Page images
PDF
EPUB

Perd en moi de fon être, et meurt avant mon corps. Eft-ce-là cé rayon de l'effence fuprême,

Qu'on nous peint fi lumineux?

Eft-ce-là cet efprit survivant à lui-même ?

Il naît avec nos fens, croît, s'affaiblit comme eux ; Hélas, périra-t-il de même ?

Je ne fais; mais j'ose espérer

Que de la mort, du témps et des deftins le maître, DIEU conferve pour lui le plus pur de notre être, Èt n'anéantit point ce qu'il daigne éclairer. (2)

EPITRE XVI.

AU ROI D'ANGLETERRE, GEORGE I,

En lui envoyant la tragédie d'Oedipe.

1719.

To1 que la France admire autant que l'Angleterre,
Qui de l'Europe en feu balances les deftins;
Toi qui chéris la paix dans le fein de la guerre,
Et qui n'es armé du tonnerre

[ocr errors]

Que pour le bonheur des humains;

Grand Roi, des rives de la Seine

J'ofe te préfenter ces tragiques effais ;
Rien ne t'eft étranger: les fils de Melpomène.
Partout deviennent tes fujets.

(2) Ces quatre derniers vers ne fe trouvent pas dans les deux premières éditions de 1739 et 1740.

C &

Un véritable roi fait porter fa puiffance Plus loin que fes Etats enfermés par les mers : Tu règnes fur l'Anglais par le droit de naiffance, Par tes vertus fur l'univers.

Daigne donc de ma mufe accepter cet hommage
Parmi tant de tributs plus pompeux et plus grands:
Ce n'eft point au roi, c'est au fage,
C'eft au héros que je le rends.

E PITRE XVII.

A MADAME DE GONDRIN,

DEPUIS

MADAME LA COMTESSE DE TOULOUSE.

Sur le péril qu'elle avait couru en traverfant la Loire.

1719.

SAVEZ-VOUS, gentille douairière,

Ce que dans Sulli l'on fefait,
Lorfqu'Eole vous conduifait

D'une fi terrible manière ?
Le malin Périgni riait,
Et pour vous déjà préparait
Une épitaphe familière,
Difant qu'on vous repêcherait
Inceffamment dans la rivière,
Et qu'alors il obferverait

Ce que votre humeur un peu fière
Sans ce hafard lui cacherait.
Cependant Efpar, la Valière,
Guiche, Sulli, tout foupirait;
Rouffi parlait peu, mais jurait;
Et l'abbé Courtin qui pleurait,
En voyant votre heure dernière,
Adreffait à DIEU fa prière,
Et pour vous tout bas murmurait
Quelqu'oraifon de fon bréviaire,
Qu'alors, contre fon ordinaire,
Dévotement il frédonnait,
Dont à peine il se souvenait,
Et que même il n'entendait guère:
Chacun déjà vous regrettait.
Mais quel fpectacle! j'envisage
Les Amours qui, de tous côtés,
S'opposent à l'affreuse rage

Des vents contre vous irrités.
Je les vois; ils font à la nage,
Et plongés jufqu'au cou dans l'eau;
Ils conduifent votre bateau,

Et vous voilà fur le rivage.
GONDRIN, fongez à faire usage
Des jours qu'Amour a confervés;
C'eft pour lui qu'il les a fauvés ;
Il a des droits fur fon ouvrage.

VARIANTE S.

Après ce vers:

Il a des droits fur fon ouvrage.
Daignez pour moi vous employer
Près de ce duc aimable et fåge,
Qui fit avec vous ce voyage
Où vous pensates vous noyer;

Et

que votre bonté l'engage

A conjurer un peu l'orage

Qui fur moi gronde maintenant;
Et qu'enfin au prince régent

Il tienne à peu-près ce langage :

Prince, dont la vertu va changer nos destins,
Toi qui par tes bienfaits fignales ta puissance,
Toi qui fais ton plaifir du bonheur des humains,
Philippe, il eft pourtant un malheureux en France.
Du Dieu des vers un fils infortuné

Depuis un temps fut par toi condamné
A fuir loin de ces bords qu'embellit ta présence:
Songe que d'Apollon fouvent les favoris
D'un prince affurent la mémoire,
Philippe, quand tu les bannis,
Souviens-toi que tu te ravis

Autant de témoins de ta gloire.

Jadis le tendre Ovide eut un pareil destin ;
Augufte l'exila dans l'affreufe Scythie :
Augufte eft un héros, mais ce n'eft pas enfin
Le plus bel endroit de sa vie.

Grand Prince, puiffes-tu devenir aujourd'hui

Et plus clément qu'Augufte, et plus heureux que lui!

EPITRE X VIII.

A MADAME LA MARECHALE DE VILLARS.

DIVINITÉ, que le Ciel fit pour plaire, Vous qu'il orna des charmes les plus doux, Vous que l'Amour prend toujours pour fa mère, Quoiqu'il fait bien que Mars eft votre époux; Qu'avec regret je me vois loin de vous! Et quand Sulli quittera ce rivage, Où je devais, folitaire et fauvage, Loin de vos yeux vivre jusqu'au cercueil, Qu'avec plaifir, peut-être trop peu fage, J'irai chez vous, fur les bords de l'Arcueil, Vous adreffer mes vœux et mon hommage! C'est là que je dirai tout ce que vos beautés Inspirent de tendresse à ma muse éperdue; Les arbres de Villars en feront enchantés, Mais vous n'en ferez point émue. N'importe, c'eft affez pour moi de votre vue, Et je fuis trop heureux fi jamais l'univers

Peut apprendre un jour dans mes vers Combien pour vos amis vous êtes adorable, Combien vous haïffez les manéges des cours, Vos bontés, vos vertus, ce charme inexprimable, Qui, comme dans vos yeux, règne en tous vos difcours. L'avenir quelque jour, en lifant cet ouvrage, Puifqu'il eft fait pour vous, en chérira les traits.

« PreviousContinue »