Page images
PDF
EPUB

COLLECTION DES MEILLEURS AUTEURS ANCIENS ET MODERNES

FONTENELLE

HISTOIRE

DES

ORACLES

PARIS

LIBRAIRIE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE

PASSAGE MONTESQUIEU (RUE MONTESQUIEU)
Près le Palais-Royal

1892
L

[blocks in formation]

PRÉFACE

Il y a longtemps qu'il me tomba entre les mains un livre latin sur les Oracles des Païens, composé depuis peu par Van Dale, docteur en médecine, et imprimé en Hollande. Je trouvai que cet auteur détruisait avec assez de force te que l'on croit communément des oracles rendus par les démons et de leur cessation entière à la vue de Jésus-Christ, et tout l'ouvrage me parut plein d'une grande connaissance de l'antiquité et d'une érudition très-étendue. Il me vint en pensée de le tra duire, afin que les femmes et ceux même d'entre les hommes qui ne lisent pas volontiers du latin ne fussent point privés d'une lecture si agréable et si utile. Mais je fis réflexion qu'une traduction de ce livre ne serait pas bonne pour l'effet que je prétendais. Van Dale n'a écrit que pour les savants, et il a eu raison de négliger des agréments dont ils ne feraient aucun cas. Il rapporte un grand nombre de passages qu'il cite très-fidèlement et dont il fait des versions d'une exactitude merveilleuse lorsqu'il les prend du grec; il entre dans la discussion de beaucoup de points de critique, quelquefois peu nécessaires, mais toujours curieux. Voilà ce qu'il

la République des Lettres, il paraît qu'une des plus fortes raisons de Moebius contre Van Dale, est que Dieu défendit aux Israélites de consulter les devins et les esprits de Python; d'où l'on conclut que Python, c'est-à-dire les démons, se mêlaient des oracles, et apparemment l'histoire de l'apparition de Samuel vient à la suite. Van Dale répondra ce qu'il jugera à propos; pour moi, je déclare que, sous le nom d'oracle, je ne prétends pas comprendre la magie dont il est indubitable que le démon se mêle; aussi n'est-elle nullement comprise dans ce que nous entendons ordinairement par ce mot, non pas même selon le sens des anciens païens, qui, d'un côté, regardaient les oracles avec respect, comme une partie de leur religion, et, de l'autre, avaient la magie en horreur aussi bien que nous. Aller consulter un nécromancien ou quelqu'une de ces sorcières de Thessalie, pareille à l'Ericto de Lucain, cela ne s'appelait pas aller à l'oracle, et s'il faut marquer encore cette distinction, même selon l'opinion commune, on prétend que les oracles ont cessé à la venue de Jésus-Christ et cependant on ne peut pas prétendre que la magie ait cessé. Ainsi, l'objection de Moebius ne fait rien contre moi, s'il laisse le mot d'oracle dans sa signification ordinaire et naturelle, tant ancienne que moderne.

La seconde chose que j'ai à dire, c'est que l'on m'a averti que le R. P. Thomassin, prêtre de l'Oratoire, fameux par tant de beaux livres où il a accordé une piété solide avec une profonde érudition, avait enlevé à ce livre-ci l'honneur de la nouveauté du paradoxe en traitant les oracles de pures fourberies dans sa Méthode d'étudier et d'enseigner chrétiennement les poëtes. J'avoue que j'en ai été un peu fâché; cependant, je me suis consolé par la lecturé

du chapitre XXI du livre II de cette méthode, o je n'a trouvé que dans l'article 19, en assez peu de paroles, ce qui pouvait être commun avec moi. Voici comme il parle : « La véritable raison du silence imposé aux oracles était que, par l'incarnation du Verbe divin, la vérité éclairait le monde et y répandait une abondance de lumières tout autre qu'auparavant. Ainsi, on se détrompait des illusions des augures, des astrologues, des observations des entrailles des bêtes et de la plupart des oracles, qui n'étaient effectivement que des impostures où les hommes se trompaient les uns les autres par des paroles obscures et à double sens. Enfin, s'il y avait des oracles où les démons donnaient des réponses, l'avenement de la vérité incarnée avait condamné à un silence éternel le père du mensonge. Il est au moins bien certain qu'on consultait les démons lorsqu'on avait recours aux enchantements et à la magie, comme Lucain le rapporte du jeune Pompée et comme l'Ecriture l'assure de Saul. » Je conviens que, dans un gros traité où l'on ne parle des oracles que par occasion, très-brièvement et sans aucun dessein d'approfondir la matière, c'est bien en dire assez que d'attribuer la plupart des oracles à l'imposture des hommes, de révoquer en doute s'il y en a eu où les démons aient eu part, de ne donner une fonction certaine aux démons que dans les enchantements et dans la magie et enfin de faire cesser les oracles, non pas précisément parce que le Fils de Dieu leur imposa silence tout d'un coup, mais parce que les esprits, plus éclairés par la publication de l'Evangile, se désabusèrent, ce qui suppose encore des fourberies humaines, et ne s'est pu faire si promptement. Cependant, il me paraît qu'une question décidée en sí peu de paroles peut être traitée

« PreviousContinue »