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plus accompli que ce qui est esprit. Si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui pense en moy, et que j'appelle mon esprit, que cette nature universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer sa première cause et son unique origine, parce qu'il ne trouve point son principe en soy, et qu'il le trouve encore moins dans la matiere, ainsi qu'il a esté demontré, alors je ne dispute point des noms; mais cette source originaire de tout esprit, qui est esprit elle-mesme, et qui est plus excellente que tout esprit, je l'appelle Dieu.

En un mot, je pense, donc Dieu existe : car ce qui pense en moy, je ne le dois point à moymesme, parce qu'il n'a pas plus dépendu de moy de me le donner une premiere fois qu'il dépend encore de moy de me le conserver un seul instant; je ne le dois point à un estre qui soit au-dessus de moy, et qui soit matiere, puis qu'il est impossible que la matiere soit au dessus de ce qui pense; je le dois donc à un estre qui est au dessus de moy, et qui n'est point matiere; et c'est Dieu.

De ce qu'une nature universelle qui pense exclut de soy generalement tout ce qui est matiere, il suit necessairement qu'un estre particulier qui pense ne peut pas aussi admettre en soy la moindre matiere: car, bien qu'un estre uni

versel qui pense renferme dans son idée infiniment plus de grandeur, de puissance, d'indépendance et de capacité qu'un estre particulier qui pense, il ne renferme pas neanmoins une plus grande exclusion de matiere, puisque cette exclusion dans l'un et l'autre de ces deux êtres est aussi grande qu'elle peut estre et comme infinie, et qu'il est autant impossible que ce qui pense en moy soit matiere qu'il est inconcevable que Dieu soit matiere. Ainsi, comme Dieu est esprit, mon âme aussi est esprit.

Je ne sçay point si le chien choisit, s'il se ressouvient, s'il affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense. Quand donc l'on me dit que toutes ces choses ne sont en luy ny passions, ny sentiment, mais l'effet naturel et necessaire de la disposition de sa machine preparée par le divers arrangement des parties de la matiere, je puis au moins acquiescer à cette doctrine. Mais je pense, et je suis certain que je pense; or quelle proportion y a-t-il de tel ou de tel arrangement des parties de la matiere, c'est à dire d'une étendue selon toutes ses dimensions, qui est longue, large et profonde, et qui est divisible dans tous ces sens, avec ce qui pense?

¶Si tout est matiere, et si la pensée en moy comme dans tous les autres hommes n'est qu'un effet de l'arrangement des parties de la matiere,

qui a mis dans le monde toute autre idée que celle des choses materielles? La matiere a-t'elle dans son fond une idée aussi pure, aussi simple, aussi immaterielle, qu'est celle de l'esprit? Comment peut-elle estre le principe de ce qui la nie et l'exclut de son propre estre? Comment estelle dans l'homme ce qui pense, c'est à dire ce qui est à l'homme mesme une conviction qu'il n'est point matiere ?

¶ Il y a des estres qui durent peu, parce qu'ils sont composez de choses tres-differentes et qui se nuisent reciproquement; il y en a d'autres qui durent davantage, parce qu'ils sont plus simples; mais ils perissent parce qu'ils ne laissent pas d'avoir des parties selon lesquelles ils peuvent estre divisez. Ce qui pense en moy doit durer beaucoup, parce que c'est un estre pur, exempt de tout mélange et de toute composition; et il n'y a pas de raison qu'il doive perir, car qui peut corrompre ou separer un estre simple et qui n'a point de parties?

¶ L'âme voit la couleur par l'organe de l'œil, et entend les sons par l'organe de l'oreille; mais elle peut cesser de voir ou d'entendre, quand ces sens ou ces objets luy manquent, sans que pour cela elle cesse d'estre, parce que l'âme n'est point précisément ce qui voit la couleur ou ce qui entend les sons, elle n'est que ce qui pense. Or

comment peut-elle cesser d'être telle? Ce n'est point par le defaut de l'organe, puis qu'il est prouvé qu'elle n'est point matiere; ny par le defaut d'objet, tant qu'il y aura un Dieu et des éternelles veritez. Elle est donc incorruptible.

¶Je ne conçois point qu'une ame que Dieu a voulu remplir de l'idée de son estre infini et souverainement parfait doive estre aneantie.

Si l'on ne goûte point ces remarques que j'ay écrites, je m'en étonne, et si on les goûte, je m'en étonne de mesme.

Extrait du Privilege du Roy.

AR grace et Privilege du Roy, en datte du 8 Oc

PAR

tobre 1687. Signé, DUGONO : il est permis à ESTIENNE MICHALLET, Imprimeur du Roy, et Marchand Libraire à Paris, d'imprimer ou faire imprimer un Livre intitulé, Les Caracteres de Theophraste, avec les Caracteres ou les Moeurs de ce siecle avec deffences à tous autres de l'imprimer, vendre ou debiter sans le consentement dudit Exposant, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et interests, et de trois mille livres d'amende.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de Paris.

Signé COIGNARD, Syndic.

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