Page images
PDF
EPUB

«témise et de Platée. » Il se garde bien de dire: << Ceux qui ont vaincu. » Il a soin de taire l'événement qui avoit été aussi heureux en toutes ces batailles, que funeste à Chéronée, et prévient même l'auditeur en poursuivant ainsi : « Tous ceux, Ô Eschine, qui sont péris en ces rencontres, ont été << enterrés aux dépens de la république, et non pas << seulement ceux dont la fortune a secondé la va« leur 1. »

[ocr errors]

CHAPITRE XV.

(SECTION XVII.)

Que les figures ont besoin du sublime pour les soutenir.

Il ne faut pas oublier ici une réflexion que j'ai faite, et que je vais vous expliquer en peu de mots. C'est que si les figures naturellement soutiennent le sublime, le sublime de son côté soutient merveilleusement les figures. Mais où et comment? C'est ce qu'il faut dire.

En premier lieu, il est certain qu'un discours où les figures sont employées toutes seules est de soimême suspect d'adresse, d'artifice et de tromperie, principalement lorsqu'on parle devant un juge sou

I Ce passage de Démosthène est également cité avec éloge par Plutarque, dans son petit traité de la gloire des Athéniens.

2 Il falloit dire, comme le texte, que le style sublime emprunte des figures l'éclat et le secours qu'il leur prête, ovupaɣeï.

[ocr errors]

verain, et sur-tout si ce juge est un grand seigneur, comme un tyran, un roi, ou un général d'armée; car il conçoit en lui-même une certaine indignation contre l'orateur, et ne sauroit souffrir qu'un chétif rhétoricien entreprenne de le tromper, comme un enfant, par de grossières finesses. Il est même à craindre quelquefois que, prenant tout cet artifice pour une espèce de mépris, il ne s'effarouche entièrement ; et bien qu'il retienne sa colère et se laisse un peu amollir aux charmes du discours 2, il a tou

I

Le texte dit: To rexvíte púropos, « un orateur, qui ne connoît « que le matériel de l'art. »

[ocr errors]

2 Tout cela ne se trouve pas dans le grec. Je pense que notre auteur veut dire que, quand le juge auroit même assez de force et de prudence pour retenir sa colère, et ne la pas faire éclater, il s'opiniâtreroit néanmoins à rejeter tout ce que l'orateur lui pourroit dire. (TOLL.) - Ce que Tollius pense est en effet ce que Longin veut dire; et par conséquent cet endroit, en remontant au commencement de l'alinéa, me paroît devoir être traduit ainsi : « C'est se rendre extrêmement suspect, et faire croire qu'on a de « mauvaises intentions et qu'on veut tendre des pièges, ou sur«prendre par de faux raisonnements, que d'employer par-tout «les figures, quand on adresse la parole à des juges qui sont « maîtres de décider à leur gré, mais sur-tout à des tyrans, à des «rois, à des généraux d'armée, à des personnes qui remplissent les premiers postes. Car les juges supportent impatiemment "qu'un déclamateur maladroit les trompe comme des enfants « sans raison; et, prenant les faux raisonnements pour des preu«ves du mépris qu'il fait d'eux, ils s'effarouchent quelquefois « tout-à-fait ; et, s'ils renferment leur colère, ils se refusent abso« lument à ce qu'il dit pour les persuader. C'est pourquoi la meilleure figure est celle qui ne paroît pas être figure. Ainsi le sublime « et le pathétique sont un remède et comme un secours merveilleux contre ce que l'usage des figures peut avoir de suspect; et

[ocr errors]

jours une forte répugnance à croire ce qu'on lui dit. C'est pourquoi il n'y a point de figure plus excellente que celle qui est tout-à-fait cachée, et lorsqu'on ne reconnoît point que c'est une figure. Or il n'y a point de secours ni de remède plus merveilleux pour l'empêcher de paroître, que le sublime et le pathétique, parceque l'art, ainsi renfermé au milieu de quelque chose de grand et d'éclatant, a tout ce qui lui manquoit, et n'est plus suspect d'aucune tromperie. Je ne vous en saurois donner un meilleur exemple que celui que j'ai déja rapporté : « J'en jure « par les månes de ces grands hommes, etc. » Comment est-ce que l'orateur a caché la figure dont il se sert? N'est-il pas aisé de reconnoître que c'est par l'éclat même de sa pensée? Car comme les moindres lumières s'évanouissent quand le soleil vient à éclairer, de même toutes ces subtilités de rhétorique disparoissent à la vue de cette grandeur qui les environne de tous côtés. La même chose à-peu-près arrive dans la peinture. En effet, que l'on colore plusieurs choses 1 également tracées sur un même plan, et qu'on

"

[ocr errors]

I

quand on n'emploie ces dernières que dans les choses qui sont

grandes et pathétiques par elles-mêmes, leur artifice échappe à « la vue et ne fait naître aucun soupçon.» (S. M.)

I

VAR. Première manière: «En effet, qu'on tire plusieurs li« gnes parallèles sur un même plan, avec les jours et les ombres, <«< il est incertain, etc. » (BROSS.) - L'une et l'autre manière rend la pensée de Longin, et ne la traduit pas. Reprenons la phrase précédente, et ne nous permettons que ce qu'il faut pour être intelligible. « Et peut-être arrive-t-il quelque chose d'à-peu-près « semblable dans la peinture: car quoique les ombres et les

y mette le jour et les ombres; il est certain que ce qui se présentera d'abord à la vue ce sera le lumineux, à cause de son grand éclat, qui fait qu'il semble sortir hors du tableau, et s'approcher en quelque façon de nous. Ainsi le sublime et le pathétique, soit par une affinité naturelle qu'ils ont avec les mouvements de notre ame, soit à cause de leur brillant, paroissent davantage, et semblent toucher de plus près notre esprit que les figures dont ils cachent l'art, et qu'ils mettent comme à couvert.

[ocr errors]

CHAPITRE XVI.

(SECTION XVIII.)

Des interrogations.

Que dirai-je des demandes et des interrogations1? car qui peut nier que ces sortes de figures ne don

« clairs, marqués par les couleurs, soient couchés à côté les uns des autres sur la surface plane d'un même tableau, nos yeux cependant sont d'abord frappés des clairs, qui paroissent, non « seulement s'élever au-dessus des ombres, mais être beaucoup plus près de nous. C'est par la même raison que, dans le dis

[ocr errors]

« cours, le sublime et le pathétique, qui sont, pour ainsi dire, plus proche de notre ame, et par une certaine affinité naturelle, et par leur éclat, se font toujours apercevoir avant les figures, < dont ils offusquent l'artifice, en les laissant comme cachées dans l'ombre. » (S. M.)

Je crois que, des questions et des interrogations auroit été plus conforme au langage des rhéteurs. « Quid tam commune

2

« dit Quintilien, liv. IX, ch. 11, quam interrogare vel percontari?

[ocr errors]
[ocr errors]

nent beaucoup plus de mouvement, d'action et de force au discours?« Ne voulez-vous jamais faire autre chose, dit Démosthène aux Athéniens, qu'aller la ville vous demander les uns aux autres: par « Que dit-on de nouveau? Hé! que peut-on vous ap« prendre 1 de plus nouveau que ce que vous voyez? « Un homme de Macédoine se rend maître des Athéniens, et fait la loi à toute la Grèce. Philippe est-il << mort? dira l'un. Non, répondra l'autre, il n'est que « malade. Hé! que vous importe, messieurs, qu'il

[ocr errors]

« Nam utroque utimur indifferenter, cum alterum noscendi, al« terum arguendi gratia videatur adhiberi. At ea res utrocumque « modo dicatur, etiam habet multiplex Schema..... simplex est sic << rogare:

[ocr errors]

Sed qui vos tandem? quibus aut venistis ab oris?

Figuratum autem, quoties non sciscitandi gratia assumitur, sed <«< instandi:... Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nos« tra?.. Quanto enim magis ardet, quam si diceretur? Diu abu«<teris patientia nostra.... Interrogamus etiam quod negari non possit Aut ubi respondendi difficilis est ratio; ... Aut invidiæ gratia; ... Aut miserationis; ... Aut instandi, et auferendæ dissi«<mulationis: ... Totum hoc plenum est varietatis; nam indigna<< tioni convenit: ... et admirationi: ... Est interim acrius impe

[ocr errors]
[ocr errors]

46

...

randi genus: ... Et ipsi nosmet rogamus; Cæterum et interrogandi se ipsum, et respondendi sibi, solent esse non ingratæ « vices; Et aliis modis, tum brevius, tum latius; tum de una «re, tum de pluribus. »

1 M. Despréaux suit le texte de Manuce. Voici, selon la première édition et les MSS., ce que Démosthène dit dans Longin: << Eh! que sauroit-il y avoir de plus nouveau, qu'un homme de Macédoine, qui fait la guerre à toute la Grèce ? » Il ne s'agit point de traduire Démosthène, mais Longin, qui cite de mémoire, ou qui resserre exprès les passages qu'il rapporte. (S. M.)

[ocr errors]
« PreviousContinue »