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ensuite, si elle peut concourir à préciser la description des

personnages :

Un homme de moyen âge

Et tirant sur le grison.

L'homme entre deux âges et ses deux Maîtresses,

F. 1, 17.

Encore n'est-il pas bien sûr que le mot « grison » soit un adjectif. Même en ce cas, d'ailleurs, l'auteur a été amené à en faire usage par la force interne de l'idée maîtresse de sa fable, au développement de laquelle le terme concourt, bien plus que par souci du pittoresque.

D'autres exemples seront moins contestables. Les suivants se réfèrent à des caractères permanents:

Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment.

Le Vieillard et les trois jeunes Hommes, F. XI, 8.

La gent porte-écarlate.

Lettre à M. de Bonrepaux.

Un abbé blanc, c'est trop d'ombrage avoir;
Il n'écherrait que dix coups pour un noir.

Féronde, C. IV, 6.

D'un abbé blanc... J'en sais de ce plumage

ceux-ci au contraire, à des caractères passagers :

La gent noircie.

Ibidem.

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A quoi elles répondirent par l'incarnat qui leur monta aussitôt aux

[joues. Psyché, II.

Clymène auprès du Dieu pousse en vain des soupirs.

Elle rougit parfois, parfois baisse la vue
(Rougit, autant que peut rougir une statue ;
Ce sont des mouvements qu'au défaut du sculpteur
Je veux faire passer dans l'esprit du lecteur).

Clymène.

Dans ces derniers cas la sensation de couleur est la notation d'un état d'âme d'une modification psychologique (1).

Prenez vos scions, filles de la nuit, et me l'empourprez si bien que cette blancheur ne trouve pas même un asile en son propre temple. A cet ordre Psyché devint pâle.

Psyché, II.

Elle est ici curieusement mêlée à une sensation de tact, si l'on peut dire !

Dans :

Des raisins mûrs apparemment
Et couverts d'une peau vermeille

Le Renard et les Raisins, F. III, 11.

croit-on davantage que l'adjectif pittoresque soit ici la fin intentionnelle du poète ? Nullement. Cette note vermeille n'est point ajoutée pour son agrément sensible: elle est nécessaire à l'action plus la couleur du raisin est chaude, veloutée, appétissante, plus ridicule est l'excuse du renard :

1

Ils sont trop verts et bons pour des goujats.

Ibidem.

Pourtant, il faut bien le dire, peau vermeille était savoureux et nous laisse quelque regret. D'abord cette note vive fait comme

(1) C'est ainsi que la rougeur qui est toujours liée à quelque sentiment est tour à tour synonyme de timidité, d'ignorance, de pudeur ou de chasteté. La jeune fille naïve pudique rougit facilement, chose que ne font guère les prêtresses de Vénus. NAYRAC, La Fontaine, p. 141.

F. BOILLOT

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une tache brillante dans un camaïeu. Puis, c'est un des rares traits qui, par sa précision, rapprochent sympathiquement le fabuliste de nous, de notre manière à nous de voir et sentir. Rares, elles le sont en effet, ces touches de couleur traduisant une sensation suffisamment définie pour qu'elles puissent être signées par un moderne. En voici deux autres :

Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs
De couleur fort tannée tels que les abeilles

Avaient longtemps paru.

Les Frelons etles Mouches àmiel, F. 1,21.

Leur plumage paraît carné

Psyché.

Le premier portrait fort soigné, d'un trait achevé, rassemble et combine harmonieusement tous les détails extérieurs, toutes les << enseignes » : le caractère prédominant, puis le son produit, la forme et la couleur. Cependant, pas plus ici qu'ailleurs, la description n'est gratuite : elle a toute l'exactitude d'un témoignage juridique, et c'est effectivement une déposition sa précision est nécessaire pour justifier l'embarras du juge, la guêpe. Isolé de son contexte, de couleur fort tannée pourrait être du Maeterlinck et semble déjà préparer Leconte de Lisle :

.....Et les fauves abeilles

Effleurant à l'envi son dos souple du vol.

Poèmes barbares. La Panthère noire.

Mais qui ne verrait pourtant qu'il y a deux siècles entre fort tannée et toute la richesse d'évocation contenue dans fauve ?

On peut dire, en vérité, que la couleur est, de tous les caractères extérieurs de la réalité celui qui, proportionnellement à son importance, frappe le moins le fabuliste. Et pourtant, ce qui lui manquait n'était pas tant la sensibilité qui perçoit, ni même la faculté d'exprimer par des mots ce qu'il voyait, mais simple

ment le besoin de donner à sa sensation un revêtement littéraire. Nous avons dit pourquoi. Peut-être aussi ne se rendait-il pas exactement compte de la richesse des effets qu'il était capable de produire quand il s'y essayait. Car il réussissait avec un rare bonheur, quand il le voulait, la peinture des nuances les plus délicates:

Oiseau jaloux et qui devrait te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies.
Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire ?

Le Paon se plaignant à Junon, F. II, 16.

Il pleut, le soleil luit et l'écharpe d'Iris
Rend ceux qui sortent avertis

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire.

Phébus et Borée, F. VI, 3.

Dans les esprits d'une autre nation

Au col changeant, au cœur tendre et fidèle

Les Vautours et les Pigeons, F. VII, 8.

Voyons ces peintures de plus près. Eh bien ! si délicatement ouvrés que soient les vers de la première fable, si nuancé, si irisé qu'en soit le coloris, il n'a point été appliqué ici non plus pour le seul plaisir né de ce chatoiement. Le procédé de composi tion littéraire reste identique : tous ces traits sont amenés là par la nécessité de la composition générale et sont clairement liés au progrès de l'action. Montrons-le ce tableau si éblouissant que peint Junon, qu'est-ce autre chose sur ses lèvres qu'un argument ad pavonem, une réfutation logique et accablante de la plainte de l'oiseau jaloux?

Si le coloris est plus riche, mieux varié qu'à l'ordinaire, cette accumulation de touches est déterminée par le souci ou l'instinct de la vérité psychologique du personnage et correspond

à une préoccupation plutôt dramatique que purement esthé

tique.

Dans Phébus et Borée, l'arc-en-ciel (1) si gracieusement évoqué n'est point une simple écharpe multicolore destinée à enrubanner le cadre du paysage de ses nuances éclatantes : elle participe activement à la scène et avertit le voyageur de la nécessité de se bien vêtir.

De même, dans les Vautours et les Pigeons, l'épithète changeante est appelée par fidèle qu'elle contre-balance dans l'autre hémistiche, et La Fontaine accuse par cette opposition de mots, souligne par leurs places respectives l'antithèse entre l'apparence extérieure des pigeons et leurs sentiments véritables. Ajoutons un exemple encore, la trouvaille si réussie de : Peuple caméléon, peuple singe du maître.

Les Obsèques de la Lionne, F. VIII, 1í.

où la métaphore empruntée à la couleur caractérise d'une façon si amusante le mimétisme politique des courtisans. C'est là, je crois, le seul exemple de la couleur employée pour désigner une qualite morale.

Un autre procédé cher au fabuliste consiste à faire jouer les couleurs les unes par les autres en évoquant simplement l'image de leurs dispositions quand ce détail est plus caractéristique que les couleurs elles-mêmes. A proprement parler, il s'agit iel de dessin plutôt que de peinture :

I est veloute comme nous

Varquete, Jongue carne, une humble contenance
Ur. modeste regard et pourtant l'ai huisant.

Le Caches, it Chat et le Souricena, F. VI, 3.

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