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d'origine poitevine, qu'il avait connue à Paris. Son beaupère, François Aubert, sieur d'Avanton, avait été en effet conseiller au Parlement de Paris avant d'obtenir la présidence du présidial de Poitiers', qui lui fut attribuée lors de la création de cette juridiction et qui le ramena dans son pays natal. Louise Aubert apportait une dot de 14000 livres à son mari, qui, de son côté, joignait à ses biens personnels une dot de 12 000 livres et le domaine du Fief royal à Plailly, que lui cédait son père.

On a souvent confondu le père et le fils, Jean et Mathias de la Bruyère, dont les noms reviennent tour à tour dans les récits de la Ligue. Animés des mêmes passions, ils ont eu toutefois un rôle différent, le père se précipitant au milieu des agitations populaires, le fils servant la même cause de tout le pouvoir et de toute l'influence que lui donnaient d'importantes fonctions, mais plus discrètement, ainsi qu'il convenait à un magistrat.

Membre du conseil supérieur des Seize, Jean de la Bruyère se fait remarquer par un zèle qui le signale aux railleries et aux colères des royalistes; en souvenir de sa profession, ils le nomment « le sire safranier de la Ligue'. » On le

1. C'est en 1557 qu'il fut nommé au présidial de la ville de Poitiers dont il fut l'un des échevins en 1558 et le maire en 1564. Lors de la réformation de la Coutume du Poitou, il fut chargé de la rédaction des nouveaux articles (Bibliothèque historique du Poitou, par Dreux du Radier, 1842, tome I, p. 74 et note communiquée par M. Richard, archiviste de la Vienne). Il sera plus loin question de son frère.

2. « Si jamais la justice règne, toutes les forêts ne suffiront pas à faire gibets et roues pour les Seize et leurs agents; et principalement pour ceux qui sont nommés par la harangue faite par les bourgeois de Paris au légat Caëtan (5 janvier 1590), par laquelle les Seize sont nommés : le premier desquels est de la Bruière....... » (Le Maheustre, dans le Dialogue entre le Maheustre et le Manant: voyez la Satire Ménippée, édition de Ratisbonne, 1726, tome III, p. 461.) Le lieutenant civil Mathias de la Bruyère fut chargé en décembre 1593 de rechercher l'auteur de ce dialogue ligueur : P. de l'Estoile l'accuse de n'avoir pas dirigé son enquête avec le désir de la voir réussir. 3. « Au surplus, dit ailleurs le Maheustre en parlant des Seize (Ibidem, p. 465), l'on en fait des risées en notre parti, avec force

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voit se mêler à tous les actes du conseil, signer les lettres qu'on adresse au pape et au roi d'Espagne, faire montre de zèle en tout temps et en tout lieu; mais il ne fut en somme qu'un personnage secondaire parmi les chefs de la bourgeoisie ligueuse.

Après la journée des Barricades (12 mai 1588), le lieutenant civil Jean Séguier avait quitté Paris pour rejoindre la cour de Henri III. De ce fait Mathias de la Bruyère, qui était depuis dix-sept ans lieutenant particulier, se trouva investi des fonctions de lieutenant civil: le 6 février 1589, le gouvernement de la Ligue lui en conféra le titre, que devait confirmer, le 23 novembre 1589, un arrêt du Parlement1. Il avait voulu être le député du tiers-état de la prévôté de Paris aux états généraux de 1588; mais il n'avait obtenu que 105 voix sur 386 suffrages. Au mois de février 1589, sa candidature au conseil général de l'Union eut meilleur succès : l'un des quatre-vingts élus de la bourgeoisie de Paris, il prit place dans l'assemblée qui devait diriger les affaires du royaume sous la présidence du duc de Mayenne, et que ce dernier cassa en 1591.

Quelle que fût l'ardeur des deux la Bruyère, ils ne purent échapper aux soupçons de trahison. Un jour, en 1586, il se raconta que Jean de la Bruyère avait été mandé auprès du Roi, et cette audience, que n'aurait pas suffi à expliquer la profession du ligueur, car la cour avait ses apothicaires, lui fut accordée ou offerte, si toutefois elle eut lieu, alors que le Roi venait d'apprendre ou allait apprendre un projet d'émeute que le conseil des Seize avait mis en délibération et auquel s'était associé le duc de Mayenne. L'un des membres du conseil, Nicolas Poulain, en avait livré le secret: ce fut l'apothicaire qu'on

sobriquets. On dit que la Bruyère est le sire safranier de la Ligue..... >>

1. Nous devons à M. É. Campardon la date de cet arrêt qui attribuait à Mathias de la Bruyère le paiement de tous les gages de sa charge depuis le jour où il l'exerçait, c'est-à-dire depuis mai 1588.

2. Voyez dans la Bibliothèque de l'École des Charles, année 18451846, p. 432 et suivantes, un article de M. Taillandier sur cette élection et le procès-verbal où sont énumérées les paroisses qui ont voté pour Mathias de la Bruyère.

accusa de délation. Une autre fois, au mois d'août 1588, le plan d'une entreprise du duc de Guise fut encore dévoilé et déjoué par Poulain, et de nouveau la défiance de quelques collègues s'égara très injustement sur le nom de la Bruyère.

Les la Bruyère toutefois eurent peut-être, au milieu de la lutte, une heure de découragement. Un astronome italien, qui devait être condamné à mort pour la publication de libelles et pendu le 16 décembre 1591, François Liberati, « accusa la Bruyère, lieutenant civil, de l'avoir envoyé vers le Roi faire sa paix, et le soutint jusqu'à la mort'. » Mais les négociations échouèrent si elles furent entamées, et ce qu'il y a de sûr, c'est qu'en définitive le père et le fils demeurèrent fidèles à leur cause.

Je le dis à regret, les deux la Bruyère de la Ligue peuvent être accusés de complicité dans les événements de la journée du 15 novembre 1591, où furent pendus Brisson, premier président du Parlement, Larcher, le plus ancien conseiller de la Grand'Chambre, et Tardif, conseiller au Châtelet.

Dans la semaine qui précéda le meurtre des trois magistrats, les Seize s'assemblèrent plusieurs fois dans la maison de l'apothicaire, les réunions générales se tenant dans la salle du rezde-chaussée, et les conciliabules secrets dans la chambre haute. Le 8 novembre, les convocations avaient été très-étendues. Il s'agissait de renouveler le serment de l'Union. Bussy le Clerc et quelques autres s'étaient chargés de rédiger la formule que devaient signer les adhérents; mais, pour épargner le temps, disait-on, ce fut sur un papier blanc que l'on recueillit les signatures. Quelques-uns hésitèrent à donner ce blanc seing à Bussy; ils signèrent néanmoins, de gré ou contraints: deux ligueurs, placés près de la porte du rez-de-chaussée, veillaient à ce que personne ne se retirât sans avoir donné sa signature et fait un serment solennel de fidélité sur un missel, que Jean de la Bruyère, se prêtant à la mise en scène, avait déposé sur la table.

1. Journal historique de Pierre Fayet sur les troubles de la Ligue, Dublié par V. Luzarche. Tours, 1852, in-8, p. 118.

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La réunion du 14, qui eut lieu également chez l'apothicaire, ajouta aux inquiétudes des politiques, et même aux appréhensions de ceux des ligueurs qui gardaient encore quelque mesure. << Plusieurs de ceste assemblée, dit Palma Cayet1, préjugèrent lors qu'il se feroit quelque chose d'extraordinaire qui apporteroit du malheur, voyant.... Bussy le Clerc, suivy du curé de Sainct-Cosme, de Crucé Nicolas, le Normant, Drouart, Mongeot, et le Peuple, qui ne faisoient qu'aller et venir, tantost montans en haut à la chambre dudit la Bruière, puis descendans, se chuchetoient aux aureilles les uns aux autres : ce qu'ils avoient fait pareillement aux assemblées du mardy et mercredy auparavant. » C'est le lendemain que Bussy le Clerc faisait pendre Brisson et les deux conseillers.

Dans la matinée de cette journée, Jean de la Bruyère avait porté au capitaine de la garde espagnole, en compagnie de Pelletier, le fougueux curé de Saint-Jacques, un billet, signé de Bussy le Clerc et de quelques autres, qui contenait je ne sais quelle explication de la prise d'armes qu'ils avaient ordonnée. Il est peu vraisemblable que la Bruyère ignorât les projets véritables de Bussy. On pourrait toutefois faire remarquer à sa décharge que, dans les réunions qui s'étaient faites chez lui, le programme même de la journée révolutionnaire qui se préparait n'ayant pas été communiqué à tous, il n'est pas absolument démontré qu'il l'ait entièrement connu ; de plus, qu'il ne faisait point partie du comité secret des Dix, qui avait reçu de la faction des Seize de pleins pouvoirs ; qu'il n'assista pas au meurtre des magistrats; et enfin que son nom ne figure point parmi ceux des ligueurs qui furent soupçonnés de complicité et recherchés, soit quelques jours après par les ordres du duc de Mayenne, soit en 1589 par ceux de Henri IV; mais est-ce vraiment assez pour qu'il n'y ait pas une tache de sang sur le nom du premier Jean de la Bruyère?

Il est plus probable encore, il est presque certain que le fils fut instruit du complot. La veille de l'assassinat, Mathias de la Bruyère reçut la visite de l'un des présidents du conseil des Seize, Mathieu de Launoy. Au sortir de la réunion où le comité

1. Chronologie novenaire, p. 327.

secret des Dix avait résolu la mort de Brisson, et quelques heures avant celle où devaient être réglés les détails du programme de l'insurrection, Launoy venait lui demander à dîner. Se serait-il présenté ce jour-là chez Mathias de la Bruyère, s'il n'eût voulu lui apporter la confidence de ses projets de meurtre? Cette conférence, quoi qu'il en soit, compromit sans doute le lieutenant civil; car il faillit être l'un de ceux que le duc de Mayenne fit arrêter le 3 décembre et étrangler la nuit suivante, pour venger l'assassinat de Brisson. Il dut son salut à la géné-reuse intervention de Guillaume du Vair, alors conseiller au Parlement, qui, oubliant des griefs personnels, vint à son

secours 1.

Avec la toute-puissance des Seize, presque anéantie par le duc de Mayenne au mois de décembre, disparut aussi l'autorité des la Bruyère. Au printemps de 1593, quelques citoyenss'étaient enhardis jusqu'à demander la paix, ou tout au moins une trêve. Le lieutenant civil fit faire une menaçante enquête sur ceux qui s'étaient assemblés pour s'entretenir des moyens de mettre fin à la guerre civile; mais cette fois le Parlement crut devoir modérer son zèle. Il fut appelé à comparaître, et, par

1. C'est du moins ce que nous lisons dans les Anecdotes tirées de la bouche du garde des sceaux du Vair, que Ludovic Lalanne a publiées à la suite des Mémoires de Marguerite de Valois (Bibliothèque elzévirienne, 1858, p. 241): « La Bruyère même, lieutenant civil, qui étoit des principaux bandoliers de la Ville, eut la vie sauve par ce moyen (la protection de M. du Vair), lorsqu'il fut mis en prévention, dont il fut démis et relégué, combien qu'il lui eût voulu faire quelque indignité, car il envoya un jour des visiteurs en sa maison, lesquels, sous prétexte de la visiter, lui prirent tout son blé lors de la cherté, et donnèrent sujet à d'autres de lui aller prendre un soir pour quatre ou cinq cents écus de linge fin qu'il tenoit dans la petite salle basse: dont il s'alla plaindre au lieutenant qu'il lui avoit envoyé des voleurs. » Il est piquant de voir, à un siècle de distance, l'arrière-petit-fils de ce même lieutenant civil reprocher à la police de son temps de se faire la complice des voleurs (voyez tome III, p. 189, no53).

a Le rédacteur de l'Anecdote ne dit pas en quelle circonstance la Bruyère courut ce danger. Ce fut « lorsque Mayenne accourut à Paris après le supplice du président Brisson », suivant une note de Lud. Lalanne, à qui nous nous en rapportons.

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