IL eft au monde une aveugle Déeffe (*) Dont la police a brifé les autels; C'est du Hocca la fille enchanteresse, Qui, fous l'appât d'une feinte careffe, Va féduifant tous les cœurs des mortels. De cent couleurs bizarrement ornée, L'argent en main, elle marche la nuit; Au fond d'un fac elle a la deftinée De fes fuivans que l'intérêt séduit; Guiche, en riant, par la main la conduit, La froide Crainte, et l'Espérance avide, A fes côtés marchent d'un pas timide. Le Repentir à chaque inftant la suit, Mordant les doigts et grondant la perfide. Belle Philis, que votre aimable cour A nos regards offre de différence ! Les vrais plaifirs brillent dans ce féjour, Et pour jamais banniffant l'efpérance, Toujours vos yeux y font régner l'Amour. Du Biribi la Déeffe infidelle,
Sur mon efprit n'aura plus de pouvoir; J'aime encor mieux vous aimer fans espoir, Que d'efpérer jour et nuit avec elle.
(*) Celle qui préfidait au jeu du biribi fort à la mode alors.
Tu revenais couvert d'une gloire éternelle ; Le Gevaudan (1). furpris t'avait vu triompher Des traits contagieux d'une pefte cruelle,
Et ta main venait d'étouffer
De cent poisons cachés la femence mortelle. Dans Maisons cependant je voyais mes beaux jours Vers leurs derniers momens précipiter leur cours. Déjà près de mon lit la Mort inexorable Avait levé fur moi fa faulx épouvantable: Le vieux nocher des morts à sa voix accourut. C'en était fait; fa main tranchait ma deftinée : Mais tu lui dis: Arrête ... et la Mort étonnée Reconnut fon vainqueur, frémit et disparut. (a) Hélas! fi comme moi l'aimable Genonville Avait de ta préfence eu le secours utile, Il vivrait, et fa vie eût rempli nos fouhaits; De fon cher entretien je goûterais les charmes ; Mes jours, que je te dois, renaîtraient fans alarmes,
(*) Cette épître fut imprimée à Paris, en 1726, avec une verfion latine.
(1) M. de Gervafi, célèbre médecin de Paris, avait été envoyé dans le Gevaudan pour la pefte, et à son retour il est venu guérir l'auteur de la petite vérole dans le château de Maisons, à fix lieues de Paris, en 1723.
Et mes yeux, qui fans toi fe fermaient pour jamais, Ne fe rouvriraient point pour répandre des larmes. C'est toi du moins, c'eft toi par qui, dans ma douleur, Je peux jouir de la douceur
De plaire et d'être cher encore
Aux illuftres amis dont mon deftin m'honore. Je reverrai Maifons dont les foins bienfefans Viennent d'adoucir ma fouffrance; Maifons en qui l'efprit tient lieu d'expérience, Et dont j'admire la prudence
Dans l'âge des égaremens. (b)
Je me flatte en fecret que je pourrai peut-être Charmer encor Sulli qui m'a trop oublié. Mariamne à fes yeux ira bientôt paraître; Il la verra pour elle implorer fa pitié,
Et ranimer en lui ce goût, cette amitié
Que pour moi, dans fon cœur, ma mufe avait fait naître. Beaux jardins de Villars, ombrages toujours frais, C'eft fous vos feuillages épais
Que je retrouverai ce héros plein de gloire, Que nous a ramené la paix
Sur les ailes de la victoire.
C'eft là que Richelieu, par fon air enchanteur. Par fes vivacités, fon efprit et fes grâces, Dès qu'il reparaîtra, saura joindre mon cœur A tant de cœurs foumis qui volent fur fes traces. Et toi, cher Bolingbroke, héros qui d'Apollon As reçu plus d'une couronne, Qui réunis en ta personne L'éloquence de Cicéron,
L'intrépidité de Caton,
L'efprit de Mécénas, l'agrément de Pétrone,
Enfin donc je refpire, et refpire pour toi; Je pourrai déformais te parler et t'entendre. Mais ciel! quel fouvenir vient ici me furprendre! Cette aimable beauté qui m'a donné fa foi, Qui m'a juré toujours une amitié fi tendre, Daignera-t-elle encor jeter les yeux fur moi? Hélas! en defcendant fur le fombre rivage, Dans mon cœur expirant je portais fon image; Son amour, fes vertus, fes vertus, fes grâces, fes appas, Les plaifirs que cent fois j'ai goûtés dans fes bras, A ces derniers momens flattaient encor mon ame; Je brûlais en mourant d'une immortelle flamme. Grands Dieux! me faudra-t-il regretter le trépas? M'aurait-elle oublié ? ferait-elle volage? Que dis-je, malheureux! où vais-je m'engager? Quand on porte fur le vifage,
D'un mal fi redouté le fatal témoignage, Eft-ce à l'amour qu'il faut fonger?
AUSSITOT ta main vigilante,
Ranimant la chaleur éteinte dans mon corps, De ma frêle machine arrangea les refforts. La nature obéiffante
Fut foumife à tes efforts,
Et la Parque impatiente
File aujourd'hui pour moi dans l'empire des morts. Hélas! fi comme moi, &c.
(b) Je me flatte en fecret qu'à mon dernier Ouvrage Le vertueux Sulli donnera fon fuffrage; Que fon cœur généreux avec quelque plaifir Au fortir du tombeau me verra reparaître,
Pourra par fes malheurs, enchanter fon loifir.....
(c) Après ce vers, L'efprit de Mécénas, &c. on lifait
Bolingbroke, à ma gloire il faut que je publie
Que tes foins, pendant le cours De ma triste maladie,
Ont daigné marquer mes jours
Par le tendre intérêt que tu prends à ma vie. Enfin donc, b.
« PreviousContinue » |