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Il est utile qu'il sache de bonne heure combien peu il doit attendre des hommes, et qu'il n'en obtiendra, tout au plus, que le retour de ce qu'il accordera lui-même. Il est nécessaire qu'il se prépare avant le combat, aux peines, aux contradictions, aux revers, aux injustices qui assaillent plus ou moins toute existence humaine.

Mais si une bonté mal entendue dirige notre éducation de manière à nous rendre plutôt victimes de ces maux qu'à nous apprendre à les vaincre, l'autre extrême a aussi des dangers qui lui sont propres il étouffe la délicatesse, l'enjouement et le génie. Il faut que la douceur tempère la sévérité, que l'affection punisse et non la colère, que l'éloge compense le blâme, et que le plaisir remonte cette jeune machine épuisée, irritée par une application trop soutenue, qui, quoique nécessaire à divers égards, est cependant des moins naturelles aux enfans, dont l'intelligence souffre plus par ces excès qu'elle ne gagne, n'y ayant point de bien-être solide, en moral comme en physique, que par l'harmonie des deux.

Edmond et Lucile s'attachent plus à former leur cœur que leur génie, plus leur raison que leur mémoire, moins à les rendre savans qu'honnêtes, moins riches qu'heureux; et en leur enseignant l'art de faire fortune, on leur enseigne surtout l'art de se passer de ses dons. On attendrit leurs sentimens par l'amitié, on hâte leur intelligence par

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de petites commissions au-dessus de leur âge; on les élève à leurs propres yeux par la confiance, et cette estime qu'on leur témoigne les engage à la mériter. Nul ordre dont on n'indique le but, nul reproche qu'on ne motive; l'exemple se joint au précepte, et la fermeté à la douceur.

On exerce leur courage, les aguerrit contre l'opinion, tourne le faste en ridicule; et les familiarise avec l'idée des besoins, de la douleur et de la mort. On développe leur jugement par des objets à comparer, des faits à apprécier, et de petits problèmes moraux à résoudre. Leur éducation a principalement pour but de leur former une sagesse, une tranquillité et une vertu d'habitude, qui, jointes à une profonde soumission aux décrets de la Providence, leur tiennent lieu de philosophie, également sur les devoirs comme dans les peines de la vie.

Jusque-là les mêmes principes peuvent être à peu près communs au deux sexes. La nature y mettra toujours quelque différence dans les effets. L'éducation publique paraît plus propre aux garçons, la privée plus faite pour les filles : l'une hâte l'expérience, l'autre dispose à la vie sédentaire. L'usage admet que les femmes ont moins besoin de connaissances; et en effet, il semble que leur position subordonnée exige moins de lumières. Il y a toujours quatre à parier contre un qu'un mari sera un sot, ou pis encore: malheur à celle qui saura trop bien l'apprécier! Plus faites pour suivre

que pour diriger, la modestie, la douceur, la comcomplaisance paraissent les qualités les plus favorables à leur propre bonheur et à celui de leurs alentours. D'ailleurs, trop d'élévation dans les vues pourrait les dégoûter de divers soins domestiques, qui, malgré leur petitesse apparente, n'en sont pas moins indispensables au maintien des familles.

Edmond et Lucile ont partagé leurs fonctions. Le premier dirige l'utile, la seconde l'agréable; l'un ordonne en grand, l'autre veille au détail. Elle est plus aimée, il est plus craint ; mais on les estime et respecte tous deux. Les coups d'autorité partent de lui, et ses volontés sont plus décisives ; il semble être le maître; elle est l'amie, la confidente, la médiatrice; elle règne plus par attachement que par contrainte; elle donne plutôt des conseils que des ordres, elle joue un peu la faiblesse, permet d'en abuser, sait toutes les petites sottises, feint de les cacher, se charge des excuses, ménage les raccommodemens. Lucile dit à son fils: Faites la révérence, tenez-vous droit, lavez vos mains, soyez discret, poli, délicat. Edmond lui dit : Sois intègre, acquiers des lumières, chéris ta patrie, et ne tremble jamais. Lucile dit à sa fille: Étudie les graces, cache tes sentimens, et redoute les hommes. Edmond lui dit : Devenez bonne menagère, exercez-vous dans la patience ; et si jamais vous avez un amant, rappelez-vous que votre père est votre meilleur ami.

Ainsi s'écoulent leurs jours dans le calme et l'innocence. Ils bénissent l'heure de leur première union, contemplent avec un courageux espoir celle qui les séparera; et un sentiment religieux, s'élançant au ciel, y porte souvent l'hommage commun de leur reconnaissance, qu'ils témoignent surtout en se rendant chaque jour plus dignes de ses bienfaits.

FIN DU TOME PREMIER.

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