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au comté de Poitou. Le second voyage en Afrique fut encore plus funeste que le premier. La France y perdit le plus pieux et le plus grand de ses rois, et Alphonse mourut à son retour, au château de Cornetto en Italie, le 21 août 1271, sans postérité.

Ce prince aimait le séjour de Poitiers, il y passait le temps dont il pouvait disposer, il y fit même plusieurs réglemens religieux et politiques. S'il en faut croire Bouchet qui parle comme d'une chose qui était presque de son temps, Alphonse en mémoire des persécutions que les infidèles faisaient souffrir aux chrétiens dans la Syrie, ordonna qu'à la procession qu'on ferait de l'église cathédrale à Saint-Cyprien, hors les murs de la ville, le crieur de la ville jetterait contre la châsse où l'on prétendait qu'était la barbe de saint Pierre, un vaisseau de terre rond plein de vin; si le vase touchait à la chasse et se brisait contre elle, on donnait à celui qui l'avait jeté la valeur de tout ce qu'il mouillerait de ladite châsse, mais en même temps on excommuniait le personnage adroit à qui on donnait de l'argent. Voulant qu'on entendit par ce mystère, dit Bouchet, la persécution que les infidèles font aux chrétiens, con– tre lesquels ils jettent le verre luisant de l'orgueil, aisé à casser et abattre, et le vin d'injures et d'opprobres par lesquels ils gagnent à Dieu les ames de ceux qu'ils persécutent, et néanmoins lesdits per— sécuteurs sont damnés et bannis de la sainte église. Il ajoute que depuis quelque temps cette cérémonie avait été abolie. On croira peut-être que c'est parce que personne ne voulait jeter le vase et se charger de l'anathème: non, c'était parce que les curieux qui la voyaient donnaient aux bonnes personnes plusieurs scandales et occasions de pécher. Les choses ne se passaient plus avec décence. Ceux qui savent la singularité des processions établies à Aix, et de quantité d'autres cérémonies où nos pères trouvaient une piété mystérieuse, ne verront rien d'extraordinaire dans celle-ci. On ne saurait contester au comte de Poitiers beaucoup de goût pour les lettres, et en particulier pour la poésie provençale, qui brillait alors et qui disparut quelque temps après. Il avait emmené à sa suite

plusieurs beaux esprits dans ses deux voyages en Orient; l'histoire en nomme quelques-uns, et entr'autres Rutebœuf, auteur de plusieurs de ces contes, auxquels on donnait le nom de fabliaux. Les Plaintes de la Terre-Sainte de cet ancien poète sont adressées au roi et à notre comte de Poitiers. Entr'autres monumens qui nous restent de ce prince, le P. Le Long dans sa Bibliothèque de France, nomb. 12,638, cite un recueil manuscrit qui était conservé dans la bibliothèque de MM. Godefroy, avec ce titre : Registrum plurium litterarum Alphonsi, comitis pictaviensis ab anno 1263 ad annum 1266, in-4°.

(Voyez le nombre cité de la Bibliothèque du P. LE LONG ;la Bibliothèque de DU VERDIER, verbo Rutbœuf, p. 1115; le P. ANSELME, Généalogie de la Maison de France; - Annales d'Aquitaine de BOUCHET, partie IV, p. 175; - CATEL, Histoire des comtes de Toulouse, et nos historiens sous le règne de saint Louis.

AMMONIUS ANASTASIUS, est un des professeurs, dont parle Ausone dans le recueil qu'il en a fait. Il quitta Bourdeaux sa patrie, où il enseignait la grammaire, pour aller la professer à Poitiers, où il y avait des écoles publiques, ainsi qu'à Bourdeaux. Il paraît que le chagrin de se voir éclipsé à Bourdeaux, et l'espérance de briller à Poitiers le déterminérent à ce changement: mais il ne fit point la fortune qu'il comptait faire, pas même du côté du bel-esprit. Il avait l'humeur peu sociable, on l'abandonna. Il vieillit à Poitiers, et y perdit sur la fin de ses jours le peu de réputation qu'il s'y était faite, et mourut dans un état très inférieur à la médiocrité, et pour rendre les expressions d'Ausone par celles d'un de nos poëtes:

Pauvre, et n'étant vêtu que de simple bureau,

Passant l'été sans linge, et l'hyver sans manteau.

Sa mort arriva vers la fin du quatrième siècle, ou au commencement du cinquième.

Les vers d'Ausone acheveront de faire connaître notre

Grammairien :

Pange et Anastasio,

Flebile Musa melum ;

El memora tenuem,
Nonia, Grammaticum.
Burdigala hunc genitum
Transtulit ambitio,

Pictonicæque (Urbi) dedit;
Pauper ubi, et tenxem
Victum habitumque colens,
Gloriam exilem,

Et Patrice, et Cathedræ

Perdidit in Senio.

Doctrinâ exiguus,

Moribus implacidis,

Proindè, ut erat meritum,
Famam habuit tenuem.

Sed tamen, elc.

(AUSONE, p. 168 de l'édition de Tollius, in-8°.)

Je ne sais sur quoi le même Tollius s'est fondé dans cette édition, ad usum Delphini, de faire deux personnes d'Ammonius Anastasius, comme si Anastasius n'eût pas été le même qu'Ammonius. Albert Fabricius a relevé cette erreur dans sa Bibliothèque de la moyenne et basse latinité.

ANONYME (850). Il nous reste d'un anonyme, que dom Rivet soupçonne être un moine de l'abbaye de Charroux en Poitou, une pièce latine sur la mort de Hugues (1), fils naturel de Charlemagne, et abbé de Saint-Bertin et de SaintMédard. Ce prince, quoique abbé, s'était engagé dans les guerres civiles d'entre Pépin et Charles le Chauve, ses neveux. Il y fut tué le 13 juin 844. Notre anonyme composa sur ce triste événement une espèce de vaudeville, dont le mérite

(1) Il était frère de Dreux, évêqué de Metz, et l'un et l'autre fils de Regine, ou Reine, maîtresse de Charlemagne, dont la tendresse fit peut-être donner ce nom à celle qui en était l'objet.

n'est pas supérieur à ce que nous avons de plus méprisable en ce genre, mais auquel plus de neuf cents ans de distance concilie quelque sorte de respect. Cette chanson, à laquelle le peuple donnerait aujourd'hui le nom de complainte, était composée de sept strophes ou couplets, et chaque couplet de six sortes de vers, si l'on veut honorer de ce nom une prose dont le nombre des syllabes ajusté à l'air sur lequel elle se chantait, faisait apparemment tout le mérite. Le dernier vers est adonique. Tout ce qu'on y apprend, c'est qu'Hugues avait été moine de Charroux, y avait été élevé au sacerdoce, et qu'il avait été tué dans le parti de Charles le Chauve. Les derniers éditeurs du Gallia christiana, t. V, Ire partie, ont donné la pièce entière. Nous imiterons dom Rivet, en ne donnant que la première strophe; elle est ainsi copiée :

IoI dulce nomen,

Hug. propago nobilis,
Ac sereni principis,
Insons sub armis,

Tum repentè soncius (1)
Occubuisti.

M. l'abbé le Bœuf, qui a publié cette même pièce, en fait honneur à Angelbert, l'un des généraux de l'armée de Lothaire. Pour pièce de comparaison, il produit un autre ancien vaudeville, où Angelbert se nomme. Il s'y agit de la célèbre journée de Fontenoy, livrée au mois de mai 841, entre les quatre fils de Louis le Débonnaire. Le dernier couplet finit ainsi :

Hoc autem scelus peractum,
Quod descripsi Rithmicè
Angelbertus ego vidi.

Dom Rivet ne pense pas qu'il soit l'auteur de la première chanson; sa raison, c'est qu'étant d'un parti opposé à Charles

(1) Fortè sontibus ou saucius.

le Chauve, il n'aurait pas pleuré la mort d'Hugues qui s'était déclaré pour ce prince; mais cette raison n'est pas sans réplique. Angelbert, en traitant la bataille de Fontenoy d'un crime consommé sous ses yeux, déteste également l'un et l'autre parti. Eh, en effet, un honnête homme pouvait-il parler autrement de ces combats, où l'on voyait toutes les horreurs des guerres civiles, le sang contre le sang lâchement conjuré? Le mérite d'Hugues, fils de Charlemagne, religieux et prêtre, victime d'un parti opposé à celui qu'Angelbert suivait, pouvait mériter ses regrets. Caton ne fut-il regretté que de ceux qui suivaient le parti de Pompée ? Je conviens avec dom Rivet que la pièce respire le goût monacal: mais c'était le goût dominant du siècle. Et celle d'Angelbert, c'est-à-dire celle qu'il a presque signée, est-elle d'un goût plus délicat ? Ce n'est pas en pareille occasion qu'on peut argumenter du style. Au reste cette discussion ne vaut pas la peine qu'on y emploierait, et le lecteur donnera la pièce à qui il voudra.

ANONYME (1148). Un anonyme du douzième siècle a voulu conserver à la postérité une partie de la vie de sainte Loubette, et l'histoire de la fondation de l'église collégiale de Saint-Pierre-le-Puellier de Poitiers. Pendant mon séjour en cette ville (1), j'ai eu communication d'un manuscrit en vélin, écrit vers le milieu du quinzième siècle, et copié sur un manuscrit d'une antiquité bien plus reculée par les ordres de Jean, duc de Berry, qui mit l'original dans sa bibliothèque. Je parlerai, dans l'article de ce prince, de sa forme et des ornemens de la couverture.

Les pièces qui composent ce manuscrit seront ici mon seul objet. La première est l'Evangile du faux Nicodème, ou les Actes de Pilate. Comme ce n'est qu'une copie qui n'a rien de commun avec la Bibliothèque du Poiton, je n'entrerai point dans la discussion de cet évangile supposé; j'en donnerai le titre dans l'article du duc de Berry. Ceux qui voudront s'instruire sur la nature de cet écrit, pourront se satisfaire dans

(1) En 1750.

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