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droits de l'homme et l'abolition de l'esclavage dans toute la colonie.

S IV.

Jusqu'à l'indépendance entière de Saint-Domingue..

Depuis long-temps les colons n'avaient cessé de réclamer l'appui de l'Espagne, et surtout des Anglais auxquels ils s'engageaient delivrer la colonie (1); les difficultés avaient jusqu'ici arrêté l'ambition britannique; mais à la nouvelle des derniers revers et à la sollicitation réitérée des colons, des troupes anglaises leur sont accordées; elles arrivent à SaintDomingue en septembre 1793, et sont reçues au Môle, à la Grande-Anse et à Jérémie dont elles prennent possession au nom de S. M. britannique. Là, les Anglais signèrent un traité avec les colons, par lequel ils s'engageaient à maintenir l'esclavage dans la colonie, pendant que d'un autre côté et dans la province du sud, ils fournissaient aux nègres insurgés des munitións de guerre et les excitaient à conquérir leur indépendance totale de la France.

A l'instigation des Anglais, le Port-au-Prince s'insurgea contre les commissaires ; le Port-au- Prince fut attaqué, les insurgés capitulèrent, et les troupes françaises reprirent possession de la ville. Voilà les Anglais, voilà les colons de Saint-Domingue.

Plusieurs gouverneurs s'étaient succédés sous la nouvelle administration, et jusque-là, la bonne intelligence avait présidé aux relations. Lassale fut le premier qui crut pouvoir destituer les commissaires civils de qui il tenait son autorité; les commissaires triomphèrent, et Lassale passa chez l'ennemi, pendant que les commissaires eux-mêmes, peints par la faction coloniale sous les couleurs les plus horribles, étaient rappelés en France pour y rendre compte de leur conduite.

(1) Voy. Faits hist. sur S.-Dom., par Grouvel, ancien gérant de S.-Domingue,

C'est dans ces circonstances que le général Meynot de Lave aux fut nommé gouverneur provisoire de la colonie. La première mesure de son gouvernement fut d'en transporter le siége au Port-de-Paix. Cette ville où l'on pouvait le plus facilement obtenir des vivres du pays, était très-peu fortifiée, et semblait plus directement menacée par l'ennemi. Le gouverneur sentit l'importance de mettre par des fortifications la ville à l'abri d'une attaque imprévue; elles s'élevèrent avec une rapidité extraordinaire. Chaque jour, luimême à la tête des pionniers donnait l'exemple du travail; s'il quittait un instant les travaux, c'est qu'à la tête de ses troupes il battait l'ennemi. Plusieurs places livrées aux Anglais, rentrèrent successivement en son pouvoir, et ses succès ne connurent d'obstacle que le manque de munitions de guerre.

D'un autre côté, le général avait su inspirer aux nègres une confiance sans bornes; il était même parvenu à les employer avec succès dans plusieurs affaires. Au milieu des soins du commandement, il s'occupait à les éclairer, à les instruire. Déjà plusieurs réglemens provisoires avaient été faits maintenir entre eux cette salutaire harmonie, la pour sauve-garde des états. Tout, sous son administration prenait une face nouvelle; cependant ses soins furent inutiles:la colonie devait périr.

«Notre position était des plus difficiles; nous restions dans l'inaction, dit l'auteur d'un rapport inédit sur Saint-Domingue, dont je me plais à rapporter ici les paroles (1), ne pouvant nous procurer de munitions, pendant que les lâches

(1) Presque tout ce chapitre est pris d'un rapport officiel et inédit fait au comité de salut public en l'an 3 ( 30 novembre 1794), sur l'état de la colonie sous l'administration provisoire du général Meynot de Laveaux, par Guadet (St.-Julien), chef de bataillon au 16e régiment d'infanterie. Les détails qu'il renferme me paraissent pour la plupart si curieux que je crois pouvoir en pré- ́ senter certains avec quelques développemens.

habitans du Borgne corrompaient, à force d'argent, quelques troupes que nous avions dans leur quartier, et se livraient aux Espagnols. Cette perfidie nous devenait d'autant plus sensible, qu'elle nous coupait toute communication avec le Cap..... La trahison mit également au pouvoir de l'ennemi le fort Dauphin, que les fortifications et le nombre des troupes qu'il renfermait, rendaient presque imprenable aux yeux du général et pour nous soutenir contre tant de calamités, nous n'avions plus de munitions, nos vivres allaient nous manquer; depuis quatre mois nous étions réduits à six onces de pain, et le moment arriva où il fallut réserver le peu de farine qui nous restait pour des êtres plus malheureux que nous, nos malades.

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« Le général rassembla les troupes, et leur fit part de sa résolution; il leur dit que prévoyant depuis long-temps la disette, il avait pris toutes les précautions pour les faire subsister avec les vivres du pays, qu'il donnerait toujours l'exemple de la sobriété en continuant à se nourrir comme le soldat. « C'est, ajouta-t-il, dans un moment aussi cri›tique que celui où nous nous trouvons, qu'un vrai citoyen » doit s'imposer toute espèce de privations. Quant à moi, je » déclare que quelle que soit notre misère, je ne capitulerai jamais avec les ennemis de la république. En quelque > temps qu'elle nous envoie des secours, elle me trouvera » à mon poste, ou elle saura que j'y suis mort en méritant >> l'estime de mes concitoyens.

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Ces paroles retentirent dans le cœur de tous les soldats : tous, s'écrièrent que la mort n'était rien pour des hommes habitués à la donner, et que leur chef ne serait pas le seul à faire le sacrifice de sa vie. « Si l'un de nous échappe disaient-ils, qu'il apprenne à nos parens, à nos représentans, que 1,600 hommes dénués de tout, ont dans » toutes les occasions prouvé à l'ennemi que le nombre n'est » rien lorsque les républicains les combattent. Ils appren

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dront, avec intérêt sans doute, le serment que nous avons fait, et que nous renouvelons ici, que jamais le poste qui » nous est confié ne sera aux Anglais, que lorsque le der» nier de nous sera mort sur le champ de bataille, »

« Il faut avoir vu la sublimité de ce dévouement pour en avoir l'idée. Aucune expression ne peut en rendre la beauté. »

» Le général lui-même, enfermé avec les débris de soņ armée dans le Port-de-Paix, entouré de besoins et d'ennemis, selon l'expression d'un de ses compagnons d'armes (1), s'exprimait avec une égale énergie, dans le compte qu'il rendait aux commissaires, le 24 mai.

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Depuis plus de six mois nous étions réduits, officiers » et soldats, à six onces de pain par jour; mais depuis le 13 » de ce mois, qui que ce soit n'en a, excepté les malades à l'hôpital.... Si nous avions de la poudre nous serions con» solés de tout.... Nous n'avons en magasin, ni souliers, ni » chemises, ni vêtemens, ni savon, ni tabac, etc. La majo» rité des soldats viennent à la garde les pieds mus, comme » les Africains; nous n'avons seulement pas une pierre à fusil » à donner aux soldats; malgré cela, soyez bien assurés, et je vous le jure au nom de l'armée républicaine, que jamais » nous ne nous rendrons, que même jamais nous ne.capi» tulerons; que les ennemis, après noús, n'auront pas la » moindre trace du Port-de-Paix; plutôt que d'être faits pri sonniers, quand tout sera réduit au Port-de-Paix, par les

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(1) V, Mémoires pour servir à l'histoire de la révolution de S.-Domingue, par le lieutenant-général Pamphile de la Croix,-Monsieur le général Pamphile de la Croix a fait un livre pour prouver que c'est à un concours de circonstances étrangères qu'il faut rapporter les maux de Saint-Domingue. Sans doute des circonstances, étrangères à la France ont amené les maux et l'affranchissement de Saint-Domingue ; mais ce n'est pas dans le sens de ceux qui voyaient la France au-delà du Rhin, teSt.-Domingue dans quelques colons, que peut être entendue cette phrase.

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boulets, que nous n'aurons plus rien pour nous défendre, »> nous nous retirerons de morne en morne, sans cesse nous » battant, jusqu'à ce que les secours de France soient ar>> rivés. >>

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Cependant continue le rapport, on aperçoit un petit bâtiment avec pavillon français, se dirigeant sur notre port; de toutes parts on court au bord de la mer, dans l'espoir d'apprendre quelques nouvelles de la république. Le capitaine parti de la Nouvelle-Angleterre, nous dit que la France était victorieuse sur tous les points; à ces mots, on l'emporte au palais du gouverneur, en lui faisant répéter cent fois les mêmes expressions. Long-temps toute notre sollicitude se porta sur les succès de notre patrie; mais enfin, vint le moment de savoir s'il apportait quelques provisions; il en avait à peine à nous céder; mais il repartit le même jour pour les Etats-Unis, d'où nous reçûmes bientôt des vivres. >

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Cependant les vivres ne suffisaient pas, et le général se décida à envoyer en France, afin de hâter l'envoi des munitions nécessaires à la conservation de la colonie. L'officier chargé de cette mission peignit les restes mutilés d'une armée fidèle, luttant avec constance contre les besoins de toute espèce, et la perfidie plus fatale encore que les besoins. A cette époque, les appointemens étaient dus depuis deux ans à toute la troupe européenne qui manquait absolument de tout, et dont les maladies et les combats diminuaient chaque jour le nombre; l'Anglais n'y avait que six vaisseaux; les Espagnols, sept: et même n'existait-il aucun accord entre eux; jamais ils ne s'étaient réunis ; il était donc encore permis d'espérer que la France pourrait conserver ses possessions à St.-Domingue. L'envoyé ne demandait que des députés aimés des noirs; une division de cinq à six vaisseaux, cinq à six mille hommes de troupes et de munitions. « Il est de la dernière importance, portait le rapport en terminant, que l'expédition ne se dirige que sur le Cap ou le Port-dePaix. Les opérations doivent être conduites par un homme

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