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DE LA COUR.

E reproche en un sens le plus honorable que l'on puisse faire à un homme, c'est de luy dire qu'il ne sçait pas la

Cour; il n'y a sorte de vertus que l'on

ne rassemble en luy par ce seul mot.

Un homme qui sçait la Cour est maistre de son geste, de ses yeux et de son visage ; il est profond, impenetrable; il dissimule les mauvais offices, soûrit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentimens : tout ce grand raffinement n'est qu'un vice, que l'on appelle fausseté, quelquefois aussi inutile au Courtisan pour sa fortune que la franchise, la sincerité et la vertu.

¶ Il y a quelques rencontres dans la vie où la verité et la simplicité sont le meilleur manege du monde.

¶ C'est avoir fait un grand pas dans la finesse

que de faire penser de soy que l'on n'est que mediocrement fin.

Un homme qui a vescu dans l'intrigue un certain temps ne peut plus s'en passer; toute autre vie pour luy est languissante.

¶ Il faut avoir de l'esprit pour estre homme de caballe; l'on peut cependant en avoir à un certain point que l'on est au dessus de l'intrigue et de la cabale, et que l'on ne sçauroit s'y assujettir; l'on va alors à une grande fortune ou à une haute reputation par d'autres chemins.

Toutes les veuës, toutes les maximes et tous les raffinemens de la politique, tendent à une seule fin, qui est de n'estre point trompé et de tromper les autres.

La Province est l'endroit d'où la Cour, comme dans son point de veuë, paroist une chose admirable; si l'on s'en approche, ses agréemens diminuënt, comme ceux d'une perspective que l'on voit de trop prés.

¶ L'on s'accoûtume difficilement à une vie qui se passe dans une antichambre, dans des cours ou sur l'escalier.

¶ Il faut qu'un honneste homme ait tâté de la Cour; il découvre, en y entrant, comme un nouveau monde qui luy estoit inconnu, où il voit regner également le vice et la politesse, et où tout luy est utile, le bon et le mauvais.

¶ L'on va quelquefois à la Cour pour en revenir, et se faire par là respecter du noble de sa Province.

¶ Le Brodeur et le Confiseur seroient superflus et ne feroient qu'une montre inutile si l'on estoit modeste et sobre; les Cours seroient desertes et les Rois presque seuls si l'on estoit gueri de la vanité et de l'interest. Les hommes veulent estre esclaves quelque part et puiser là de quoy dominer ailleurs. Il semble que l'on livre en gros aux premiers de la Cour l'air de hauteur, de fierté et de commandement, afin qu'ils le distribuënt en détail dans les Provinces; ils font précisément comme on leur fait, vrays Singes de la Royauté.

Il n'y a rien qui enlaidisse certains Courtisans comme la presence du Prince; à peine les puis-je reconnoistre à leurs visages : leurs traits sont alterez et leur contenance est avilie; les gens fiers et superbes sont les plus defaits, car ils perdent plus du leur ; celuy qui est honneste et modeste s'y soûtient mieux, il n'a rien à reformer.

L'air de Cour est contagieux ; il se prend à **, comme l'accent Normand à Rouen ou à Falaise; on l'entrevoit en des Fouriers, en de petits Contrôleurs et en des Chefs de fruiterie ; l'on peut, avec une portée d'esprit fort mediocre,

y faire de grands progrez. Un homme d'un genie élevé et d'un merite solide ne fait pas assez de cas

de cette espece de talent pour faire son capital de l'étudier et se le rendre propre. Il l'acquiert sans reflexion et il ne pense point à s'en defaire.

¶ Qu'un favori s'observe de fort prés, car s'il me fait moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire, s'il a le visage plus ouvert, s'il fronce moins le sourcil, s'il m'écoute plus volontiers et s'il me reconduit un peu plus loin, je penseray qu'il commence à tomber, et je penseray vray.

¶ L'homme a bien peu de ressources dans soy-mesme, puis qu'il luy faut une disgrace ou une mortification pour le rendre plus humain, plus traitable, moins feroce, plus honneste homme.

¶ Il faut des fripons à la Cour auprés des Grands et des Ministres mesme les mieux intentionnez; mais l'usage en est délicat et il faut sçavoir les mettre en œuvre : il y a des temps et des occasions où ils ne peuvent estre suppléez par d'autres. Honneur, vertu, conscience, qualitez toûjours respectables, souvent inutiles que voulezvous quelquefois que l'on fasse d'un homme de bien ?

¶ Combien de gens vous étouffent de caresses dans le particulier, vous aiment et vous estiment,

qui sont embarassez de vous dans le public, et qui, au lever ou à la Messe, évitent vos yeux et vostre rencontre! Il n'y a qu'un petit nombre de Courtisans qui, par grandeur ou par une confiance qu'ils ont d'eux-mesmes, osent honorer devant le monde le merite qui est seul et dénué de grands établissemens.

Il est aussi dangereux à la Cour de faire les avances qu'il est embarassant de ne les point faire.

Il y a des gens à qui ne connoistre point le nom et le visage d'un homme est un titre pour en rire et le mépriser. Ils demandent qui est cet homme; ce n'est ny Rousseau, ny un 'Fabry, ny la Couture, ils ne pourroient le méconnoître.

L'on me dit tant de mal de cet homme, et j'y en vois si peu, que je commence à soupçonner qu'il n'ait un merite importun qui éteigne celuy des autres.

¶ Vous estes homme de bien, vous ne songez ny à plaire ny à déplaire aux favoris, uniquement attaché à vostre maistre et à vostre devoir : vous estes perdu.

Qui est plus esclave qu'un Courtisan assidu, si ce n'est un Courtisan plus assidu?

¶ Celuy qui un beau jour sçait renoncer fer

1. Puny pour des saletez.

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