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ou à gauche, le maniement des armes, et quel est l'usage à la guerre de la lance et du bouclier1. S'il monte un cheval que l'on lui a prêté, il le presse de l'éperon, veut le manier, et lui faisant faire des voltes ou des caracoles, il tombe lourdement et se casse la tête. On le voit tantôt, pour s'exercer au javelot, le lancer tout un jour contre l'homme de bois, tantôt tirer de l'arc et disputer avec son valet lequel des deux donnera mieux dans un blanc avec des flèches, vouloir d'abord apprendre de lui, se mettre ensuite à l'instruire et à le corriger comme s'il étoit le plus habile. Enfin se voyant tout nu au sortir d'un bain3, il imite les postures d'un lutteur*, et par le défaut d'habitude, il les fait de mauvaise grâce, et il s'agite d'une manière ridicule.

1. Cette phrase suffirait à montrer que la Bruyère avait le texte grec sous les yeux, en même temps que des traductions latines. Le texte donne : καὶ παρὰ τοῦ υἱοῦ μανθάνειν ἐπὶ τὸ δόρυ καὶ ἐπὶ ἀσπίδα, ce que Casaubon rend ainsi : Discit a filio quomodo fiat [in acie] conversio ad dextra, quomodo item ad sinistra. On tenait la pique de la main droite et l'on portait le bouclier au bras gauche; de là le sens des expressions ἐπὶ τὸ δόρυ καὶ ἐπ ̓ ἀσπίδα, employées comme termes de tactique à droite et à gauche; tous les traducteurs que nous avons pu voir l'ont fort bien compris. Seul la Bruyère a pensé qu'il y avait lieu de compléter la version de ses devanciers, et il a rendu à sa manière les mots dont, à son insu, paraît-il, sa propre traduction contenait déjà les équivalents.

:

2. Une grande statue de bois qui étoit dans le lieu des exercices pour apprendre à darder. (Note de la Bruyère.)

3. VAR. (édit. 1-3): au sortir du bain.

4. Ce mot est écrit luiteur dans les éditions 1-3.

5. VAR. (édit. 1): et s'exerce d'une manière ridicule.

C'est

plutôt s'agite que demande le grec. Dans les éditions 2-8: « et s'agite d'une manière ridicule. »

DE LA MÉDISANCE.

Je définis ainsi la médisance: une pente secrète de l'âme à penser mal de tous les hommes, laquelle se manifeste par les paroles; et pour ce qui concerne le médisant, voici ses mœurs. Si on l'interroge sur quelque autre, et que l'on lui demande quel est cet homme, il fait d'abord sa généalogie: « Son père, dit-il, s'appeloit Sosie', que l'on a connu dans le service et parmi les troupes sous le nom de Sosistrate; il a été affranchi depuis ce temps, et reçu dans l'une des tribus de la ville2; pour sa mère, c'était une noble Thracienne3, car les femmes de Thrace, ajoute-t-il, se piquent la plupart d'une ancienne noblesse: celui-ci, né de si honnêtes gens, est un scélérat et qui ne mérite que le gibet. » Et retournant à la mère de cet homme qu'il peint avec de si belles couleurs : « Elle est, poursuit-il, de ces femmes qui épient sur les grands chemins les jeunes gens au passage, et qui pour ainsi dire les enlèvent et les ravissent. » Dans une compagnie où il se trouve quelqu'un qui parle mal d'une personne absente, il relève la conversation: « Je suis, lui dit-il, de votre sentiment: cet homme m'est odieux, et je ne le puis souffrir. Qu'il est insupportable par sa physionomie ! Y a-t-il un plus grand fripon et des manières plus extravagantes? Savez-vous

1. C'étoit chez les Grecs un nom de valet ou d'esclave. (Note de la Bruyère.)

2. Le peuple d'Athènes étoit partagé en diverses tribus. (Note de la Bruyère.)

3. Cela est dit par dérision des Thraciennes, qui venoient dans la Grèce pour être servantes, et quelque chose de pis. (Note de la Bruyère.)

4. Elles tenoient hôtellerie sur les chemins publics, où elles se mêloient d'infâmes commerces. (Note de la Bruyère.)

combien il donne à sa femme pour la dépense de chaque repas? Trois oboles1, et rien davantage; et croiriez-vous que dans les rigueurs de l'hiver et au mois de décembre il l'oblige de se laver avec de l'eau froide ? » Si alors quelqu'un de ceux qui l'écoutent se lève et se retire, il parle de lui presque dans les mêmes termes. Nul de ses plus familiers n'est épargné; les morts mêmes dans le tombeau ne trouvent pas un asile contre sa mauvaise langue*.

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1. Il y avoit au-dessous de cette monnoie d'autres encore de moindre prix. (Note de la Bruyère.) — Le texte grec parle en effet d'une monnaie inférieure à l'obole: tpɛîs xaλxous; tres æris nummulos, traduit Casaubon; il fallait huit de ces pièces de cuivre pour faire une obole, suivant Schweighæuser.

Le mot

2. VAR. (édit. 1-5): Nul de ses plus familiers amis. amis pourrait bien avoir été omis par inadvertance dans la 6o édition. 3. Dans les éditions 1-8 il y a même, sans s.

4. Il étoit défendu chez les Athéniens de parler mal des morts *, par une loi de Solon, leur législateur. (Note de la Bruyère.)

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Dans toutes les éditions modernes de la Bruyère qui ont précédé notre première édition, ce chapitre est suivi de deux autres, intitulés du Goût qu'on a pour les vicieux, et du Gain sordide, chapitres qui n'ont été découverts qu'au siècle dernier (voyez ci-dessus, p. 14, note 2). Comme nous donnons ici une édition de la Bruyère, et non une traduction complète des Caractères de Théophraste, nous nous en tenons à ce qu'a traduit notre auteur.

* VAR. (édit. 1-4): de mal parler des morts. Voir l'étude de M. Navarre, Théophraste et La Bruyère, indiquée plus haut.

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