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mille actions vicieuses ou frivoles dont leur vie est toute remplie.

Il faut avouer que sur les titres de ces deux ouvrages l'embarras s'est trouvé presque égal. Pour ceux qui partagent le dernier, s'ils ne plaisent point assez, l'on permet d'en suppléer d'autres; mais à l'égard des titres des Caracteres de Theophraste, la mesme liberté n'est pas accordéc, parce qu'on n'est point maistre du bien d'autruy; il a fallu suivre l'esprit de l'Auteur, et les traduire selon le sens le plus proche de la diction Grecque, et en mesme temps selon la plus exacte conformité avec leurs Chapitres, ce qui n'est pas une chose facile, parce que souvent la signification d'un terme Grec traduit en François mot pour mot n'est plus la mesme dans nostre langue par exemple, ironie est chez nous ou une raillerie dans la conversation, ou une figure de Rhetorique, et chez Theophraste c'est quelque chose entre la fourberie et la dissimulation, qui n'est pourtant ni l'une ni l'autre, mais précisément ce qui est decrit dans le dernier chapitre.

Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou trois termes assez differens pour exprimer des choses qui le sont aussi, et que nous ne sçaurions gueres rendre que par un seul mot. Cette pauvreté embarasse. En effet, l'on remarque dans cet ouvrage Grec trois especes d'avarice,

deux sortes d'importuns, des flatteurs de deux manieres, et autant de grands parleurs; de sorte que les caracteres de ces personnes semblent rentrer les uns dans les autres au desavantage du titre; ils ne sont pas aussi toûjours suivis et parfaitement conformes, parce que Theophraste, emporté quelquefois par le dessein qu'il a de faire des portraits, se trouve déterminé à ces changemens par le caractere seul et les mœurs du personnage qu'il peint ou dont il fait la satyre.

Les definitions qui sont au commencement de chaque Chapitre ont eû leurs difficultez elles sont courtes et concises dans Theophraste, selon la force du Grec et le style d'Aristote, qui luy en a fourni les premieres idées; on les a étenduës dans la traduction pour les rendre intelligibles. Il se lit aussi, dans ce traité, des phrases qui ne sont pas achevées, et qui forment un sens imparfait auquel il a esté facile de suppléer le veritable; il s'y trouve de differentes leçons, quelques endroits tout à fait interrompus et qui pouvoient recevoir diverses explications; et pour ne point s'égarer dans ces doutes, on a suivi les meilleurs interpretes.

Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une simple instruction sur les mœurs des hommes, et qu'il vise moins à les rendre sçavans qu'à les rendre sages, l'on s'est trouvé exempt de le charger de

longues et curieuses observations ou de doctes commentaires qui rendissent un compte exact de l'antiquité. L'on s'est contenté de mettre de petites notes à côté de certains endroits que l'on a crû les meriter, afin que nuls de ceux qui ont de la justesse, de la vivacité, et à qui il ne manque que d'avoir lû beaucoup, ne se reprochent pas mesme ce petit defaut, ne puissent estre arrestez dans la lecture des Caracteres et douter un moment du sens de Theophraste.

LES

CARACTERES

DE

THEOPHRASTE

TRADUITS DU GREC

'AY admiré souvent, et j'avoue que je ne puis encore comprendre, quelque serieuse reflexion que je fasse, pourquoy, toute la Grece estant placée sous un mesme ciel, et les Grecs nourris et élevez de la mesme1 maniere, il se trouve neanmoins si peu de ressemblance dans leurs mœurs. Puis donc, mon cher Policles, qu'à l'âge de quatre-vingt dix-neuf ans où je me trouve, j'ai peut-estre assez vécu pour connoistre les hommes; que j'ay veu, d'ailleurs, pendant le cours de ma vie, toute sorte de personnes,

1. Par rapport aux barbares, dont les mœurs étoient tresdifferentes de celles des Grecs.

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