennuie, fait bailler: la monotonie, l'uniformité de ton. Horace prefcrit au Stile trois quali tés, fans lefquelles il ne fauroit être bon. Il faut qu'il foit rapide, coulant & pur. Ces trois qualités ne font point contraires à la variété, que nôtre Auteur exige dans les difcours, Elles ne produifent point cette égalité vicieufe, cette uniformité de ton, qu'il condamne. Virgile, pour me fervir du même exemple que Desmarêts, eft en même tems le Tome II.

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dit-il, êtant toujous égal; & Horace dit, qu'il faut qu'un Poëme aille toujours d'une même force, comme un beau fleuve qui coule toujours avec même force & pureté. puroque fimillimus amni,,. plus égal & le plus varié de tous les Poëtes. Il est égal en ce que, toujours femblable à lui-même, il fait par tout conferver le caractère propre au genre d'Ouvrage, qu'il compofe. Il eft varié, parce que, fans cefler de fe reflembler, fans fortir du caractère propre à fon Ouvrage il prend le ton qui convient chaque objet particulier. Un Poëte auffi conftamment monotone que Desmarêts, n'êtoit pas en êtat de comprendre qu'on ne peint pas une Tempête des mêmes couleurs qu'une Bataille; & qu'il faut d'autres nuances pour l'Elifée que pour le Tartare. Mais quelque variété, que la différence des objets doive mettre dans le Stile, on n'en doit pas moins toujours & par tout le rendre rapide, en évitant ces termes oififs, qui ne forvent qu'à rallentir la marche

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