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que cet Ancien, dans le détail des régles de la Poëfie.

Ses Ennemis l'accuférent pourtant de n'avoir fait que traduire Horace; mais il fe contenta de leur répondre dans la Préface de fon Edition de 1675. qu'il les remercioit de cette accufation: Car puifque dans mon Ouvrage, dit-il, qui eft d'onze cens Vers, il n'y en a pas plus de cinquante ou de foixante imités d'Horace ils ne peuvent pas faire un plus bel éloge du refte qu'en le fupofant traduit de ce grand Poëte; & je m'étonne après cela qu'ils ofent combattre les regles que j'y débite.

REMARQUES.

tique d'Horace, & qu'il ne faut qu'un peu d'attention pour fe convaincre,que cetAuteur a fu le remplir en Poëte, dont le devoir eft d'amufer en inftruifant.Il parle auffi de beaucoup de chofes, qui ne dépendent d'aucunes des trois parties de fon plan; mais qui n'êtant pas moins utiles qu'agréables, devoient trouver place dans fon Ouvrage,après qu'il auroit fatisfait à fa principale intention. M. de Brueys avoue, qu'Horace ne fuit l'ordre qu'il s'eft prefcrit fans en avertir, qu'en le cachant; qu'il ne s'y affujétit pas même entièrement; & qu'on trouve en certains endroits des chofes qui paroî. troient mieux placées ailleurs. "Mais ajoute-t-il, qui ne fait ,, que lors qu'on écrit en vers, », cette trop grande exactitude eft quelquefois un défaut, & qu'il fuffit que dans un Poëme, il y ait en général une belle,

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œconomie qui regne dans ,, tout le corps de l'Ouvrage,,. Il eft certain qu'on auroit tort d'en exiger davantage d'un Poëte. Une attention encore qu'il faut faire, c'eft que l'Art Poëtique d'Horace n'eft pas un Poëme en forme, mais une fimple Epitre, dans laquelle un ordre trop fuivi feroit pluftôt un défaut qu'une beauté. Les Epitres en Vers n'êtant qu'une imitation travaillée de ce que les Lettres font en profe; il eft certain que pour être bien faites, elles doivent toujours avoir au moins une légère emprainte du défordre de la Converfation, dont les Lettres font l'image.

M. de Brueys continue immédiatement après ce que je viens de rapporter de lui. Comme

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j'ofe croire que tout le monde fera en ceci de mon fentiment, ,, je m'imagine qu'on aura un extrême regret de voir que ce

Dans le premier Chant de ce Poëme, l'Auteur donne des régles générales pour la Poëfie. Mais ces régles n'apartiennent pas fi proprement à cet Art, qu'on ne puiffe auffi les pratiquer utilement dans les autres genres d'écrire. Il les interrompt par une courte Digreffion fur l'Hiftoire de la Poefie Françoise depuis Villon jufqu'à Malherbe. (5) Le fecond Chant, le plus varié de tous contient les Caractères & les Règles de l'Idille ou Eglogue, de l'Elégie, de l'Ode, du Sonnet, de l'Epigramme, du Rondeau, de la Ballade, du Madrigal, de la Satire, & du Vaudeville. Le troifiéme Chant expofe de même les Caractères &les Règles de la Tragédie, de l'Epopée & de la Comédie. C'eft le plus beau de tous, foit pour l'importance du fujet, foit pour la manière dont

l'Auteur l'a traité.

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REMARQUES.

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», prétendu défaut d'œconomie dans ce Poëme d'Horace ait , porté un de nos plus fameux Poëtes à nous donner un Art ,, Poëtique effectivement fans ordre, quoique d'ailleurs admirable en toutes manières M. Broffette ne pouvoit pas être démenti plus formellement au fujet de l'avantage, qu'il attribuë à M. Defpréaux fur Horace; & le malheur eft qu'on ne peut pas accufer M. de Brueys d'avoir toutà-fait tort.

Son Ouvrage fut imprimé pour la première fois à Paris en 1683. & je ne trouve nulle part que M. Defpréaux ait témoigné le moindre reffentiment du reproche

qu'il y reçoit. Ce n'êtoit affurément point fa modeftie, qui lui faifoit rejetter la loüange, que M. Broffette dit un peu trop légèrement qu'on lui pouvoit donner. Le défordre,qui regne dans l'Art Poët. êtoit vraisemblablement cet endroit fatal d'Achille, que fes ennemis avec toute leur malice n'avoient jamais pu trouver; qu'il ne vouloit point dire luimême, & qu'il laiffoit aux autres à deviner. Voïés le Bolaana, Nomb. CXIII.

(5) Le fecond Chant &c.] Ce qui fuit jufqu'à la fin, est compofé des Notes préliminaires de M. Broffette fur le fecond, le troifiéme, & le quatriéme Chants,

Dans le quatriéme Chant il revient aux Pré ceptes généraux. Il s'attache à former les Poetes, & leur donne d'utiles inftructions fur la connoiffance & l'usage des divers talens, fur le choix d'un Cenfeur éclairé, fur leurs mœurs, fur leur conduite particulière. Détail, où les Ecrivains do tout genre peuvent trouver à profiter. L'Auteur parle enfuite par forme de digreffion de l'origine de la Poefie, de fes progrès, de fa perfection & de fa décadence. Enfin il termine fon Ouvrage Far l'Eloge du Roi, dont il exhorte tous les Poëtes à chanter les grandes actions & les vertus.

Ce qui donne un prix confidérable aux Poëfies de M. Defpréaux, c'est que (6) les Préceptes même y fervent d'Exemples. Ce qui, vrai de beaucoup d'endroits de fes Ouvrages, l'est encore plus du feconde du troifiéme Chant de l'Art Poëtique, dans lesquels il a fu varier fon Stile avec tant d'Art & d'habileté, qu'en parcourant les différentes efpèces de Poëmes, il emploie prefque par tout le Stile, qui convient à cha cun en particulier.

REMARQUES.

(6) Les Préceptes même y ferwent d'Exemples. ] M. de La Motte donne cette louange à nô

tre Poëte, dans une des Stances
par lesquelles il lui dédie fon
ODE fur la variété.

DESPRE AUX, c'est à toi que je dois ces maximes;
Juge fi je fuis bien tes loix.

Dès longtems j'ai cherché dans tes Ecrits fublimes
La Regle & l'Exemple à la fois,

L'ART POËTIQUE.

CHANT

PREMIER.

C'EST

en vain qu'au Parnaffe un temeraire Auteur Penfe de l'Art des Vers atteindre la hauteur.

REMARQUES.

VERS 1. & 2. C'est en vain qu'au Parnaffe un téméraire Auteur Penfe de l'Art des Vers atteindre la hauteur. On ne peut être Poëte fans génie. ZENOBIE Tragédie en Profe de l'Abbé d'Aubignac, pour être conforme en tout aux loix, qu'il avoit établies luimême dans fa Pratique du Théa. tre, n'en fut pas trouvée meilleure. Comme il fe vantoit d'avoir feul entre tous nos Auteurs exactement suivi les Règles d'ARISTOTE; Je fais bon gré à M. L'Abbé D'AUBIGNAC,dit le GRAND CONDE', d'avoir fuivi les Règles d'ARISTOTE, mais je ne pardonne pas aux Règles d'ARISTOTE d'a

voir fait faire une fi mauvaise Tragédie à M. l'Abbé D'AUBIGNAC. On n'avoit pas fait plus de cas d'Alinde, que La Ménardière cite dans fa Poëtique, comme l'aïant aflervie toute la rigueur des Règles. Quelqu'un voulant un jour, par cet exemple, prouver à M. Defpréaux, que les Règles font donc inutiles; il répondit, que La Ménardière avoit péché dans fa Tragédie contre la première & la plus effentielle de toutes les Règles, laquelle eft d'avoir le génie de la Poëfie. Il êtoit fi plein de cette maxime, qu'il en a fait la bafe de fon Art Poëtique,

S'il ne fent point du Ciel l'influence fecrette,
Si fon Aftre en naiffant ne l'a formé Poëte,
5 Dans fon genie eftroit il eft toûjours captif.
Pour luy Phébus eft fourd, & Pégaze eft retif.

O vous donc, qui brûlant d'une ardeur perilleuse,
Courez du bel Efprit la carriere épineuse,

N'allez pas fur des Vers fans fruit vous confumer, 10 Ni prendre pour genie un amour de rimer.

REMARQUES.

Mais le Génie ne fait pas feul & perfectionne le Génie. Horace le Poëte, il faut que l'Art guide l'a dit dans fon Art Poët. V. 398, Natura fieret laudabile carmen an arte

Quæfitum eft. Egonec ftudium fine divite vend,
Nec rude quid profit video ingenium: alterius fic
Altera pofcit opem res, & conjurat amicè.

Je ne fais fi M. Defpréaux n'au-
roit pas mieux fait de fonder
tout fon Art Poëtique fur la pen-
fée entière d'Horace, que de
n'en emploïer qu'une partie. Le
premier Précepte qu'il donne,
c'eft qu'il faut confulter long-tems
fon efprit & les forces; & c'eft un
Précepte qu'on n'eft en êtat de
pratiquer, qu'autant qu'on eft
bien inftruit des moïens, que
l'Art fournit pour mettre heu-
reufement en œuvre le Gé-
nie.

Desmarêts dans fa Défense du
Poeme Héroïque, &c. imprimée à
Paris in-4°. en 1675. page 77. &
Pradon dans fes Nouvelles Remar.
ques fur les Oeuvres du Sieur D***

imprimées in-12. fous le faux
nom de la Haye en 1685. page
84. difent que cette Expreffion
la hauteur d'un Art n'eft pas Fran-
çoife. Bien des gens le penfe-
font encore avec raifon. Dans
le cours de ces Remarques j'au-
rois quelquefois occafion de citer
les deux Ouvrages, que je viens
d'annoncer, & je me conten-
terai d'en nommer fimplement
la page à côté du nom de Pra-
don ou de Desmarêts.

IMIT. Ibid. de l'Art des Vers atteindre la hauteur. ] Cette Expreffion eft plus qu'imitée de La Frefnaie Vauquelin, qui dit en parlant de VIRGILE, Art Poëtique, Liv. I.

En l'Epique tu peux fuivre ce brave Auteur
Nul ne peut en fa langue atteindre à sa hauteur.

IMIT. Vers 6. Pour luy Phébus
eft fourd Pégaze eft retif.]

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HORACE a dit, Art Poëtique,
Vers 375.

Tu nihil invita dices, faciesve Minerva,

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