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et de divers temperamens, et que je me suis toûjours attaché à étudier les hommes vertueux, comme ceux qui n'estoient connus que par leurs vices, il semble que j'ay dû marquer les' caracteres des uns et des autres, et ne me pas contenter de peindre les Grecs en general, mais mesme de toucher ce qui est personnel, et ce que quelques-uns paroissent avoir de plus familier. J'espere, mon cher Policles, que cet ouvrage sera utile à ceux qui viendront aprés nous : il leur trace des modeles qu'ils peuvent suivre; il leur apprend à faire le discernement de ceux avec qui ils doivent lier quelque commerce, et dont l'émulation les portera à imiter leurs vertus et leur sagesse. Ainsi je vais entrer en matiere; c'est à vous de penetrer dans mon sens et d'examiner avec attention si la verité se trouve dans mes paroles; et, sans faire une plus longue Preface, je parleray d'abord de la dissimulation, je définiray ce vice, je diray ce que c'est qu'un homme dissimulé, je décriray ses mœurs, et je traiteray ensuite des autres passions suivant le projet que j'en ay fait.

1. Theophraste avoit dessein de traiter de toutes les vertus et de tous les vices.

De la Dissimulation.

De la Flatterie.

De l'Impertinent, ou du diseur de rien.

De la Rusticité.

Du Complaisant.

De l'image d'un Coquin.

Du grand Parleur

Du Debit des nouvelles.

De l'Effronterie causée par l'avarice.

De l'Epargne sordide.

De l'Impudent, ou de celuy qui ne rougit de rien.

Du Contre-temps.

De l'Air empressé.

De la Stupidité.

De la Brutalité.

De la Superstition.
De l'Esprit chagrin.

De la Défiance.

D'un Vilain homme.

D'un homme Incommode.

De la sotte Vanité.

De l'Avarice.

De l'Ostentation.

De l'Orgueil.

De la Peur, ou du defaut de courage.

Des Grands d'une Republique.

D'une tardive Instruction.

De la Médisance.

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'dissimulation n'est pas aisée à bien définir. Si l'on se contente d'en faire une simple description, l'on peut dire que c'est un certain art de composer ses paroles et ses actions pour une mauvaise fin. Un homme dissimulé se comporte de cette maniere : il aborde ses ennemis, leur parle et leur fait croire par cette démarche qu'il ne les hait point; il loüe ouvertement, et en leur presence, ceux à qui il dresse de secrettes embuches, et il s'afflige avec eux s'il leur est arrivé quelque disgrace; il semble pardonner les discours offensans que l'on luy tient; il recite froidement les plus horribles choses que l'on aura dites contre sa reputation, et il employe les paroles les plus flatteuses pour adoucir ceux qui se plaignent de luy, et qui sont aigris par les injures qu'ils en ont receuës. S'il arrive que quelqu'un l'aborde avec empressement, il feint des affaires et luy dit de revenir une autrefois; il cache soigneusement tout

1. L'Auteur parle de celle qui ne vient pas de la prudence, et que les Grecs appelloient ironie.

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ce qu'il fait, et, à l'entendre parler, on croiroit toûjours qu'il delibere; il ne parle point indifferemment; il a ses raisons pour dire tantost qu'il ne fait que revenir de la campagne, tantost qu'il est arrivé à la ville fort tard, et quelquefois qu'il est languisant, ou qu'il a une mauvaise santé. Il dit à celuy qui luy emprunte de l'argent à interest, ou qui le prie de contribuer de sa part à une somme que ses amis consentent de luy prester, qu'il ne vend rien, qu'il ne s'est jamais veu si denué d'argent, pendant qu'il dit aux autres que le commerce va le mieux du monde, quoy qu'en effet il ne vende rien. Souvent, aprés avoir écouté ce que l'on luy a dit, il veut faire croire qu'il n'y a pas eu la moindre attention; il feint de n'avoir pas apperçû les choses où il vient de jetter les yeux, ou, s'il est convenu d'un fait, de ne s'en plus souvenir; il n'a, pour ceux qui luy parlent d'affaires, que cette seule réponse : « J'y penseray.» Il sçait de certaines choses, il en ignore d'autres; il est saisi d'admiration; d'autres fois il aura pensé comme vous sur cet évenement, et cela selon ses differens interests; son langage le plus ordinaire est celuy-cy: « Je n'en crois rien, je ne comprends pas que cela puisse estre, je ne sçay où j'en suis »; ou bien : « Il me semble que je ne suis pas moy-mesme » ; et ensuite: « Ce n'est pas ainsi qu'il me l'a fait entendre, voilà une chose merveilleuse et qui passe toute creance, contez cela à d'autres, dois-je vous croire ? ou me persuaderay-je qu'il ne m'ait pas dit la verité?» Paroles

1. Cette sorte de contribution estoit frequente à Athenes, et autorisée par les lois.

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