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c'est-à-dire 2 000 écus soleil, lui fut remboursé1. Le 12 juillet 1596 il faisait opposition devant le Parlement à « toutes criées et ventes, à tous baux judiciaires des biens et héritages » de son débiteur2.

Avant qu'il ne fut procédé à la vente, le Roi fit gracieusement don des biens confisqués. Les donataires auxquels des lettres patentes de mai 1597 et un brevet du 21 mai attribuaient la fortune des la Bruyère étaient quatre serviteurs du prince de Conti: François de Bréville, sieur du Léal, gentilhomme de sa maison, les sieurs de Saint-Martin et de Villiers, ses chambellans, et de Laborde, son secrétaire'. La donation royale ne leur fut pas très profitable, à en juger par ce qu'il advint de la part de Bréville. Un procès ayant été engagé par les héritiers des la Bruyère, l'avocat qui s'occupait de ses affaires lui présenta un très sombre tableau de la vie de plaideur qu'il lui faudrait mener pendant plusieurs années. Une fois le don « vérifié », combien de dépenses, combien de démarches et de sollicitations auprès des juges et des greffiers pour «< accélerer » le procès, peut-être pour le perdre! Bréville résolut d'écarter tous les ennuis dont il pouvait être me

1. D'autres prêteurs n'avaient point suivi l'exemple de Preudhomme. Voici les migrations de l'un des titres de rente sur Jean et Mathias que leur exil rendit sans valeur. Il s'agit d'une rente de 500 livres constituée par eux, en 1585, au profit de Louise de Charansonnay, dame de Fleury-le-haut-Verger, damoiselle de Catherine de Médicis. Elle passa, par héritage, à Diane de France, fille et sœur légitimée de rois, duchesse d'Angoulême, veuve de François de Montmorency. Diane en fait don, l'an 1612, à Élisabeth de Myremont, fiancée de Thomas de Bonnan; mais comme elle n'avait point touché d'intérêt de cette rente depuis le départ des la Bruyère, elle s'empresse d'ajouter qu'elle ne s'en porte nullement garante (Archives nationales, Y 152, fo 140 vo).

2. Archives nationales, Bureau des finances et chambre du Trésor, Zif, 664.

3. Archives nationales, Y 139, fo 60 vo. Ce document, qui est l'insinuation du contrat par lequel Bréville vendit sa part et dont on pourra lire le texte dans la Revue d'Histoire littéraire de la France, année 1912, p, 156-160, nous a fourni la date de la sentence de la chambre du Trésor et celles des lettres patentes et du brevet contenant le don de la confiscation.

nacé le 17 mars 1600, il céda ses droits à un prix dérisoire, et ce fut à son avocat, Pierre Le Tessier, qu'il les abandonna. On convint que, les choses «< éclaircies », Le Tessier devrait, s'il y avait « du bon », une somme de trente écus soleil, et il lui était permis, clause vraiment singulière, de substituer à cette somme une haquenée d'une valeur de trente écus soleil, c'està-dire de quatre-vingt-dix-sept livres tournois dix sols, environ sept cents francs de notre monnaie. Si amoindrie qu'eût été la fortune des la Bruyère par les événements politiques et par les prodigalités de Mathias, si nombreux qu'aient été ceux des créanciers qui se montrèrent aussi diligents que Preudhomme, l'avocat dut estimer qu'il avait fait un avantageux contrat; ses espérances cependant furent en parties déçues '.

Mathias avait deux enfants: Guillaume et Marie, femme de Jean Lescellier, receveur des consignations au Châtelet. Comme les biens de Mathias, accrus de ceux de Jean, avaient passé dans le domaine du Roi, ses enfants ne pouvaient invoquer la qualité d'héritiers. Au prix toutefois d'une renonciation à l'héritage paternel, leur droit incontesté était de revendiquer le douaire dont la Coutume de Paris leur assurait la propriété. Ce douaire, aux termes de la Coutume, devait se composer de la moitié des immeubles que Mathias possédait au moment de la célébration du mariage et de ceux qu'il avait pu recevoir de ses ascendants pendant la durée de son union avec Louise Aubert: ainsi limité, le douaire parut insuffisant à Guillaume, à Marie et à leur conseil. Outre la moitié des immeubles qui avaient fait partie de la dot de Mathias, ils réclamèrent la moitié de ceux qu'après la mort de sa femme il avait hérités de son père. Le texte de la Coutume était contraire à leurs prétentions, mais au Châtelet on gardait sans doute quelque fidélité à la mémoire de l'ancien lieutenant civil, et d'ailleurs la cause de ses enfants était intéressante: c'est à eux que la sentence du prévôt de Paris donna raison contre le

1. Quelqu'habile homme qu'il fût, Le Tessier ne prit pas toutes ses précautions. Il oublia, et ses associés oublièrent comme lui, de faire, auprès du Bureau de la Ville, opposition au paiement de la somme qui pouvait être encore due au Pelit Cerf.

curateur de la succession et les créanciers qui avaient associé leur requête à la sienne. La renonciation à des biens qui étaient devenus ceux du Roi n'avait pas été un acte de pure forme, puisqu'il était une condition obligatoire pour l'obtention du douaire ; d'autre part, c'était sur cette renonciation que devaient s'appuyer les juges du Châtelet, puis ceux du Parlement pour dispenser, Guillaume et Marie de rapporter les biens que leur aïeul avait donnés à leur père. Elle avait eu un autre avantage, qui était de permettre aux parties et aux juges de ne faire aucune allusion à la confiscation, non plus qu'aux événements qui l'avaient précédée 1.

Curateur et créanciers ne se tinrent pas pour battus. Ils firent appel devant le Parlement. C'est parmi les plaidoieries du 12 mars 1607, non parmi celles du 13 comme l'impriment Bouchel et Brillon, qu'il faut chercher dans les registres des matinées du Parlement l'arrêt qui termina le conflit. L'avocat Lenoir avait plaidé pour les appelants; l'avocat Montreuil pour les intimés. Louis Servin, avocat général, celui-là même qui devait être frappé d'une congestion mortelle au cours d'une harangue où il osait exposer à Louis XIII les remontrances du Parlement, conclut en faveur de Guillaume et de Marie: il reconnaissait que la lettre de la Coutume ne leur était pas favorable, mais il en invoquait plus ou moins justement l'esprit, préférant hautement l'intérêt des enfants douairiers à celui des créanciers. Magistrat respecté, dont la mort devait faire. une sorte de martyr de la liberté, Louis Servin avait renom d'esprit très indépendant, et ses conclusions, dont la brève analyse fut reproduite dans le recueil de ses plai

1. L'avocat général Servin, dont nous parlerons plus loin, avait reconnu en Guillaume le fils du lieutenant particulier, auquel il refusait le titre de lieutenant civil, d'origine révolutionnaire. Ce n'est point d'après lui, mais d'après Bouchel, que divers jurisconsultes parlèrent du procès de Guillaume, et tous, sauf Leprestre, ignorèrent qui il était; Bouchel cependant avait exactement cité les noms et prénoms de Guillaume et de Marie. Brillon, qui se donnait comme un des amis de l'auteur des Caractères, prêta si peu d'attention au nom la Bruyère qu'il laissa son imprimeur le défigurer.

doyers, suffiraient à démontrer l'originalité de ses appréciations. La cour adopta ses conclusions; mais si l'arrèt fit jurisprudence, ce ne fut pas pour longtemps. Pierre Lemaistre excepté, les jurisconsultes dont nous avans ouvert les traités l'ont désapprouvé : Leprestre le déclare extraordinaire, Laurière le condamne, et Pothier met en doute son existence, tant il lui semble en désaccord avec la Coutume.

Les notes que nous avons pu prendre pendant quelques heures, il y a plus d'un demi-siècle, dans les archives des notaires des la Bruyère ne nous permettent pas d'apprécier la valeur et la composition du douaire qu'obtinrent Guillaume et Marie. Les terres que posséda Guillaume dans le Vendomois en ontelles fait partie? Il se peut. Son contrat de mariage, qui reproduisait en 1601 des conventions arrêtées un an auparavant, au moment des fiançailles, montre que déjà il possédait des immeubles; d'oû lui venaient-ils ? Il est peu vraisemblable que Guillaume ou ses parents aient pu dissimuler quelque terre, même lointaine, aux gens du fisc et au curateur de la succession, ou encore que Guillaume ait pu acheter des immeubles avant son mariage. Peut-être les premières opérations de la liquidation lui avaient-elles attribué des domaines à titre de douaire avant que le procès ne fut soulevé. Comme, d'autre part, il eut des conflits de voisinage dès 1605, si ce n'est plus tôt, au sujet de domaines qui étaient situés dans le Vendômois, et que ces domaines étaient ses propres, non ceux de sa femme, tout paraît indiquer que les immeubles dont les contrats de 1600 et de 1601 déterminèrent le régime sont les domaines qui ont appartenu à la famille la Bruyère pendant plus d'un siècle dans le Vendômois, et dont notre auteur est devenu l'un des propriétaires à la mort de son oncle, Jean II de la Bruyère2. Une particularité, relevée dans un arrêt du Parlement, pourrait être invoquée à l'appui de notre conjecture: Guillaume ne possédait qu'en partie l'un de ces domaines, celui des Fleurières; ne l'aurait-il point partagé avec sa sœur Marie en

1. Voyez la première de nos Pièces justificatives.

2. Un inventaire que j'ai eu jadis entre les mains mentionne un dossier, formé de contrats d'acquisitions et d'échanges, qui témoigne de la sollicitude avec laquelle les la Bruyère ont agrandi ou arrondi leurs propriétés.

recevant une portion du douaire1? Mais n'insistons pas. A l'un des érudits du Vendômois il appartiendra de dissiper toute obscurité et de nous dire comment et à quelle date sont entrés dans la famille des la Bruyère les domaines de Romeau, de la Goujetterie, leçon préférable à celle de la Georgetterie ou Georgetière par nous précédemment adoptée, et enfin des Fleurières, qui étaient situés sur les territoires des paroisses de Choue, de Souday et de Vibraye, non loin de Mondoubleau; on nous apprendra en même temps quels partages ont été faits de ces domaines et pourquoi Guillaume ne possédait qu'une portion de l'un d'eux.

Du moins savons-nous qu'il y avait, dans la paroisse de Choue, trois domaines portant le nom de Romeau, le Grand Romeau, le Petit Romeau et les Romcaux; le Petit Romeau était la propriété des la Bruyère, ainsi que nous l'a récemment démontré M. Jean Martellière; la preuve en est dans le voisinage immédiat du champ nommé le Coustau que possédait Guillaume en 1641 et qui a conservé son nom, sa forme et sa contenance de trois arpents. Dernièrement encore y subsistait un logis de maître où la famille la Bruyère séjournait quelquefois. M. Martellière a constaté la présence du père de la Bruyère le 1" décembre 1638 à Mondoubleau, où il assistait à un baptême à titre de parrain 2.

1. Quelle put être la part de Marie Lescellier dans le douaire ? Lui vint-il quelque chose des propriétés d'Ivry ? Une Marie de la Bruyère est qualifiée dame d'Ivry dans une note du Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale; d'après cette note, qui est pleine d'erreurs, la Marie de la Bruyère dont il est fait mention aurait épousé un Cornuti. Il n'est pas impossible cependant que ce fut Marie Lescellier, et non Marie Cornuti, qui devint dame d'Ivry. Tout ce que nous savons de la fortune de Marie Lescellier, c'est qu'elle avait reçu de son bisaïeul Mathieu de la Bruyère ou de sa femme quelques arpents de prés à Savigny-sur-Orge, estimés 180 livres l'arpent, et de Claude Séguier, sa grand'mère, des vignes au terroir de Saint-Cloud, qu'elle donna à Jean Rolland, procureur au Parlement, le 20 juin 1603, pendant un séjour qu'elle fit à Paris, rue Saint-Denis, pour surveiller ses intérêts. Cette donation était la récompense « des bons offices, plaisirs et courtoisies » que Rolland lui avait faits, tant en ses affaires particulières, << sollicitude des procès » qu'elle avait soutenus « que pour plusieurs bonnes et justes causes » (Archives nationales, Y 142, fo 162 vo).

a. Sur le Petit Romeau, voyez notre tome IV, p. 128, et surtout

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