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Un prêtre en cheveux blancs ordonna le supplice;
Et c'est au nom d'un Dieu par lui calomnié,
D'un Dieu de vérité, d'amour et de justice,
Qu'un prêtre fut perfide, injuste et sans pitié.

À qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers?
Pour qui ces torches qu'on excite?
L'airain sacré tremble et s'agite....

D'où vient ce bruit lugubre? où courent ces guerriers,
Dont la foule à longs flots roule et se précipite?
La joie éclate sur leurs traits ;

Sans doute l'honneur les enflamme ;
Il vont pour un assaut former leurs rangs épais :
Non, ces guerriers sont des Anglais

Qui vont voir mourir une femme.

Qu'ils sont nobles dans leur courroux!
Qu'il est beau d'insulter au bras chargé d'entraves!
La voyant sans défense, ils s'écriaient, ces braves :
“Qu'elle meure; elle a contre nous

Des esprits infernaux suscité la magie ........'
Lâches! que lui reprochez-vous ?

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D'un courage inspiré la brûlante énergie,
L'amour du nom Français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes ;

En faut-il d'autres que des armes

Pour combattre, pour vaincre et punir l'étranger?

Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image;
Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents :
Au pied de l'échafaud, sans changer de visage,
Elle s'avançait à pas lents.

G

Tranquille elle y monta ; quand, debout sur le faîte,
Elle vit ce bûcher qui l'allait dévorer,

Les bourreaux en suspens, la flamme déjà prête,
Sentant son cœur faillir elle baissa la tête,

Et se prit à pleurer.

Ah! pleure, fille infortunée !

Ta jeunesse va se flétrir,

Dans sa fleur trop tôt moissonnée !
Adieu, beau ciel, il faut mourir.

Tu ne reverras plus tes riantes montagnes,
Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs,
Et ta chaumière et tes compagnes,

Et ton père expirant sous le poids des douleurs.
Après quelques instants d'un horrible silence,
Tout à coup le feu brille, il s'irrite, s'élance....
Le cœur de la guerrière alors s'est ranimé ;
À travers les vapeurs d'une fumée ardente,
Jeanne, encor menaçante,

Montre aux Anglais son bras à demi consumé.
Pourquoi reculer d'épouvante,

Anglais? son bras est désarmé.

La flamme l'environne, et sa voix expirante
Murmure encore: "ô France! ô mon roi bien-aimé!"

Que faisait-il ce roi? Plongé dans la mollesse,
Tandis que le malheur réclamait son appui,
L'ingrat, il oubliait, aux pieds d'une maîtresse,
La vierge qui mourait pour lui!

Ah! qu'une page si funeste
De ce règne victorieux,

Pour n'en pas obscurcir le reste,

S'efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux !

Qu'un monument s'élève aux lieux de ta naissance,
O toi, qui des vainqueurs renversas les projets !
La France y portera son deuil et ses regrets,
Sa tardive reconnaissance;

Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès :
Puissent croître avec eux ta gloire et sa puissance!

Que sur l'airain funèbre on grave des combats,
Des étendards Anglais fuyant devant tes pas,
Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes.
Venez, jeunes beautés; venez, braves soldats;
Semez sur son tombeau les lauriers et les roses!
Qu'un jour le voyageur, en parcourant ces bois,
Cueille un rameau sacré, l'y dépose et s'écrie :
"A celle qui sauva le trône et la patrie,

Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits!"

Notre armée au cercueil eut mon premier homage; Mon luth chante aujourd'hui les vertus d'un autre âge; Ai-je trop présumé de ses faibles accents?

Pour célébrer tant de vaillance,

Sans doute il n'a rendu que des sons impuissants;
Mais, poëte et Français, j'aime à vanter la France.
Qu'elle accepte en tribut de périssables fleurs.
Malheureux de ses maux, et fier de ses victoires,
Je dépose à ses pieds ma joie ou mes douleurs;
J'ai des chants pour toutes ses gloires,
Des larmes pour tous ses malheurs.

Casimir Delavigne. 1816

X

LES SOUVENIRS DU PEUPLE

On parlera de sa gloire

Sous le chaume bien longtemps:
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
Là, viendront les villageois
Dire alors à quelque vieille :
"Par des récits d'autrefois,
Mère, abrégez notre veille.
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère.

Parlez-nous de lui, grand'mère,
Parlez-nous de lui.

—Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa :
Voilà bien longtemps de ça :
Je venais d'entrer en ménage.
A pied grimpant le coteau
Où pour voir je m'étais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Près de lui je me troublai !
Il me dit: Bonjour, ma chère,
Bonjour, ma chère.

Il vous a parlé, grand'mère,
Il vous a parlé !

-L'an d'après, moi, pauvre femme,
À Paris étant un jour,

Je le vis avec sa cour:
Il se rendait à Notre Dame.

Tous les cœurs étaient contents;
On admirait le cortége!
Chacun disait: quel beau temps !
Le ciel toujours le protége.
Son sourire était bien doux :
D'un fils Dieu le rendait père,

Le rendait père.

-Quel beau jour pour vous, grand'mère ! --Quel beau jour pour vous !

-Mais quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers;
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper à la porte.

:

J'ouvre bon Dieu ! c'était lui,
Suivi d'une faible escorte !
Il s'assied où me voilà,
S'écriant: ah! quelle guerre !
Ah! quelle guerre !

-Il s'est assis là, grand'mère,
Il s'est assis là !

J'ai faim, dit-il; et, bien vite,
Je sers piquette et pain bis.
Puis il sèche ses habits:
Même à dormir le feu l'invite.

Au reveil, voyant mes pleurs,

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