Page images
PDF
EPUB

Considérations générales.

CHAPITRE III

Le Mouvement

[ocr errors]

Tra

Le mouvement expression de la vie physique de l'espèce et de l'individu. Le mouvement expression de la vie intérieure. Le mouvement et la progression dramatique. duction littéraire du mouvement. Le mouvement et la progression dramatique. Traduction littéraire du mouvement. Vocabulaire, construction, ellipses, temps des verbes, rythme, harmonie imitative, évocation. Substitutions de sensations. Les métaphores.

[ocr errors]
[ocr errors]

Conclusion.

<< Les beaux mouvements, c'est la
musique des yeux ».

A. FRANCE, Le Lys rouge.

Qu'il contribue à la satisfaction d'un besoin vital, qu'il manifeste l'activité de jeu ou qu'il soit la traduction extérieure d'une émotion, le mouvement est une condition de la vie comme il en est la plus simple expression. Par les multiples et séduisantes qualités dont il peut être doué, vivacité, légèreté, grâce, ampleur, rythme, par toutes les combinaisons auxquelles il se prête, les vibrations synchrones que ses complexes harmonies éveillent dans notre âme, le mouvement est aussi un des charmes de la nature. Le mouvement est acte, transposition de la pensée dans le monde concret : il la rend perceptible à nos sens. Or, si la fable est sans aucun doute d'intention plus ouvertement moralisatrice que tout autre genre littéraire, plus qu'aucun autre aussi, sauf le genre dramatique, elle vise à frapper l'imagination par l'intermédiaire des sens.

La reproduction objective de la vie est donc une des nécessités essentielles de sa nature.

Nous montrons, d'autre part, quel rôle modeste jouent dans La Fontaine certaines sensations comme celles de la couleur, de l'ouïe, de l'odorat, du goût, accessoires au point de vue dramatique et secondaires au point de vue artistique, en littérature s'entend.

Nous ne nous étonnerons donc pas de constater que la sensation de mouvement, dramatique entre toutes, puisque ce mot est synonyme d'action, susceptible de tant de possibilités esthétiques, joue au contraire un rôle considérable dans l'apologue.

Ce ne sera jamais, il est vrai, un rôle purement pittoresque. Dans la fable nous ne trouverons point la peinture désintéressée du mouvement : nous n'y admirerons pas l'ondulation de la mer, les frissons de la prairie décrits pour la seule joie que leur spectacle procure.

La Fontaine cependant eût été fort capable de les peindre, comme il apparaît lorsque l'action le nécessite :

Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Du bout de l'horizon accourt avec furie...

Le Chêne et le Roseau, F. I, 22.

Mais, en général, ce n'est point là son affaire.

Le mouvement est, disions-nous, l'expression de la vie. <<< Tout aime et tout pullule dans le monde. » La vie d'autre part, n'est pas une abstraction, elle ne se manifeste qu'à travers des espèces et des individus. Aussi le mouvement dans la nature, et partant dans la fable, nous renseigne-t-il premièrement sur les allures, le caractère des races, l'attitude, le geste inconscient qui les différencie :

La rampante bête.

L'Homme et la Couleuvre, F. X, I.

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.

Le Chat et le vieux Rat, F. III, 18.

Le chat grippe-fromage...

Ronge-maille le rat

Le Chat et le Rat, F. VIII, 22.

Un milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,

La Grenouille et le Rat, F. IV, 11.

Les gestes les plus fréquents chez les animaux sont ceux qui assurent la conservation de l'individu, ceux que nécessite l'accomplissement des fonctions vitales.

Lutter contre un ennemi, le fuir, chasser, saisir une proie, la «< gripper » la dévorer, avec quelle richesse La Fontaine n'at-il pas peint toutes ces diverses activités !

Le cheval lui desserre

Un coup

Le Renard, le Loup et le Cheval, F. XII, 17.

A ces mots; sort de l'antre un lion grand et fort
Le pâtre se tapit

Le Pâtre et le Lion, F. VI, I.

La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage

Les Vautours et les Pigeons, F. VII, 8.

Que ses enfants gloutons, d'un bec toujours ouvert
L'Araignée et l'Hirondelle, F. X, 6.

Étranglent la moitié des agneaux les plus gras
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent
Les Loups et les Brebis, F. III, 13.

Donc il faut le croquer aussitôt qu'on le happe

Les Souris et le Chat-Huant, F. XI, 9.

Brouter, croquer, gober, laper, happer, tondre, manger chichement, manger gloutonnement, etc., voilà les termes pittoresques qui reviennent constamment sous sa plume.

F. BOILLOT

3

Le mouvement peut également être l'expression d'une habitude mentale caractéristique comme dans les vers suivants, la badauderie, l'insouciance ou la joie :

La gent qui porte crête, au spectacle accourut

Les deux Coqs, F. VII, 13.

La gazelle s'allait ébattre innocemment.

Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat, F. XII, 15.

Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure
Daphnis et Alcimadure, F. XII, 24.

Ma commère la carpe y faisait mille tours
Avec le brochet son compère.

Le Héron, F. VII, 4.

ou. d'une habitude physique, d'un caractère de l'espèce :

Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu

L'Écrevisse et sa Fille, XII, 10.

Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut

Le Villageois et le Serpent, F. VI, 13.

mais où mieux ? Jean Lapin s'y blottit.

L'Aigle et l'Escarbot, F. II, 8.

Deux mulets cheminaient

Les deux Mulets, F. I, 4.

Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment

Cette maudite laie et creuser une mine?

L'Aigle, la Laie et la Chatte, F. III, 6.

Au regard de l'individu isolé, le mouvement fournit des renseignements aussi intéressants. Il dénote son activité drama

tique :

Un octogénaire plantait.

Le Vieillard et les trois jeunes Hommes,

F. XI, 8.

Un cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs

L'Eil du Maître, F. IV, 21.

L'un se mit sur le dos, prit l'œuf entre ses bras
Les deux Rats, le Renard et l'Euf, F. IX.

Notre agace

Sautant, allant de place en place.

L'Aigle et la Pie, F. XII, 11.

L'insecte, sautillant, cherchait à se réunir

Le Villageois et le Serpent, F. VI, 13.

C'est grand honte

Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils.
Le Meunier, son Fils et l'Ane, F. III, 1.

A l'endroit où gisait cette somme enterrée. fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit.

II

y

L'Avare qui a perdu son Trésor, F. IV, 20.

..... Un certain vautour, à la serre cruelle,
Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avait attrapé;
Semblait un forçat échappé.

Les deux Pigeons, F. IX, 2.

L'âne s'en vient lourdement,
Lève une corne toute usée.

L'Ane et le petit Chien, F. IV, 5.

Sur le mulet du fisc une troupe se jette

Le saisit au frein et l'arrête.

Les deux Mulets, F. I, 4.

Une chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de belettes ;

La Chauve-Souris et les deux Belettes, F. II, 5.

Leur ennemi changea de note

Sur la robe du dieu fit tomber une crotte :
Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.
L'Aigle et l'Escarbot, F. II, 8.

« PreviousContinue »