Page images
PDF
EPUB

L'Amour ou le Temps l'a défait

Du beau vice d'être infidèle;

Il prétend d'un amant parfait
Etre devenu le modèle.

J'ignore quel objet charmant A produit ce grand changement, Et fait fa conquête nouvelle : Mais, qui que vous soyez, la belle, Je vous en fais mon compliment.

On pourrait bien, à l'aventure, Choifir un autre greluchon, Plus Alcide pour la figure, Et pour le cœur plus Céladon;

Mais quelqu'un plus aimable? non:
Il n'en eft point dans la nature;
Car, Madame, où trouvera-t-on
D'un ami la difcrétion,

D'un vieux seigneur la politesse,
Avec l'imagination,

Et les grâces de la jeunesse;
Un tour de conversation,
Sans empreffement, fans paresse,
Et l'efprit monté sur le ton
Qui plaît à gens de toute espèce ?
Et n'eft-ce rien d'avoir tâté

Trois ans de la formalité,

Dont on affomme une ambassade, Sans nous avoir rien rapporté

De la pefante gravité

Dont cent ministres font parade?

A ce portrait fi peu flatté,

Qui ne voit mon Alcibiade?

VARIANTES.

(a) M. le maréchal de Richelieu.

Alcibiade me l'ordonne :

C'eft l'Alcibiade français,
Dont vous admiriez le fuccès,
Chez nos prudes, chez nos coquettes,
Plein d'efprit, d'audace et d'attraits,
De vertus, de gloire et de dettes.
Toutes les femmes l'adoraient;
Toutes avaient la préférence;
Toutes à leur tour fe plaignaient
Des excès de fon inconftance,
Qu'à grand' peine elles égalaient.
L'amour, &c.

[ocr errors]

EPITRE XX VII.

AUX MANES DE M. DE GENONVILLE.

[ocr errors]

I 729.

que le Ciel jaloux ravit dans fon printemps ; Toi de qui je conferve un fouvenir fidèle,

Vainqueur de la mort et du temps;
Toi dont la perte, après dix ans,

M'eft encore affreuse et nouvelle ;

Si tout n'est pas détruit, fi, fur les fombres bords,
Ce fouffle fi caché, cette faible étincelle,

Cet efprit, le moteur et l'efclave du corps,

Ce je ne fais quel fens qu'on nomme ame immortelle,
Refte inconnu de nous, eft vivant chez les morts;
S'il eft vrai que tu fois, et fi tu peux m'entendre,
O mon cher Genonville! avec plaifir reçoi
Ces vers et ces foupirs que je donne à ta cendre,
Monument d'un amour immortel comme toi.
Il te fouvient du temps où l'aimable Egérie,
Dans les beaux jours de notre vie,
Ecoutait nos chansons, partageait nos ardeurs.
Nous nous aimions tous trois. La raison, la folie,
L'amour, l'enchantement des plus tendres erreurs,
Tout réuniffait nos trois cœurs.

Que nous étions heureux! même cette indigence,
Trifte compagne des beaux jours,

Ne put de notre joie empoifonner le cours.

Jeunes, gais, fatisfaits, sans soins, fans prévoyance, Aux douceurs du présent bornant tous nos défirs, Quel befoin avions-nous d'une vaine abondance ? Nous poffédions bien mieux, nous avions les plaifirs!

Ces plaifirs, ces beaux jours coulés dans la molleffe,
Ces ris, enfans de l'alégreffe,

Sont paffés avec toi dans la nuit du trépas.
Le Ciel, en récompenfe, accorde à ta maîtreffe
Des grandeurs et de la richeffe,

Appuis de l'âge mûr, éclatant embarras,
Faible foulagement, quand on perd sa jeunesse.
La fortune eft chez elle où fut jadis l'amour.
Les plaisirs ont leur temps, la fagesse a son tour.
L'amour s'eft envolé fur l'aile du bel âge;
Mais jamais l'amitié ne fuit du cœur du fage. (a)
Nous chantons quelquefois et tes vers et les miens,
De ton aimable esprit nous célébrons les charmes ;
Ton nom fe mêle encore à tous nos entretiens ;
Nous lifons tes écrits, nous les baignons de larmes.
Loin de nous à jamais ces mortels endurcis
Indignes du beau nom, du nom facré d'amis,
Ou toujours remplis d'eux, ou toujours hors d'eux même,
Au monde, à l'inconftance ardens à fe livrer,
Malheureux, dont le cœur ne fait pas comme on aime,
Et qui n'ont point connu la douceur de pleurer!

VARIANTES.

[ocr errors]

(a) Ce dernier à mon cœur aurait plu davantage :
Mais qui peut tout avoir? Les foirs, le vieux Saurin
Qu'on ne peut définir, ce critique, ce fage
Qui des vains préjugés foule aux pieds l'esclavage,
Qui m'apprend à penfer, qui rit du genre humain,
Réchauffe entre nous deux les glaces de fon âge.
De fon efprit perçant la fublime vigueur
Se joint à nos chanfons, aux grâces du Permeffe ;
Des nymphes d'Apollon le commerce enchanteur
Déride fur fon front les traits de la fageffe.
Nous chantons quelquefois, &c.

EPITRE

X X VIII.

Connue fous le nom des Vous et des Tu. (1)

PHILIS, qu'eft devenu ce temps

Où dans un fiacre promenée,
Sans laquais, fans ajuftemens,
De tes grâces feules ornée,
Contente d'un mauvais foupé
Que tu changeais en ambrosie,
Tu te livrais dans ta folie
A l'amant heureux et trompé
Qui t'avait confacré sa vie?
Le ciel ne te donnait alors,
Pour tout rang et pour tous tréfors,
Que les agrémens de ton âge; (a)
Un cœur tendre, un efprit volage,
Un fein d'albâtre et de beaux yeux.
Avec tant d'attraits précieux',

( 1 ) Cette épître a été adreffée à mademoiselle de L**, alors madame la marquise de G***. C'est d'elle que parle M. de Voltaire dans son épître à M. de Genonville, dans l'épître adreffée à fes manes, et dans celles à M. le duc de Sulli, à M. de Gervafi. Le suisse de madame la marquise de G** ayant refuse la porte à M. de Voltaire, que mademoiselle de L** n'avait point accoutumé à un tel accueil, il lui envoya cette épître. Lorfqu'il revint à Paris, en 1778, il vit chez elle madame de G*** âgée, comme lui, de plus de quatre-vingts ans, veuve alors, et qui pouvait le recevoir fans conféquence. C'est en revenant de cette vifite qu'il disait : Ah! mes amis, je viens de passer d'un bord du Cocyte à l'autre. Madame de G*** envoya le lendemain à madame Denis un portrait de M. de Voltaire peint par Largillière, qu'il lui avait donné dans le temps de leur première liaifon, et qu'elle avait confervé malgré leur rupture, fon changement d'état et fa dévotion.

[ocr errors]
« PreviousContinue »