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Voilà, dit-il, les généreux amis;

En petit nombre ils viennent me furprendre.
Entre leurs mains les biens ne femblaient mis
Que pour avoir le foin de les répandre.
Ici font ceux dont les puiffans refforts,
Crédit immenfe, et fageffe profonde,

Ont foutenu l'Etat par des efforts

Qui leur livraient tous les tréfors du monde.
Un peu plus loin, fur ces rians gazons,
Sont les héros pleins d'un heureux délire,
Qu'Amour lui-même en toutes les faifons
Fit triompher dans son aimable empire.
Ce beau réduit, par préférence, eft fait
Pour les vieillards, dont l'humeur gaie et tendre
Paraît encore avoir fes dents de lait,

Dont l'enjoûment ne faurait fe comprendre.

D'un feul regard tu peux voir tout d'un coup
Le fort des bons, les vertus couronnées;
Mais un mortel m'embarrasse beaucoup ;
Ainfi je veux redoubler fes années.
Chaque efcadron le revendiquerait.
La jaloufie au repos eft funefte;
Venant ici, quel trouble il cauferait!

Il est là-haut très-heureux; qu'il y refte. (1)

(1) Samuel Bernard était d'une vanité ridicule, comme la plupart des gens qui ont fait une fortune inefpérée. On obtenait tout de lui en le flattant. Dans la guerre de la fucceffion il refusa son crédit à Desmareft. On le fit venir à Marli; Louis XIV ordonna de lui en montrer toutes les beautes: on le mena fur le paffage du roi qui lui dit quelques mots. Après dîner il dit à Defmareft: Monfieur, quand je devrais tout perdre, dites au roi que toute ma fortune eft à lui.

EPITRE XI.

A MADAME DE G***

QUEL

UEL triomphe accablant, quelle indigne victoire Cherchez-vous triftement à remporter fur vous ? Votre efprit éclairé pourra-t-il jamais croire D'un double Teftament la chimérique hiftoire, Et les fonges facrés de ces myftiques fous, Qui, dévots fainéans, fots et pieux loups-garous, Quittent de vrais plaifirs pour une fauffe gloire? Le plaifir eft l'objet, le devoir et le but

De tous les êtres raifonnables;

L'amour eft fait pour vos femblables;
Les bégueules font leur falut.

Que fur la volupté tout votre espoir se fonde;
N'écoutez déformais que vos vrais fentimens ;
Songez qu'il était des amans

Avant qu'il fût des chrétiens dans le monde.

Vous m'avez donc quitté pour votre directeur.
Ah! plus que moi cent fois Couët (1) eft féducteur.
Je vous abufai moins, il eft le feul coupable;

Chloé, s'il vous faut une erreur,
Choififfez une erreur aimable.

Non, n'abandonnez point des cœurs où vous régnez

D'un trifte préjugé victime déplorable,

Vous croyez fervir DIEU, mais vous fervez le diable, Et c'eft lui feul que vous craignez.

3

(1) M. de Voltaire a fait de cet abbé Couët le héros du Dîner du comte de Boulainvilliers.

La Superftition, fille de la faibleffe,

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Mère des vains remords, mère de la trifteffe

En vain veut de fon fouffle infecter vos beaux jours;

Allez, s'il eft un Dieu, fa tranquille puiffance

Ne s'abaiffera point à troubler nos amours :

Vos baisers pourraient-ils déplaire à fa clémence?
La loi de la nature eft fa première loi;

Elle feule autrefois conduifit vos ancêtres;

Elle parle plus haut que la voix de vos prêtres,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour l'amour et pour moi.

EPITRE

XII.

A M. LE DUC D'ORLEANS, REGENT.

1717.

PRINCE

RINCE chéri des Dieux, toi qui fers aujourd'hui De père à ton monarque, à son peuple d'appui, Toi qui de tout l'Etat portant le poids immense, Immoles ton repos à celui de la France; PHILIPPE, ne crois point, dans ces jours ténébreux, Plaire à tous les Français que tu veux rendre heureux : Aux princesles plus grands, comme aux plus beaux ouvrages, Dans leur gloire naiffante il manque des fuffrages. (a) Eh! qui de fa vertu reçut toujours le prix ?

Il eft chez les Français de ces fombres esprits, Cenfeurs extravagans d'un fage ministère, Incapables de tout, à qui rien ne peut plaire : Dans leurs caprices vains triftement affermis, Toujours du nouveau maître ils font les ennemis;

Et n'ayant d'autre emploi que celui de médire,
L'objet le plus augufte irrite leur fatire.

Ils voudraient de cet aftre éteindre la clarté,
Et fe venger fur lui de leur obfcurité.

Ne crains point leur poison : quand tes foins politiques Auront réglé le cours des affaires publiques; Quand tu verras nos cœurs justement enchantés, Au devant de tes pas volans de tous côtés, Les cris de ces frondeurs à leurs chagrins en proie, Ne feront point ouïs parmi nos cris de joie.

Mais dédaigne ainfi qu'eux les ferviles flatteurs
De la gloire d'un prince infames corrupteurs :
Que ta mâle vertu méprise et défavoue

Le méchant qui te blâme et le fat qui te loue. (b)
Toujours indépendant du refte des humains,
Un prince tient fa gloire ou fa honte en fes mains;
Et, quoiqu'on veuille enfin le fervir ou lui nuire,
Lui feul peut s'élever, lui feul peut fe détruire.

En vain contre HENRI la France a vu long-temps
La calomnie affreuse exciter fes ferpens;
En vain de fes rivaux les fureurs catholiques
Armèrent contre lui des mains apoftoliques;
Et plús d'un monacal et fervile écrivain

Vendit, pour l'outrager, fa haine et fon venin, (c)
La gloire de HENRI par eux n'eft point flétrie :
Leurs noms font déteftés; fa mémoire eft chérie.
Nous admirons encor fa valeur, fa bonté ;
Et long-temps dans la France il fera regretté.

Cromwell, d'un joug terrible accablant fa patrie,

Vit bientôt à fes pieds ramper la flatterie;

Ce monftre politique au Parnaffe adoré,

Teint du fang de fon roi, fut aux Dieux comparé ;
Mais, malgré les fuccès de fa prudente audace,
L'univers indigné démentait le Parnaffe;
Et de Waller enfin les écrits les plus beaux
D'un illuftre tyran n'ont pu faire un héros.

LOUIS fit fur fon trône affeoir la flatterie: LOUIS fut encensé jusqu'à l'idolâtrie : En éloges enfin le Parnasse épuisė Répète fes vertus fur un ton presqu'usé ; Et, l'encens à la main, la docte académie L'endormit cinquante ans par sa monotonie. Rien ne nous a féduits en vain, en plus d'un lieu, Cent auteurs indifcrets l'ont traité comme un dieu : De quelque nom facré que l'opéra le nomme, L'équitable Français ne voit en lui qu'un homme. Pour élever fa gloire, on ne nous verra plus Dégrader les Céfars, abaiffer les Titus ; Et, fi d'un crayon vrai quelque main libre et sûre Nous traçait de LOUIS la fidelle peinture, Nos yeux trop deffillés pourraient dans ce héros Avec bien des vertus trouver quelques défauts.

Prince, ne crois donc point que ces hommes vulgaires Qui prodiguent aux grands des écrits mercenaires, Impofant par leurs vers à la postérité,

Soient les difpenfateurs de l'immortalité. (d)

Tu peux, fans qu'un auteur te critique ou t'encense, Jeter les fondemens du bonheur de la France;

Et nous verrons un jour l'équitable univers

Pefer tes actions fans confulter nos vers.

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