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mina néanmoins au profit de celui-ci en 1668, alors que la Bruyère avait vingt-trois ans. Le nom de sa mère ne paraît pas dans ces dissensions; mais elle ne put y demeurer étrangère, et il ne fut sans doute pas permis au jeune avocat de n'y point prendre part.

En 1673 la Bruyère, après huit années actives ou non, abandonna le barreau du Parlement de Paris, et devint trésorier général de France au bureau des finances de la généralité de Caen.

II

LA BRUYÈRE TRÉSORIER GÉNÉRAL DES FINANCES.

Au moment où la Bruyère entrait dans les finances, les trésoriers de France étaient à peine remis des appréhensions que leur avaient inspirées divers essais de réforme, par lesquels le Bureau de Caen avait été menacé plus que tout autre.

Après avoir créé, dans un intérêt fiscal, beaucoup plus d'offices de trésoriers que ne l'exigeait le service, le gouvernement royal s'était accusé, par actes publics, d'avoir, en les multipliant, nui au bon ordre des finances et surchargé les peuples' il voulait réparer ses fautes.

En 1669, Colbert avait entrepris, après d'autres, de réduire le nombre des trésoriers. Usant d'un procédé déjà employé

let, qui s'était inscrite en faux contre une quittance produite par Nicolas Hamonyn. L'inscription de faux avait été jugée téméraire par sentence du 6 octobre 1668 (Ibidem, Dictum du 27 novembre 1668).

1. « La nécessité des temps passés nous ayant, et les rois nos prédécesseurs, obligés d'augmenter les offices des trésoriers de France des bureaux établis dans chacune généralité de notre royaume à un nombre excessif, et beaucoup au delà de ceux qui sont nécessaires... » (Édit de février 1672: voyez le Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, arrêts et règlements du Roi registrés en la cour du Parlement de Normandie depuis 1643 jusqu'en 1683, Rouen, 1774, tome I, p. 471-474.)

et presque aussitôt abandonné, il avait refusé de maintenir à leur profit la faveur du payement du droit annuel, ou, si l'on veut, de la paulette, dont ils jouissaient avec tous les officiers de judicature et de finances: ce privilége, comme on sait, assurait aux familles l'hérédité des charges. En perdant la faculté d'offrir chaque année une rançon déterminée, les trésoriers ne pouvaient plus vendre utilement leur titre qu'à la condition de survivre plus de quarante jours à leur démission. L'atteinte que l'on portait ainsi à l'hérédité des offices des trésoriers en devait préparer la diminution sûrement, bien qu'insensiblement, suivant l'expression d'un document officiel, si toutefois l'État ne cédait pas, comme il arrivait souvent, à la tentation de livrer à de nouveaux acquéreurs les offices qui tombaient aux parties casuelles et redevenaient sa propriété. Mais deux années s'étaient à peine écoulées que l'on renonçait encore une fois à une mesure dont les effets ne pouvaient se produire que très lentement, et qui néanmoins soulevait d'unanimes réclamations.

On recourut à un autre moyen. En février 1672, deux édits réduisirent à quatorze, et en certaines généralités à douze ou à dix, les trésoriers des bureaux des finances. Le prix des offices que l'on se proposait d'éteindre immédiatement devait être remboursé aux titulaires d'après les évaluations des commissaires délégués par le Roi. On rétablissait en faveur des officiers conservés le droit annuel, c'est-à-dire la transmissibilité; il fallait toutefois l'acheter par une sorte de prêt de 10000 livres, dont l'intérêt à 6 pour 100 devait leur être annuellement payé sous forme d'augmentation de gages 1. Les trésoriers mirent peu d'empressement à acheter cette rente. Le Bureau de Caen, qui de quinze trésoriers avait été réduit à dix, encourut-il, par une résistance trop manifeste, un supplément de disgrâce? Je ne sais; mais un arrêt du conseil d'État, en date du 20 septembre 1672, eut pour objet de le

1. Voyez dans les édits du 7 mars et du 2 avril 1672, et dans les arrêts du Conseil d'État du 4 avril et du 20 décembre de la même année, le détail des réglementations promulguées sur les questions relatives au choix des officiers à maintenir, ainsi qu'au versement des 10 000 livres, et à l'augmentation promise des gages, qui était de 600 livres par an.

faire disparaître tout entier. En somme, on ne supprima aucun bureau ni aucune charge, même à Caen : les cent à cent cinquante officiers que menaçait la rigueur des édits conservèrent la possession de leurs titres. Soit que l'on n'ait pas su vaincre l'inertie qu'opposèrent les trésoriers aux ordres comminatoires qui enjoignaient à ceux qui voulaient être maintenus de verser 10 000 livres, soit que l'opération, examinée de plus près, n'ait point paru assez fructueuse pour être poursuivie en dépit de toutes les difficultés ', soit encore que les dépenses de la guerre aient rendu impossible le remboursement des charges supprimées, il intervint, entre le gouvernement et les bureaux de finances, une sorte de transaction. Les bureaux avaient offert, comme prix du maintien de tous leurs

1. En vertu de cette réglementation, les trésoriers conservés auraient apporté au Trésor environ quatre millions; mais l'augmentation des gages et le remboursement des offices supprimés auraient atténué singulièrement le bénéfice de la réduction des charges. Dans ses Recherches et considérations sur les finances de la France (tome I, p. 467), Forbonnais estime à 3 900 000 livres le profit net que le Trésor retira des mesures promulguées, en 1672, à l'égard des bureaux des finances: il lui a échappé que l'édit de février 1672 ne reçut pas d'exécution. Celui de mars 1673, qui consacra la transaction, dut valoir au Trésor deux millions environ. Le bénéfice eût été de deux millions sept à huit cent mille francs, si tous les bureaux avaient versé 110 000 francs, comme semblaient l'exiger les termes d'un arrêt du 30 janvier 1673; mais il y eut forcément des inégalités. Les vingt et un trésoriers de la généralité de Paris, maintenus dès le 3 juin 1672, furent taxés à 4 900 francs chacun, et leur contribution, en y ajoutant la taxe des procureur, avocat, etc., s'éleva à la somme prévue de 120 000 francs; la contribution fut moindre dans beaucoup de généralités, et notamment dans le bureau de Caen : les trésoriers y furent taxés à 5000 francs, mais ils n'étaient que quinze. Sur ces tentatives de réforme, on peut consulter, outre Forbonnais et les recueils manuscrits ou imprimés des édits et des arrêts du Conseil d'État de 1672 et 1673, les Mémoires sur les priviléges et fonctions des trésoriers de France, par Jean du Bourgneuf (1745, tome I, p. 25-27), la Table générale des ordonnances, édits, etc., concernant les trésoriers généraux, par le même, l'Histoire des trésoriers de France, par Gironcourt (1776, tome II, p. 260 et suivantes); et la collection Rondonneau, aux Archives nationales.

offices sans exception, un secours pour les dépenses de la guerre. La proposition fut acceptée. Toutes les charges furent maintenues ou rétablies, le droit annuel fut restitué aux trésoriers avec modération du tarif, et de plus le privilége du committimus, qui leur avait été enlevé, leur fut de nouveau concédé. Un arrêt du 10 décembre 1672 et une déclaration du 18 rendirent à la généralité de Caen ses quinze trésoriers.

Les lettres de déclaration par lesquelles le Roi faisait revivre en leur intégrité primitive chacun des bureaux invoquaient les exigences mieux comprises de l'intérêt général; mais, avec plus de sincérité, l'édit de février 1673 reconaissait que le nombre des trésoriers aurait pu être réduit sans que le service en souffrit. Ces postes superflus, que cependant l'on conservait en les entourant de priviléges enviés, et dont les titulaires, au témoignage des édits royaux, jouissaient de «gages considérables », n'étaient-ils pas de ces « offices lucratifs» qui, suivant l'expression qu'emploiera plus tard la Bruyère1, peuvent rendre «< la vie aimable » sans rien enlever à l'oisiveté du sage? Il le pensa, et il acheta l'un d'eux.

Le titre acquis par la Bruyère dans la généralité de Caen avait appartenu à un trésorier du nom de Pierre Roussel, lequel était mort le 28 mars 1672, alors que le Bureau venait d'être condamné à perdre cinq offices. Comme Roussel n'avait pas été admis, dans la dernière année de sa vie, au versement du droit annuel, sa mort enlevait à ses héritiers la propriété de sa charge et la faisait tomber aux parties casuelles 2. Ce ne

1. Tome III, p. 88, no 21.

2. En droit strict, elle aurait dû être levée au profit exclusif du Trésor royal, lorsque le Roi la fit revivre; mais on se départit, par mesure générale, de la rigueur des principes, et la famille Roussel put bénéficier du prix de l'office que l'édit de février 1672 avait anéanti entre ses mains, et qu'elle voyait renaître au bout de l'année « Nous avons même.... taxé en nos revenus casuels, en faveur des veuves et héritiers, lit-on dans l'édit de mars 1673, les charges qui étoient vacantes et que nous avons rétablies, en tant que besoin seroit, par notre édit de février dernier. » Le décès de Roussel n'est pas encore connu à Versailles lorsque les lettres de déclaration et un arrêt du Conseil d'État du 10 décembre 1672 rétablissent les présidents trésoriers du Bureau des finances de Caen, «< au nombre

fut pas la Bruyère qui se présenta tout d'abord pour obtenir la succession, mais un bourgeois de Paris nommé Joseph Metezeau1. Le 8 mars 1673, Metezeau versait au Trésor royal le prix de la charge, lequel était de 15 000 livres (au total 16500, en ajoutant au principal les 2 sols pour livre dont la perception était prescrite par un édit de mars 1645).

Avec les droits du marc d'or, qui étaient alors de 1296 livres pour les trésoriers de France 2, le prix de la charge n'atteignait pas 18 000 livres. Les gages fixes étant de 2 350 livres environ3, Metezeau pouvait obtenir pour le moins treize pour

de quinze, qui sont encore à présent revêtus desdites charges; » un arrêt du Parlement de Rouen, rendu le 6 mars 1673 sur la requête des trésoriers de Caen et enregistrant leur rétablissement, reproduit ce chiffre de quinze que la mort de Roussel avait rendu inexact.

1. Voyez l'Étude chronologique sur J. de la Bruyère, par Chatel, archiviste du Calvados (Caen, 1861, in-8° de 31 pages).

2. Le droit du marc d'or, dont le produit était destiné à l'ordre du Saint-Esprit, se prélevait sur tous les offices à chaque mutation de titulaire. On appliquait, à cette époque, le tarif établi par l'édit de décembre 1656, qui avait doublé le tarif antérieur.

3. Les trésoriers de Caen, qui semblent un peu plus favorisés que ceux de divers autres bureaux, recevaient alors, pour « gages, augmentations et droits », a 348 livres, 10 sols, par an: ils eussent reçu le double, n'étaient les retenues d'un semestre qui avaient été imposées à tous les trésoriers en 1647. Il avait été rendu aux trésoriers un quartier en 1648 (voyez le Recueil des titres concernant les trésoriers généraux, par Simon Fournival, 1655, p. 1013); mais un arrêt du Conseil d'Etat du 10 avril 1658 avait retenu de nouveau les deux quartiers, et cette réduction avait été maintenue par la suite (voyez la Table générale des ordonnances, édits, etc., concernant les trésoriers généraux. pa: J. du Bourgneuf, p. 122 et 129). Pour les trésoriers qui résidaient et remplissaient leurs fonctions, les revenus s'augmentaient par l'effet de divers droits. Dans ses Mémoires sur les privilèges et fonctions des trésoriers de France (tome I, p. 122), du Bourgneuf estime qu'avec les droits de présence, droits de bûche ou de chauffage, etc., ils s'élevaient, au dix-huitième siècle, à près de 4 500 livres : il faut sans doute réduire cette somme de moitié par suite de l'application de l'édit de 1658, car ailleurs du Bourgneuf limite à 2 143 livres, 10 sols, les revenus, diminués de moitié, des trésoriers d'Orléans, et à 2 223 livres, 10 sols, ceux des autres bureaux. Les menus droits de présence et autres,

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